Expo Ailleurs : La Fabrique de l'extravagance, Porcelaines de Meissen et de Chantilly - Domaine de Chantilly - Jusqu'au 3 janvier 2021


Au Siècle des Lumières, la passion des cours d’Europe pour « l’or blanc » permet au talent des grands porcelainiers d’éclore. Après avoir longtemps copié imité les productions d’Asie, ils acquièrent technique et savoir-faire et développent un style baroque, rococo exubérant. Lorsqu’ils laissent libre-cours à leur fantaisie créatrice leur production prend une envergure inédite fruit d’une virtuosité couplée à la fantaisie débridée. L’exposition « La Fabrique de l’extravagance, porcelaines de Meissen et Chantilly », conçue par Mathieu Deldicque conservateur au Musée Condé, raconte la formidable épopée de cet art au cœur d’une véritable guerre diplomatique, sujet d’espionnage industriel, objet de rivalité et d’émulation. Le fastueux parcours présente cent-trente pièces étonnantes, spectaculaires, parfois exposées pour la première fois en France, trésors des deux grandes fabriques européennes. La manufacture de Meissen fondée en 1710 en Saxe, par le prince Fréderic Auguste Ier de Saxe, dit Auguste Le Fort (1670-1733) grand électeur de Saxe et roi de Pologne et celle de Chantilly créée vers 1730 par Louis Henri de Bourbon Condé (1692-1740) petit-fils de Louis XIV, brièvement premier ministre de Louis XV tombé en disgrâce. Déployé à travers les Grands appartements princiers du château de Chantilly, l’évènement a été mis en scène par l’architecte new-yorkais Peter Martino, qui a signé la scénographie des nouvelles galeries dédiées à la porcelaine du Musée Zwinger de Dresde. La Grande Singerie, la Galerie des Batailles, luxueusement investies, redeviennent le biotope naturel d’une faune exotique étonnante. Le choix de poser les vitrines sur les meubles Boulle du prince de Condé permet d’évoquer le luxe de ces objets dans leur cadre originel. Fascinant.











Le XVIIIème siècle marque l’âge d’or de la porcelaine. Enjeu financier et diplomatique, lutte de prestige, les délicats objets produits à Meissen et Chantilly célèbrent la puissance de leurs commanditaires. Chef-d’œuvre des arts décoratifs, ils incarnent le raffinement, l’inventivité d’une époque pas dénuée d’humour également. Le succès de la porcelaine chinoise puis japonaise, exportée à grands frais par la Compagnie néerlandaise des Indes orientales dès la fin du XVIIème siècle, donne naissance en France à des fabriques de porcelaine tendre à Rouen puis à Saint Cloud. Les manufactures de Meissen et de Chantilly au XVIIIème siècle affichent dès leur création leur ambition de rivaliser avec l’art des manufactures d’Extrême-Orient mais également d’asseoir le prestige des grands seigneurs fondateurs.

Dès 1708, les artisans de Meissen percent le secret chinois de la porcelaine dure. Ils multiplient les prouesses techniques en concevant des pièces de dimensions spectaculaires. Faute de maîtriser cette technique, à Chantilly, la porcelaine tendre sans kaolin - il ne sera découvert en France qu’en 1768 - permet de reproduire les motifs à succès de Meissen dans des formats réduits. Le prince de Condé place le chimiste Cicaire Cirou, faïencier formé à Saint Cloud à la tête de sa fabrique. Ce maître en la matière met au point le fameux crémeux de Chantilly, un éclat immaculé de la porcelaine obtenu grâce à l’émail d’étain qui lui confère un blanc unique. 

A l’origine, les manufactures européennes se contentent de copier les pièces asiatiques, puisant dans des recueils de modèles. L’illusion atteint un tel niveau, que certains marchands indélicats ajoutent des tampons et vendent les objets produits en Europe pour des pièces asiatiques importées bien plus onéreuses. Chantilly se fait une spécialité des décors Kakiemon. Les objets asiatiques sont transformés, montés au goût occidental telle la paire de chiens Fô présentée au cours de l’exposition qui sera montée en candélabre pour le prince de Condé. 









Les rivalités artistiques entre Meissen et Chantilly, lutte de prestige, les entraînent sur les chemins d’une créativité sans limite. Entre 1740 et 1750, les manufactures européennes s’enhardissent, prennent des libertés, s’émancipent. Les pièces ornées de motifs récurrents fleurs, animaux, oiseaux, singes, éléphants aux anatomies fantaisistes, objets de fantasme, et carlins, race de chiens très en vogue au XVIIIème siècle, sont de plus en plus exubérantes. Illustration de ces inclinaisons, la Grande Singerie du château de Chantilly accueille une forêt dorée dans les branches de laquelle est perchée une multitude de petits primates joueurs. L’omniprésence des motifs exotiques dans la production de porcelaine de cette époque engendre progressivement une dérive vers le kitsch jubilatoire des « chinoiseries », bouddhas ventripotents, moines hilares, imitations fantaisistes des objets produits en Chine.

Dans la Galerie des Batailles, le scénographe a dressé de grandes tentes écarlates pour abriter les merveilles de la collection de Fréderic Auguste de Saxe. Ce souverain, animé par une passion dévorante pour la porcelaine, échange, en 1717, un régiment de dragon contre une centaine de « bleu et blanc » de Chine. Tout au long de sa vie, il aura réuni près de 25 000 pièces parmi lesquelles une commande exceptionnelle de six-cent-cinquante animaux de porcelaine destinés à former une ménagerie et une volière immobiles pour son Palais Japonais de Dresde. Au fil de l’exposition, les oiseaux de la manufacture de Meissen, chef-d’œuvre du modeleur Johann Joachim Kändler très porté sur le réalisme et les scènes naturalistes, révèlent la virtuosité des artisans notamment par leur taille remarquable. Le magnifique perroquet, haut d’1m20, l’une des plus grandes pièces jamais réalisées, aura nécessité sept mois de séchage avant de pouvoir l’enfourner. Il fait partie d’un ensemble de trois grands oiseaux blancs en porcelaine dure. Le défi technique irrésolu de la couleur sur les grandes pièces justifie le choix esthétique du blanc.







 
Clou de l’exposition, une pendule à orgue, sommet d’extravagance décorative, aurait appartenu à la marquise de Pompadour. L’horloge en porcelaine de Meissen d’une hauteur de 1m30 est ornée de quatre-vingt fleurs d’inspiration Chantilly et d’un concert de seize petits singes modelés à Meissen, pièce montée à Paris par Jean-Claude Chambellan dit Duplessis. Spectaculaire !

La Fabrique de l’Extravagance - Porcelaines de Meissen et de Chantilly
Jusqu’au 3 janvier 2021

Domaine de Chantilly
7 rue Connétable Château - 60500 Chantilly
Tél. : 03 44 27 31 80



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.