Expo Ailleurs : Le ciel pour atelier Yves Klein et ses contemporains - Centre Pompidou Metz - Jusqu'au 15 mars 2021


Figure majeure de la scène artistique de l’après-guerre, Yves Klein (1928-1962) a entretenu des liens étroits avec ses contemporains, développant des affinités esthétiques et philosophiques hors du mouvement du Nouveau Réalisme. A l’occasion de l’anniversaire du Centre Pompidou Metz, qui fête ses dix ans 2020, Emma Lavigne, directrice de cette institution lorraine de 2015 à 2019, désormais directrice du Palais de Tokyo, a imaginé une exposition qui nous entraîne sur les traces d’une génération de plasticiens du monde entier intimement liés à l’artiste français. Peinture, sculpture, architecture, performance, par le biais de sa quête esthétique plurielle, Klein donne forme plastique à des théories politiques et métaphysiques. « Le ciel comme atelier. Yves Klein et ses contemporains » dresse le portrait en creux d’un artiste connecté aux autres, dont la créativité est soutenue par une conscience politique vive, un engagement fort, des convictions et une vision acérée de l’époque. Repoussant les limites de l’art, plasticien de l’expérimentation, il ne cesse de prendre des risques pour appréhender le monde sensible. De sa proximité avec les groupes Gutaï au Japon, NUL au Pays-Bas mais également des spatialistes italiens Lucio Fontana, Piero Manzoni et de Heinz Mack, Otto Piene, Günther Uecker, fondateurs du groupe ZERO en Allemagne naissent de nouvelles expériences. L’exposition présentée au Centre Pompidou Metz souligne les convergences des recherches, interroge les similitudes. La scénographie met en regard des œuvres, suscite un dialogue plastique et révèle les imaginaires communs. Elle explore les liens noués entre Yves Klein et ces artistes, réseau international de la création. 











Au lendemain du conflit mondial, la soif de renouveau de la pratique artistique se confronte au chaos d’une période troublée par les traumas mais également illuminée par l’espoir de la reconstruction. La soif d’infini des jeunes artistes trouve à s’exprimer dans la fascination pour la conquête de l’espace. Le ciel devient obsession, les rêves cosmiques. Yves Klein et les artistes dont il partage les préoccupations esthétiques et philosophiques s’éprennent d’absolu et tente d’accéder à la liberté poétique sans limite. Ils cherchent à traduire l’insaisissable, l’immatériel. Le ciel, l’air, l’espace, le vide figurent l’atelier dématérialisé qui se rapproche de l’infini, lieu mental propice à renouveler l’art, réinventer la pratique. Yves Klein l’avant-gardiste se propose de « célébrer avec joie la possibilité du vide ». Sa pratique plastique traduit une vision du monde incarnée par les utopies politiques, une mystique de l’art à la radicalité fascinante. Le célèbre bleu, IKB International Klein Blue, formule brevetée, place en exergue par la pureté du pigment la force active de la couleur. Les monochromes aborde l’essence de celle-ci. La dimension spatiale de son oeuvre est largement représentée dans l’ensemble exposé au Centre Pompidou Metz. 

L’exposition abondamment référencée, pédagogique, suit un parcours déployé en neuf modules thématiques. Au fil de la déambulation méditative, le corps confronté à la matière dans un acte créateur nouveau permet d’appréhender différemment cette genèse de l’oeuvre. De 1952 à 1954, Yves Klein séjourne au Japon afin d’y poursuivre l’excellence de l’enseignement du judo, pratique sportive qu’il considère comme une « discipline mentale ». Il obtient une ceinture noire quatrième dan, grade jamais encore obtenu à l’époque par un Occidental. Yves Klein en garde le goût de la performance. Le judo lui inspire un rapport au corps particulier dans sa pratique artistique, de la mise en scène de celui-ci à la fois intime et universel qui influence sa théorie de l’art. L’intervention directe du corps dans la pratique artistique se retrouve dans Les Anthropométries de Klein. Les corps impriment leur trace sur le papier, à la fois pinceaux et sujets. Dans le même temps, à Osaka, Kazuo Shiragu du mouvement Gutaï peint suspendu au-dessus de la toile avec ses pieds et ses mains, performance au cours desquelles naissent des monochromes rouges, où s’expriment la douleur des horreurs de la guerre.  











Le foisonnement créatif tend vers l’expérience de la monochromie. Dans l’exposition, une salle entière est dédiée au blanc, synonyme de vide et de silence pour Klein. Les œuvres de Lucio Fontana y sont abondamment représentées. Dès les années 1940, il invente « les environnements » et à partir de 1958 « les fentes », les lacérations pratiqués dans ses tableaux monochromes ouvrent la toile vers l’infini. 

A leur côté, sur le fil tendu du lien esthétique évident, les réalisations d’Enrico Castellani, Piero Manzoni, Otto Piene, Heinz Mack, Günther Uecker expriment une même préoccupation. Klein est très proche de ce dernier. Chez Arman à Nice, il rencontre sa sœur, Rotraut qui est alors jeune fille au pair. Il l’épouse en 1962 quelques mois avant sa disparition précoce. Les monochromes de Klein bleu, rouge, vert, bleu offrent un contrepoint piquant à ces étendues immaculées. Mais dans sa démarche militante pour un « art immatériel », il affirme « les tableaux ne sont que les cendres de mon art ».

A la suite de leurs explorations communes, ces artistes s’intéressent aux quatre éléments l’air, le feu, l’eau, la terre. Sous l’influence des écrits de Gaston Bachelard, dont l’essai philosophique publié 1938 « La psychanalyse du feu » a marqué son imaginaire, Yves Klein réalise ses « peintures de feux ». Aux prémisses du processus, il allume des feux de Bengale sur des toiles, puis en quête de maîtrise il sculpte la matière avec la flamme de becs de gaz. 











L’exposition aborde des aspects méconnus de l’oeuvre de Klein notamment son projet d’Architecture de l’air avec Claude Parent. Fascinés par les utopies urbaines, ensemble ils se proposent de penser la ville du futur. S’il a peint avec le corps des autres, Yves Klein ne manque pas d’audace en tant que performeur. Son goût de l’action physique et du happening semble valider la réalité d’une photographie de l’artiste chutant depuis un immeuble, « Le Saut dans le vide » datant d’octobre 1960. En réalité, il s’agit d’un photomontage, un collage qui déjà engage une réflexion sur la vérité de l’image. 

Dans l’espace de la galerie Iris Clert, Yves Klein se révèle commissaire d’exposition radical. Il met en scène en 1958 la première exposition sans oeuvre, l’exposition du vide intitulée « La spécialisation de la sensibilité à l’état matière première en sensibilité picturale stabilisée, Le Vide ». Yves Klein collabore au chantier de l’opéra théâtre de Gelsenkirchen en Allemagne où il signe une partie des décors en proposant des fresques toujours en place dans la lignée de ses séries Sculptures éponges et Reliefs éponges. L’exploration de cette nouvelle voie plastique est interrompue par son décès. 

Réseau d’amitiés, d’affinités profondes, création visionnaire, Yves Klein incarne par son oeuvre protéiforme, complexe et engagée, une époque de foisonnement créatif captivante.

Le ciel comme atelier. Yves Klein et ses contemporains 
Jusqu'au 15 mars 2021

Centre Pompidou Metz 
1 parvis des Droits de l’Hommes - 57020 Metz
Tél : 03 87 15 39 39
Horaires : 
- du 1er avril au 31 octobre : lundi, mercredi, jeudi de 10h à 18h - vendredi, samedi, dimanche de 10h à 19h - fermé le mardi
- du 1er novembre au 31 mars : lundi, mercredi, jeudi, vendredi, samedi, dimanche de 10h à 18h - fermé le mardi



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.