Le Cimetière Marin de Sète accroché à la pente méridionale du Mont Saint Clair, se déploie en terrasses régulières entre le fort du Théâtre de la Mer en contrebas et le Musée Paul Valéry sur les hauteurs. La nécropole dont la beauté a inspiré le célèbre poème à l’académicien domine le port à gauche et l’étang de Thau. Le panorama spectaculaire ouvert sur une ville lumineuse et la Méditerranée à perte de vue, lagune turquoise, littoral du Golfe du Lion, confère au cimetière une singulière atmosphère exempte de toute mélancolie. Riches monuments de marbre, sépultures des illustres Sétois invitent à la promenade sous le soleil autant qu’au recueillement. Le Cimetière Saint Charles a été rebaptisé Cimetière Marin en hommage à Paul Valéry le 7 août 1945 peu de temps après son inhumation dans le caveau familial de son aïeul Giulio Grassi (1793-1874), précurseur de l'Unité Italienne. S’il est évoqué par Georges Brassens dans sa chanson « Supplique pour être enterré à la plage de Sète » (1966), le Cimetière Marin n’est néanmoins pas la dernière demeure de l’interprète. Il repose au cimetière Le Py à proximité de la plage de La Corniche.
En 1663, Louis XIV émet le souhait de créer un nouveau port français sur le Golfe du Lion. Son ministre Jean-Baptiste Colbert confie au chevalier de Clerville (1610-1677), ingénieur du roi, une mission de prospection sur la côte languedocienne. Un promontoire sauvage à la sortie de l’étang de Thau retient son attention. La construction du môle Saint-Louis marque les débuts officiels de la ville de Sète, premier ouvrage édifié au bord de la mer qui chemine jusqu’au phare Saint Louis planté à son extrémité. De nos jours, cette jetée assume le rôle de site d’accueil du port de plaisance avec 300 anneaux. Le 29 juillet 1666, la première pierre est posée lors d’une cérémonie de bénédiction dirigée par Monseigneur François du Bosquet, évêque de Montpellier. Cette date sera retenue comme celle de la fondation de la ville.
Le Cimetière Marin est créé entre 1670 et 1687 afin de donner une sépulture aux premiers ouvriers décédés sur le chantier de construction du môle Saint Louis. Au fil des siècles, la nécropole prend de l’ampleur. Les 1064m2 originels s’agrandissent jusqu’à atteindre les quatre hectares actuels par ajouts successifs de parcelles. L’une des plus vastes est destinée à la communauté protestante, qui joue un rôle essentiel dans l’essor de la ville et le développement du port au XVIIIème et XIXème siècle. La diversité des origines des défunts rend compte de l’évolution de la population sétoise, notamment des vagues d’immigration. Plus encore, les sépultures évoquent l’ancrage maritime de la ville telle celle du jeune aspirant Eugène Herbert, tué à Beijing en 1900 lors de la Guerre des Boxers ou encore celles des pilotes disparus en portant à un navire en détresse.
Lieu de recueillement, le Cimetière Marin est devenu également une destination de promenade. Les tombes des hôtes illustres, personnalités originaires de la ville de Sète attirent touristes et visiteurs discrets. La sépulture de Paul Valéry se situe en partie haute du cimetière tandis qu’en partie basse repose l’homme de théâtre Jean Vilar (1912-1971) comédien, directeur du Théâtre National Populaire de 1951 à 1963, fondateur du Théâtre de Mer et créateur du Festival d’Avignon en 1947.
Les ministres dorment éternellement auprès des artistes, Mario Roustan (1870-1942) successivement à la Marine marchande, l’Hygiène, l’Instruction Publique et l’Education Nationale, pas très loin du peintre Pierre François (1935-2007) précurseur de la Figuration Libre. Le Cimetière Marin si bien fréquenté a acquis une réputation de « cimetière des riches » par opposition au « cimetière des pauvres » situé face à l’étang de Thau, le cimetière Le Py où se trouve la tombe de Georges Brassens.
Le long des allées fleuries sont organisées des visites guidées afin de découvrir les trésors architecturaux du cimetière. La chapelle « Les Pleureuses » réputée comme l’une des plus belles sépultures, le caveau en marbre de Carrare de Marie-Rose Goudard reflètent le foisonnement décoratif et artistique de la nécropole.
Cimetière Marin
40 chemin du Cimetière Marin - 34200 Sète
Horaires : du 1er octobre au 30 juin de 8h à 18h - du 1er juillet au 30 septembre de 8h à 19h
Tél : 04 67 74 25 62
Ville de Sète
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
LE CIMETIÈRE MARIN (1920) - Paul Valéry
Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes ;
Midi le juste y compose de feux
La mer, la mer, toujours recommencée
Ô récompense après une pensée
Qu’un long regard sur le calme des dieux !
Quel pur travail de fins éclairs consume
Maint diamant d’imperceptible écume,
Et quelle paix semble se concevoir !
Quand sur l’abîme un soleil se repose,
Ouvrages purs d’une éternelle cause,
Le Temps scintille et le Songe est savoir.
Stable trésor, temple simple à Minerve,
Masse de calme, et visible réserve,
Eau sourcilleuse, œil qui gardes en toi
Tant de sommeil sous un voile de flamme,
Ô mon silence... ! Édifice dans l’âme,
Mais comble d’or aux mille tuiles, Toit !
Temple du Temps, qu’un seul soupir résume,
À ce point pur je monte et m’accoutume,
Tout entouré de mon regard marin ;
Et comme aux dieux mon offrande suprême,
La scintillation sereine sème
Sur l’altitude un dédain souverain.
Comme le fruit se fond en jouissance,
Comme en délice il change son absence
Dans une bouche où sa forme se meurt,
Je hume ici ma future fumée,
Et le ciel chante à l’âme consumée
Le changement des rives en rumeur.
Beau ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change !
Après tant d’orgueil, après tant d’étrange
Oisiveté, mais pleine de pouvoir,
Je m’abandonne à ce brillant espace,
Sur les maisons des morts mon ombre passe
Qui m’apprivoise à son frêle mouvoir.
L’âme exposée aux torches du solstice,
Je te soutiens, admirable justice
De la lumière aux armes sans pitié !
Je te rends pure à ta place première,
Regarde-toi... ! Mais rendre la lumière
Suppose d’ombre une morne moitié.
Ô pour moi seul, à moi seul, en moi-même,
Auprès d’un cœur, aux sources du poème,
Entre le vide et l’événement pur,
J’attends l’écho de ma grandeur interne,
Amère, sombre, et sonore citerne,
Sonnant dans l’âme un creux toujours futur !
Sais-tu, fausse captive des feuillages,
Golfe mangeur de ces maigres grillages,
Sur mes yeux clos, secrets éblouissants,
Quel corps me traîne à sa fin paresseuse,
Quel front l’attire à cette terre osseuse ?
Une étincelle y pense à mes absents.
Fermé, sacré, plein d’un feu sans matière,
Fragment terrestre offert à la lumière,
Ce lieu me plaît, dominé de flambeaux,
Composé d’or, de pierre et d’arbres sombres,
Où tant de marbre est tremblant sur tant d’ombres ;
La mer fidèle y dort sur mes tombeaux !
Chienne splendide, écarte l’idolâtre !
Quand solitaire au sourire de pâtre,
Je pais longtemps, moutons mystérieux,
Le blanc troupeau de mes tranquilles tombes,
Éloignes-en les prudentes colombes,
Les songes vains, les anges curieux !
Ici venu, l’avenir est paresse.
L’insecte net gratte la sécheresse ;
Tout est brûlé, défait, reçu dans l’air
À je ne sais quelle sévère essence...
La vie est vaste, étant ivre d’absence,
Et l’amertume est douce, et l’esprit clair.
Les morts cachés sont bien dans cette terre
Qui les réchauffe et sèche leur mystère.
Midi là-haut, Midi sans mouvement
En soi se pense et convient à soi-même...
Tête complète et parfait diadème,
Je suis en toi le secret changement.
Tu n’as que moi pour contenir tes craintes !
Mes repentirs, mes doutes, mes contraintes
Sont le défaut de ton grand diamant...
Mais dans leur nuit toute lourde de marbres,
Un peuple vague aux racines des arbres
A pris déjà ton parti lentement.
Ils ont fondu dans une absence épaisse,
L’argile rouge a bu la blanche espèce,
Le don de vivre a passé dans les fleurs !
Où sont des morts les phrases familières,
L’art personnel, les âmes singulières ?
La larve file où se formaient les pleurs.
Les cris aigus des filles chatouillées,
Les yeux, les dents, les paupières mouillées,
Le sein charmant qui joue avec le feu,
Le sang qui brille aux lèvres qui se rendent,
Les derniers dons, les doigts qui les défendent,
Tout va sous terre et rentre dans le jeu !
Et vous, grande âme, espérez-vous un songe
Qui n’aura plus ces couleurs de mensonge
Qu’aux yeux de chair l’onde et l’or font ici ?
Chanterez-vous quand serez vaporeuse ?
Allez ! Tout fuit ! Ma présence est poreuse,
La sainte impatience meurt aussi !
Maigre immortalité noire et dorée,
Consolatrice affreusement laurée,
Qui de la mort fais un sein maternel,
Le beau mensonge et la pieuse ruse !
Qui ne connaît, et qui ne les refuse,
Ce crâne vide et ce rire éternel !
Pères profonds, têtes inhabitées,
Qui sous le poids de tant de pelletées,
Êtes la terre et confondez nos pas,
Le vrai rongeur, le ver irréfutable
N’est point pour vous qui dormez sous la table,
Il vit de vie, il ne me quitte pas !
Amour, peut-être, ou de moi-même haine ?
Sa dent secrète est de moi si prochaine
Que tous les noms lui peuvent convenir !
Qu’importe ! Il voit, il veut, il songe, il touche !
Ma chair lui plaît, et jusque sur ma couche,
À ce vivant je vis d’appartenir !
Zénon ! Cruel Zénon ! Zénon d’Êlée !
M’as-tu percé de cette flèche ailée
Qui vibre, vole, et qui ne vole pas !
Le son m’enfante et la flèche me tue !
Ah ! le soleil... Quelle ombre de tortue
Pour l’âme, Achille immobile à grands pas !
Non, non... ! Debout ! Dans l’ère successive !
Brisez, mon corps, cette forme pensive !
Buvez, mon sein, la naissance du vent !
Une fraîcheur, de la mer exhalée,
Me rend mon âme... Ô puissance salée !
Courons à l’onde en rejaillir vivant.
Oui ! Grande mer de délires douée,
Peau de panthère et chlamyde trouée,
De mille et mille idoles du soleil,
Hydre absolue, ivre de ta chair bleue,
Qui te remords l’étincelante queue
Dans un tumulte au silence pareil,
Le vent se lève... ! Il faut tenter de vivre !
L’air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs !
Envolez-vous, pages tout éblouies !
Rompez, vagues ! Rompez d’eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs !
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