Engluée dans le déni du traumatisme, une jeune trentenaire hantée, paumée, erre entre le club de boxe où elle s’entraîne à Paris et la maison de ses parents en banlieue où elle s’est à nouveau installée. Dans la morosité d’un quotidien sans chaleur, elle se laisse dévorer par le mal-être. En elle, deux êtres cohabitent la femme brisée et celle qui s’est relevé la guerrière au corps d’acier, sculpté comme une armure. Ce dédoublement devient rempart à la douleur. Pour survivre elle se rend imperméable aux sentiments, échappement temporaire. Elle entame une liaison torride avec son entraîneur de boxe, fascinée pour son corps et son passé de champion. Mais elle cantonne ses relations avec les hommes au plaisir physique. Elle assouvit des pulsions. Ils n’ont plus de prénom, ces amants sont des numéros, compte à rebours. Le corps est accessible, pas la tête, ni le cœur. Chanteuse, elle a connu un certain succès mais désormais sa voix s’est envolée. Par son désir d’écrire, elle retrouve peu à peu la parole.
Le récit sous-tendu par le trauma de la scène primitive, un viol dans un Formule 1 qui ne sera évoqué que tardivement dans le roman, se fracture sur les réminiscences. Par ses mœurs libérées, l’anti-héroïne tente de reprendre le contrôle, illusions. La liberté sexuelle n’est pas une émancipation. Elle la vit comme une forme de soumission au patriarcat. Dans sa chair, elle ausculte la nature du désir, étude qui se prolonge dans la pratique sportive de la boxe.
Alexandra Dezzi lance des ponts entre le corps à corps amoureux et les affrontements sur le ring. Par ce sport de combat, alternance de défense et d’attaque, elle cherche une échappatoire à la violence en soi mais aussi à sa débâcle personnelle. Le corps violenté devient un outil, de puissance et de vulnérabilité. Objet de dépassement de soi, la chair travaillée devient une armure, carapace formatée par une discipline de fer.
La peur, la douleur deviennent colère dévorante, paradoxalement salutaires et délétères. Les blessures psychiques prennent le corps pour défouloir dans une angoisse de dépossession de soi. Rage inassouvie rejaillit, bagage émotionnel inaltéré. Sur le fil rouge du désir, la narratrice hésite entre maîtrise et lâcher prise, entre soumission au plaisir des hommes et rébellion. Vertige. Pour réparer la psyché fracturée, dépasser l’intranquillité, elle accède enfin à sa colère, grondante, dévastatrice, inapaisée.
La colère - Alexandra Dezzi - Editions Stock
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