Lundi Librairie : A la source, la nuit - Seyhmus Dagtekin



L’auteur se souvient de son enfance dans un village isolé au milieu des montagnes du Kurdistan turc. Un monde hors du temps, sans électricité, sans eau courante, sans radio ni télévision non plus, sans livres ni écriture. Il évoque un peuple de bergers et de contrebandiers qui, à la nuit tombée, parcourt la vallée à cheval. L’existence est rythmée par les saisons, les étés suffocants, les hivers rigoureux. La nature indomptée inspire des légendes qui terrifient les plus petits. Les Anciens dispensent leur sagesse, clés et rituels protecteurs d’une mystique ancrée dans la terre dont elle est issue. Un dragon habite la source. Les djinns se mêlent aux humains. La vie de tous les jours est rythmée par une mythologie où les contes se mêlent aux peurs, aux dangers plus tangibles, les bêtes inquiétantes qui rôdent à l’orée du village, l’aridité des terres sauvages, les disettes. A travers le regard de l’enfant qui grandit, le village qui paraissait grand retrouve les proportions modestes de la réalité. Les métamorphoses personnelles soulignent celles d’une société rurale reculée qui sera bouleversée par la construction d’une école, l’arrivée d’un instituteur et la scolarisation obligatoire.

Premier roman du poète et écrivain Seyhmus Dagtekin publié en 2004, cette puissance évocation de son enfance embrasse le récit personnel pour toucher à l’universel. Le village vit presque en autarcie et son quotidien qui semblait immuable, ancré dans une temporalité parallèle va être bouleversé par la puissance de la modernité en marche. L’auteur pose un regard sensible sur ce qu’il décrit comme le monde d’avant, avant les livres, avant l’écriture, avant la ville et la rencontre avec la modernité.

Seyhmus Dagtekins s’inspire de son itinéraire d’artiste singulier, pour repousser l’idée des « destins figés, des identités assignées ». Né en 1964 dans une petite bourgade kurde du sud-est de la Turquie, il fait partie de la première génération à être scolarisé. Il poursuite des études de journalisme et de communication à Ankara puis rejoint son frère en France en 1987. Désormais écrivain parisien, lors de la parution de ce premier roman, il a déjà publié quatre recueils de poésie en français écrit en français sa langue d’adoption.  

« A la source, la nuit », langue opulente, virtuose, musicalité vibrante dans la veine d’une tradition orale ancestrale préservée tient du long poème en prose. Le texte parcouru de signes, de symboles, de signes s’inscrit à la fois dans l’imaginaire intime et la mémoire collective. La souplesse du style rappelle la fluidité du chant. Le souffle lyrique du texte introduit une dimension onirique dans ce quotidien difficile, une profondeur fantasmagorique qu’incarne les mythes racontés par les Anciens qui dispensent leur sagesse. 

Le récit contemplatif saisit au vol des instantanés de vie, des bribes de moments lumineux. L’enfance et sa capacité d’émerveillement intacte confère une grâce particulière aux imaginaires décryptés dans un foisonnement d’images. L’abondance de couleurs, d’odeurs, de sons redonne chair au souvenir, tableau impressionniste peint par petites touches vives. Fantaisie et fulgurances, l’expérience étrange autant que fascinante de ce roman invite le lecteur au rêve éveillé.

A la source, la nuit - Seyhmus Dagtekin - Editions Robert Laffont et réédition Le Castor Astral



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.