Face caméra ou en voix off, personnalités et anonymes se confient. Ils livrent des bribes de souvenirs, évoquent le temps qui passe. Le comédien Vincent Dedienne se remémorent ses premières amitiés, son désarroi face à un ami blessé par la vie. Un ouvrier proche de la retraite s’inquiète de toutes ses années envolées dont personne ne gardera la mémoire. Le journaliste sportif Vincent Duluc, le dessinateur Stéphane Manel nous parlent de leur vocation. Alain Souchon s’émeut en découvrant la déclaration d’admiration et d’amitié de Vincent Delerm. Ce dernier raconte les visites à sa grand-mère, de son goût pour les colliers, de sa vie solitaire dans un bel appartement parisien où régnait une odeur de tabac. Un collectionneur de moments raconte ses agendas, chaque jour soigneusement annotés depuis 40 ans. Aloïse Sauvage danse et se rappelle son père qui était si fort au flipper. Un enfant évoque son amour pour le football et les chiens. Jean Rochefort, disparu le 9 octobre 2017, tourne la toute dernière scène de sa longue carrière de comédien en compagnie de Vincent Delerm dans une ruelle improbable à Saint-Ouen.
Premier long-métrage de l’auteur-compositeur-interprète Vincent Delerm, cet objet filmique inclassable oscille gracieusement entre le documentaire et la rêverie existentielle. L’oeuvre est si particulière que le tournage débuté à l’automne 2015 a été interrompu faute de moyens. Repris plus tard, le réalisateur a repensé le film dans son ensemble. Liberté de la forme, esthétique du flottement, « Je ne sais pas si c’est tout le monde » s’attache à saisir l’essence de nos vies en magnifiant les détails du quotidien, en soulignant le sens et la dimension onirique des éléments anodins. Il existe une filiation sensible manifeste entre le travail musical de Vincent Delerm et celui de sa mise en images.
Il filme avec empathie des intervenants dont les confidences révèlent émotions et sensations. La narration diffractée, juxtaposition de courtes séquences, rend sensible le lien tendu entre les êtres, cette même condition humaine. L’essentiel et le superflu s’incarnent dans les incertitudes d’une intimité rendue universelle, travail de mémoire qui interroge le rapport aux autres.
Le développement fragmenté convoque les imaginaires de chacun et suggère les éléments communs à tous. Par leur confession, ils posent avec sincérité des mots sur l’enfance, l’adolescence, l’amour et le désir, la filiation, les parents, les grands-parents. Les intervenants qui s’expriment mettent leur expérience personnelle au service d’une intention poétique. Ils témoignent de leur propre façon de voir et de ressentir les événements minuscules du quotidien, les expériences intimes qui nous forgent.
Vincent Delerm tente de comprendre les émotions, le vécu de ceux qui même proches nous seront toujours profondément étrangers. Il tente de saisir l’altérité et les similarités. Dans un temps suspendu, le film terriblement émouvant, troublant, presque abstrait, illustre un goût des belles images, celui de la poésie et d’une certaine mélancolie. Délicieusement poignant.
Je ne sais pas si c’est tout le monde, de Vincent Delerm
Avec Alain Souchon, Jean Rochefort, Aloïse Sauvage, Vincent Dedienne
Sortie le 23 ocotobre 2019 sur Arte
Disponible sur OCS
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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