Expo : A toi appartient le regard et (...) la liaison infinie entre les choses - Musée du Quai Branly Jacques Chirac - Jusqu'au 1er novembre 2020


« A toi appartient le regard et (…) la liaison infinie entre les choses », exposition ambitieuse au titre énigmatique propose un panorama inspiré de la jeune création internationale. Le Musée du Quai Branly Jacques Chirac détient l’un des plus importants fonds d’images contemporaines au monde. Les collections comptent plus de 710 000 œuvres, réunies depuis une quinzaine d’années sous la direction de Christine Barthe, responsable de l'unité patrimoniale des collections photographiques du musée du quai Branly - Jacques Chirac, et commissaire de l’exposition. Consacré à l’image contemporaine, l’évènement s’inscrit dans le prolongement du programme de résidence et de prospection mené depuis sa création. Il place au cœur de la réflexion le rapport que l’artiste entretient à celle-ci et la perception de la personne extérieure qui tourne le regard vers cette image, trouvant ainsi le moyen de concevoir à travers les yeux de l’autre. Vingt-six artistes extra-européens, originaires de dix-huit pays différents, proposent une vision alternative du monde, univers sensibles déclinés sous forme de photographies, d’installations, de vidéos. Fil rouge de l’exposition, les résonances des œuvres entre elles suggèrent des dialogues entamés, les échos des propos et des préoccupations essentielles. Le parcours met en relation des pratiques artistiques, effet de reflet entre les œuvres et les artistes. Une centaine de créations exposées, pièces monumentales spectaculaires, éléments plus intimistes tout aussi intenses, questionnent le rapport à l’image, au monde, à soi-même, la représentation des territoires, la réappropriation du récit historique et politique. 










L’exposition « A toi appartient le regard » met en lumière la politique d’acquisition, de soutien à la scène contemporaine internationale menée par le Musée du Quai Branly Jacques Chirac notamment par le biais de son programme de résidences d’artistes lancé en 2008 ainsi que par la biennale de photographie Photoquai organisée de 2007 à 2015. En douze ans, trente-cinq lauréats ont été choisi et cinq-cents tirages produits. Christine Barthe, commissaire de l’exposition, a noué des liens profonds avec les vingt-six artistes présents. Le rôle prescripteur du Musée du Quai Branly a permis de faire entrer certaines de leurs œuvres dans les collections nationales. 

« A toi appartient le regard et (…) la liaison infinie entre les choses » célèbre les arts visuels et la pluralité des expériences menées par les artistes. L’exposition emprunte son titre à un texte de l’écrivain allemand August Ludwig Hülsen (1765-1809), extrait cité dans « La lettre de Humboldt : du jardin paysager au daguerréotype » de Roland Recht, paru en 1989. En 1800, Hülsen décrit son expérience visuelle lors d’un voyage sur les bords du Rhin en Suisse. Il s’interroge sur le regard photographique et l’idée de percevoir le monde par les yeux des autres. La mémoire enracinée par ces images véhicule des idées. Les images comme autant de représentations formulées par le photographe sont réappropriées à leur tour par ceux qui les regardent. 

Dès lors, les deux grandes questions posées par l’exposition seront : Qui regarde ? Comment ? L’image interroge la réalité et aborde l’histoire par un biais nouveau. Elle traduit les traumas et permet d’envisager un rétablissement, vecteur d’un message, d’un engagement. Par son intention, l’artiste se réapproprie le récit culturel et politique et altère la vision de nous-même. Les notions de beauté, de sensibilité, d’émotion sont explorées dans une altérité qui mêle la mémoire réelle, celle préservée, celle sauvée de l’oubli, ou encore celle effacée qui trouve ici à se réinventer. 











Préambule puissant, l'oeuvre spectaculaire SIXSIXSIX de l’artiste camerounais Samuel Fosso, installation labyrinthique composée de 666 autoportraits pris au Polaroïd, ouvre l’exposition. L’accrochage vertigineux, mur de visages, troublant est présenté pour la première fois dans son intégralité. Quinze jours ont été nécessaires pour la mise en place. L’exposition interroge la pratique artistique, dans sa forme même mais également dans le rapport de l’artiste à son contexte. La scénographie imaginée par Pascal Rodriguez comme une invitation à la déambulation incarne cette liberté. Elle se fait évocation intuitive, immersive et souligne les correspondances des thématiques, les rapprochements possibles entre les démarches. 

Le photographe sud-africain Guy Tillim documente les paysages urbains de sa ville natale de Johannesburg. Il la saisit dans son quotidien le plus cru. Sans fard, il rend compte de la vie réelle et de l’évolution des environnements. Empreintes d’une puissante poésie, les œuvres s’inscrivent dans un territoire, ville ou nature intouchée. Le lieu projette un éclairage particulier. « The Black Photo Album / Look at me » de Santu Mofokeng, artiste sud-africain décédé en janvier 2020, à qui l’exposition est dédiée, déploie un dispositif en diaporama constitué de photographies oubliées de la bourgeoisie noire sud-africaine du début du XXème siècle. L’histoire de son pays, la place de l’individu dans la société, l’identité sont autant d’éléments qui permettent de recomposer des récits, de penser de manière nouvelle le rapport aux images, à l’héritage historique qu’elles nous transmettent.











L’oeuvre « Crossing the Farther Shore » (2014) de Dinh Q Lê, artiste d’origine vietnamienne convoque le souvenir douloureux de sa famille contrainte à l’exil par les Khmers rouges du Cambodge. L’installation suggère le possible retour au pays natal afin d’en retrouver la mémoire perdue. Dinh Q Lê a réuni des milliers de photographies appartenant aux familles de réfugiés, déportées par les Khmers rouges en 1978, qui ont échappées à la destruction. Papillons fragiles, souvenirs arrachés, les images suspendues nous parle de la douleur du déracinement, d’exode mais aussi de la richesse des liens humains.

Parallèlement, « The Colony », oeuvre vidéo de 2016, s’intéresse aux conséquences incongrues du Guano Island Act promulgué par les Etats-Unis en 1856 pour dénonce l’impérialisme du pays et les effets du commerce international. Au XIXème siècle, les vertus du guano d’oiseaux marins en font un engrais naturel précieux très largement utilisé en Europe et aux Etats-Unis. Le décret promulgué par les Etats-Unis valide un droit de préemption sur toute île inhabitée du Pacifique sur laquelle la récolte du guano, aurait été possible. Aujourd’hui si le guano n’intéresse plus les Américains qui lui préfèrent les solutions de la chimie, le pays demeure propriétaire de cailloux perdus en plein océan et peuplés uniquement d’oiseaux.

L’installation de l’Australien Brook Andrew zèbre les cimaises d’un néon lumineux d’une modernité tapageuse qui éclaire la projection vidéo d’images anciennes associées librement afin d’en souligner le sens. Ode à la liberté, les clés de décryptage des images se trouvent à la fois dans les éléments biographiques que dans l’expérience singulière de chacun. 










L’exposition souligne le lien entre chaque création et suggère de poser un œil neuf sur le monde. Sensible au pouvoir des images, l’artiste franco-algérienne Katia Kasseli présente trois œuvres vidéos « The Story Teller », « Le Roman algérien » chapitres 1 et 2 qui racontent l’Algérie par les initiatives quotidiennes de ses habitants. Les mises en scène de la jeune photographe congolaise Gosette Lubondo qu’elle appelle ses « voyages imaginaires » investissent les espaces abandonnés pour inventer des reconstitutions. Histoire coloniale, mémoire vive des conflits récents, elle convoque les disparus, les âmes de ceux qui ont été. 

Le Mexicain, Yoshua Okon questionne l’absurdité de la réappropriation de la culture amérindienne par les habitants de la petite ville de Showhegan aux Etats-Unis alors que l’histoire même de cette région s’inscrit dans la spoliation, le massacre et finalement la disparition des populations américaines autochtones. Témoins de leur quotidien, de leur histoire mais aussi des changements radicaux de nos sociétés, les artistes remettent en question notre rapport au monde et à notre environnement. Ils embrassent les combats contemporains contre les discriminations, pour un rétablissement de la mémoire mais également lanceurs d’alerte dans la crise écologique. 

Le colloque « Re-garder », du 1er au 2 octobre programme des conférences, des dialogues et rencontres, en présentiel ou en distanciel, en compagnie des différents intervenants de l’exposition afin de renouer le lien entre les œuvres, les artistes et le public. 

A toi appartient le regard et (...) la liaison infinie entre les choses - Jusqu'au 1er novembre 2020

Musée du Quai Branly Jacques Chirac
37 quai Branly - Paris 7
Tél : 01 56 61 70 00
Horaires : lundi, mardi, mercredi et dimanche de 11h à 19h, jeudi, vendredi et samedi de 11h à 21h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.