Portrait de Parisien : Retro Graffitism, art urbain narratif, oeuvre graphique et colorée



En quelques années, Retro est devenu l’un des street artists incontournables de l’Est parisien. Palette chromatique très pop, turquoise et fuchsia en tête de gondole, ce graffeur singulier déploie des talents de conteur rares. Récit fragmenté, invitation au voyage, chacune de ses interventions complète les précédente, comme la vignette d’une sorte de grande bande-dessinée à même les murs. A contrario de la plupart des artistes intervenant dans la rue, Retro ne travaille pas sur la répétition du motif. Il renouvelle sans cesse sa production. Il préfère se laisser porter par l’envie d’expérimenter, d’explorer les pistes ouvertes par une réflexion plus vaste. Malgré le regard curieux et l’intérêt sincère des habitants, l’art urbain sans autorisation demeure une pratique illégale qui engendre des contraintes particulières pour les graffeurs, urgence du procédé, furtivité, dimension éphémère des œuvres. Le street art requiert de confronter sans filtre, la création au quotidien des gens, projection dans l’espace public en prise directe avec le réel. Les fresques de Retro, réalisées au pinceau et à l’acrylique, rencontrent la bienveillance des riverains qui n’associent pas cette technique à la dégradation. Elle s’avère d’ailleurs plus écologique que la bombe aérosol. Les pots sont recyclables et les émanations moins toxiques. Arguments auxquels, Retro, père de famille et citoyens du monde est sensible. 










Né en 1974, Retro habite et travaille à Paris où il vit de son art depuis peu, équilibre délicat. Son premier souvenir décisif concernant l’art urbain date des années 1980. Il a environ 12 ans lorsqu’une fresque à Fontenay attire son attention. Entre illustration et technique du lettrage, elle représente une carte du monde légendées par les noms et les drapeaux de chaque pays. Le jeune garçon ressent une émotion particulière face à cette intervention vandale, esthétique et signifiante. Interpellé par cette forme d’expression, il se plonge dans la lecture des premiers ouvrages iconiques dédiés au street art, Subway Art paru en 1984 qui documente la naissance du graffiti à New York et Spraycan Art publié en 1987, illustrant la propagation mondiale du mouvement. 

Retro y puise la motivation pour descendre à son tour dans la rue se réapproprier les murs de la ville entièrement dévolus à la publicité, aux messages autorisés du consumérisme ambiant. Il fait ses débuts dans les années 1990, sous le pseudonyme de Toons en référence aux cartoons de son enfance. Mais la bombe aérosol révèle très vite la difficulté technique de sa maîtrise. En 1991, à l’occasion de la journée mondiale contre le Sida, il rejoint au Trocadéro des amis graffeurs invités à créer une grande fresque commune sur une bâche. Cette toute première tentative est selon ses propres termes « une catastrophe ». Il n’abandonne pas et s’entraîne inlassablement dans les friches, terrains vagues. Très vite lui vient l’envie de s’exercer sur de grands espaces, des surfaces toujours plus vastes.

A cette époque, autodidacte, sans formation académique classique, il est passionné de dessin et d’animation. Il tente deux fois le concours de l’Ecole des Gobelins. Sans succès. Mais jusqu’en 1996, il poursuit son exploration plastique des espaces urbains en compagnie de deux camarades Format et Weiss du groupe KCA. Lettrages calibrés, compositions symétriques, cette catégorie du graff combine l’épure du trait et la sophistication de la typographie. Retro / Toons y fait l’apprentissage de la maîtrise du mouvement, du volume, de la forme finale. 










Peu à peu, il délaisse la rue. Il poursuit sa recherche plastique loin des murs, en atelier. Il ne cesse jamais de peindre, attirer par l’abstraction, le travail sur la matière, la texture. Il expérimente la sculpture, le bois. En parallèle, il mène une carrière graphiste dans une agence de communication web où il est confronté à des courants esthétiques très variés qui lui permettent d’enrichir son vocabulaire plastique. Typo, photo de mode, art contemporain, graffiti, les univers se télescopent dans l’oeuvre par laquelle Retro retranscrit l’ensemble de ses expériences esthétiques.

Après quinze ans d’abstinence, la nostalgie de la rue le prend. Retro se joint aux sorties du crew TRBDSGN pour retrouver les sensations des années 1990. En 2012, il imagine le concept Retro Graffitism, inspiré du mouvement Rétro Futuriste, Steampunk, concept qui lui donne son nouveau pseudo d’artiste de rue. Dans cette nouvelle approche, il joue avec les motifs historiques, les esthétiques propres à chaque époque et les anachronismes, mêlant dans un bain inspirationnel ses expériences de graphiste, de graffeur et d’artiste.  Retro produit des fresques très colorées à l’identité visuelle forte. Les motifs complexes combinent éléments géométriques et figuration, multiplient les références, Egypte antique, Japon féodal, Russie des années 1920, Etats-Unis des années 1950, mâtiné d’une bonne dose de science-fiction. Ce grand remix des cultures populaires, des traditions du monde entier ouvre la voie vers des imaginaires synthétiques accessibles à tous 

Retro puise dans l’iconographie de la bande-dessinée, du cinéma. Il se plonge dans des livres d’art, d’architecture, de design et nourrit ses concepts narratifs de ses lectures, romans, essais, philo. Il approche chaque thématique nouvelle par la réflexion préalable, cherchant à transmettre aussi bien l’émotion que les interrogations.










Porté par des préoccupations environnementales, Retro n’utilise plus de bombe aérosol. Il privilégie le pinceau et la peinture acrylique dont la couvrance est idéale pour la rue. L’usage de la couleur lui permet de capter le regard. Mais son bleu signature, un turquoise vibrant est le résultat d’un heureux hasard. Lorsqu’il débute son travail à l’acrylique, Retro rachète à un ami un lot en déstockage de pots de peinture d’un vert pomme hideux. Il y ajoute des colorants bleus. Seule peinture dont il dispose alors, cette marque de fabrique résulte d’une nécessité matérielle élémentaire. Comme Picasso et sa période bleue en somme.

Néanmoins, pour sa première exposition en galerie, Retro n’utilisera pas cette teinte. Par la couleur, il crée des ambiances des atmosphères volontiers pop qui complète sa quête de la forme et du trait. Il documente cette progression grâce notamment à Instagram. Rue et atelier sont complémentaires. En amont, le travail en atelier axé sur l’expérimentation de la composition, de la couleur, de la lumière, permet de faire évoluer la technique et passer des caps dans la rue.











Sur le fil de son concept de Retro Graffitism, l’artiste imagine la série Rétropolis qui raconte l’histoire des différents quartiers d’une ville fictive. Chacun procède d’une esthétique architecturale et culturelle élaborée en croisant de façon inattendues les influences plastiques, les courants artistiques. Le quartier d’Ortopark trouve l’inspiration dans une atmosphère de parc d’attraction vintage. Cette fête foraine américaine, typique des années 1950 avec montagnes russes, chapiteaux, est peuplés de forains russes. En écho à leurs origines, une hybridation de l’architecture donne naissance de bâtiments aux toits en bulbe, typiques des églises orthodoxes.

Le quartier de Vootham est, quant à lui, ancré dans le style art déco des années 1930. L’architecture d’influence paquebot ou Streamline Moderne rend hommage aux travaux de Hugh Ferriss (18889-1962), architecte et illustrateur dont les dessins ont inspiré Gotham City ou Metropolis. Cette base architecturale est croisée avec des éléments iconiques de la culture vaudou, couleurs, symboles, mythologie. Dans la série Rétropolis, l’artiste nourrit l’idée d’une ville haute et d’une ville basse, un concept de strates urbaines qui rappelle le système de caste souvent utilisé dans les films d’anticipation. 










Retro dissémine les œuvres à travers l’est parisien XXème, XIXème, XIème arrondissements Belleville, Ménilmontant, Oberkampf. Ces dernières années, il a multiplié les collaborations. Il a notamment réalisé de nombreuses fresques en duo avec son complice, Hobz. A rythme soutenu, ses interventions conservent une cohérence déterminée par le récit, l’ambition du graffeur de générer des mondes complexes. Motifs sophistiqués, dessins détaillés, chaque intervention est unique. La précision de la méthode, l’équilibre des lignes que renforcent les aplats de couleurs s’incarnent in sitù. L’art urbain procède d’un prélèvement du réel essentiel. Le mur est à la fois support et matière de l’oeuvre. Les lézardes, les défauts, les altérations du temps deviennent autant d’éléments plastiques à intégrer. En intervenant sur le tissu urbain à un niveau élémentaire, l’artiste modifier radicalement la géographie sensible de la ville, embrassant la dimension sociale de cette discipline. 

Récemment, Retro a une nouvelle fois muté, explorant une voie stylistique alternative. Il a réalisé des fresques japonisantes inspirées par l’univers graphique de Samurai Champloo au graphisme très différent. Au cours de l’année 2018, il a orienté son travail vers des séries littéraires. Elles prolongent une réflexion sur le motif du pacte avec le diable, que Retro a retrouvé dans trois ouvrages, Faust de Goethe, Macbeth de Shakespeare, Dorian Gray de Wilde.  


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Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.