Paris : Van Gogh à Montmartre, les flâneries de Vincent sur la Butte - XVIIIème



Lors de son séjour à Paris, de début mars 1886 à février 1888, Vincent van Gogh (1853-1890) prend ses quartiers au cœur de Montmartre, lieu de bohème et d’avant-garde artistique. Cette période, durant laquelle il peint plus de deux-cents tableaux, est décisive pour l’artiste. Il a envie d’apprendre, de se confronter à la modernité des impressionnistes, des pointillistes, des symbolistes. Au contact de ces mouvements, Vincent van Gogh libère son vocabulaire plastique, laisse s’exprimer un goût pour la couleur et la lumière. Durant cette période parisienne d’expérimentation et de recherche constante, il appréhende toute la diversité de la Capitale. Cet éclectisme s’illustre par la variété des sujets, paysages bucoliques ou scènes furieusement urbaines, portraits de ses proches, banlieue proche et cœur historique. Lorsqu’en 1886, Vincent van Gogh rejoint à Paris son frère cadet, Théo, marchand d’art, le peintre est séduit par le charme préservé de la Montmartre. Annexé à Paris en 1860, le village champêtre perché sur une colline déploie des paysages de campagne paisible sur ses hauteurs, jardins-potagers, maisons modestes, friches, célèbre maquis et carrières de gypse. Au pied de la Butte, le quartier populaire, plus urbanisé, multiplie les cabarets, bals et hôtels louches comme autant de lieux interlopes de la vie nocturne. Van Gogh à Montmartre va se découvrir et révéler un talent qui explosera dans le Sud. 


La Colline de Montmartre 1886 Vincent van Gogh

La Colline de Montmartre 1886 Vincent van Gogh

Vue de Montmartre et de ses moulins 1886 Vincent van Gogh


Jardins potagers à Montmartre 1887 Vincent van Gogh

Jardins potagers à Montmartre 1887 Vincent van Gogh

Jardins potagers à Montmartre 1887 - Vincent van Gogh


Négociant en art, formé dans les succursales de Bruxelles et La Haye de la maison Goupil & Cie depuis 1873, Théo van Gogh est transféré, fin 1880, début 1881, à Paris. Il officie désormais pour la galerie mère. Vincent et Théo entretiennent une relation fraternelle fusionnelle. L’abondante correspondance entre les deux frères offre un éclairage précieux sur le travail du peintre, témoignage unique sur la vie et les pensées de l’artiste. 

Bientôt, Théo devient le gérant de la galerie Boussod, Valadon & Cie, les successeurs de Goupil & Cie. Vincent lui rend visite et à l’invitation de son frère, il s’installe à Paris de façon plus pérenne. Paris et Montmartre forment l’épicentre de l’avant-garde artistique en Europe. Peintres, sculpteurs, poètes, romanciers venus du monde entier s’y rejoignent, attirés par le foisonnement des inventions et la bohème qui prend une dimension mythologique. Vincent van Gogh marque un intérêt particulier pour le travail des néo-impressionnistes. L’ébullition intellectuelle est intense et le bouillonnement des nuits montmartroises n’est pas en reste.


Abri à Montmartre 1886 Vincent van Gogh
Chemin en pente à Montmartre 1886 - V. van Gogh



Crépuscule avant la tempête 1887


A son arrivée à Paris, Vincent van Gogh travaille sous l’influence des maîtres néerlandais ou encore de son cousin Anton Mauve pour lequel il éprouve une profonde admiration. Palette sombre, teintes terreuses, ses tableaux s’ancrent dans un réalisme grave. A Montmartre, auprès de ses nouveaux amis, il se révèle à lui-même. Les expérimentations par lesquelles il s’attache à saisir les variations plutôt que la réalité, apparaissent à posteriori comme le travail préparatoire exquis, les prémisses de ce que seront ses grandes œuvres à venir. Dans une lettre à Horace Mann Livens, il écrit en 1886 : « Et, mon cher camarade, ne perdez pas de vue que Paris, c’est Paris. Il n’y a qu’un Paris, et bien que la vie y soit difficile, et même si cela devait s’aggraver, devenir encore plus difficile, l’air de France éclaircit les idées et fait du bien, beaucoup de bien. »

Lorsque Vincent rejoint Théo, ils demeurent au 25 rue Laval rebaptisée Victor Massé en 1887, à deux pas du cabaret du Chat Noir plutôt du côté de Pigalle, à deux pas du cabaret du Chat Noir. Le logement modeste s’avère peu commode pour le peintre. Les deux frères déménagent en mai 1886, au 54 rue Lepic, au troisième étage d’un immeuble de rapport typiquement parisien, dans un appartement doté d’un espace qui sera dédié à l’atelier du peintre. Dans sa chambre sous les toits, Vincent van Gogh profite d’une vue panoramique sur la ville. La rue Lepic en bordure de maquis marque le basculement entre haut et bas Montmartre, entre ville et campagne.  Vincent van Gogh y trouvent certains de ses motifs préférés. Il peint des séries dédiées à la Butte Montmartre, le Moulin de la Galette, les scènes de rue villageoise, les jardins, les friches et les carrières côté Haut Montmartre, une ville bouillonnante et urbanisée côté Bas Montmartre. Ces œuvres éclairent l’évolution du style, le renouvellement esthétique inspiré par les artistes qu’il croise.   


Vue de Paris depuis Montmartre 1886 Vincent van Gogh

Vue sur les toits de Paris 1886 Vincent van Gogh

Boulevard de Clichy 1887 Vincent van Gogh

Le Moulin à poivre 1887 Vincent van Gogh

Scène de rue à Montmartre 1887 Vincent van Gogh

Terrasse de café à Montmartre, la guinguette 1886 Vincent van Gogh


Au début de son séjour parisien, Vincent Van Gogh suit, durant trois mois, des cours à l’atelier du peintre Fernand Cormon, école privée au 104 boulevard de Clichy fondée en 1883. Il y fait la connaissance de Louis Anquetin, Emile Bernard, Charles Angrand, Henri de Toulouse-Lautrec, John Peter Russell. Théo van Gogh lui présente Georges Seurat Camille Pissarro, Paul Gauguin, Paul Cézanne, Henri Rousseau. Le peintre achète ses couleurs dans la boutique du père Tanguy, ancien communard qui expose dans sa modeste vitrine, de jeunes artistes prometteurs. Il sympathise avec Paul Signac.

Dans la galerie du marchand Delarbeyrette, rue de Provence, Vincent van Gogh découvre les œuvres de Monticelli, qui l’incite à peindre hors de l’atelier. En blouse d’ouvrier, il arpente les rues de Paris matériel de peinture et toile sur le dos, « petit musée ambulant où toutes les émotions de sa journée étaient captées» selon son ami Emile Bernard. Flâneur invétéré, il parcourt rues et campagne. Il peint le Moulin de la Galette, l'île de la Grande Jatte, les berges devant le Louvre, le jardin des Tuileries, le pont Neuf, le pont de Saint-Michel, le bois de Boulogne mais aussi la banlieue, Asnières, Clichy, Chatou…


Le Moulin de la Galette 1886 Vincent van Gogh

Le Moulin de la Galette 1886 Vincent van Gogh

Le Moulin de la Galette 1886 Vincent van Gogh


A la galerie Bing, toujours rue de Provence, future Maison de l’Art Nouveau ou Maison Bing, Vincent van Gogh se prend de passion pour les estampes japonaises. Grand diffuseur du japonisme en France, Siegfried Bing, marchand d'art, collectionneur, critique d'art et mécène, expose également des artistes de l’avant-garde, comme Edvard Munch, Antonio de La Gandara, Édouard Vuillard, Maurice Denis, Camille Claudel, Paul Signac. 

Pour Vincent van Gogh, une première tentative d’exposition, au restaurant La Fourche se solde par un échec cuisant. Très impulsif, convictions ancrées au corps, idées très personnelles sur l’art et la marchandisation, le peintre provoque une altercation avec le gérant. Quand il a besoin de calme pour contenir ses mouvements d’humeur, il rejoint son ami Armand Guillaumin installé dans l’ancien atelier de Daubigny sur l’île Saint Louis. 



Le Moulin Blute-fin 1886
Le Moulin Blute-fin 1886





Le Moulin de la Galette 1886 



Terrasse du Moulin Blute-fin 1886
Moulin Blute-fin 1886




Le Moulin de la Galette 1886


A Montmartre, Vincent van Gogh prend ses habitudes au Café de la Mère Bataille rue des Abbesses où il découvre l’absinthe. Il fréquente le cabaret Au tambourin et devient l’amant de la patronne Agostina Segatori. Elle l’introduit auprès d’une clientèle contrastée d’artistes bohèmes en tout genre. Dans cet établissement est organisée une exposition commune réunissant le travail de Louis Anquetin, Emile Bernard, Toulouse-Lautrec, Gauguin et Vincent van Gogh. Ils se baptisent groupe du Petit Boulevard en clin d’œil à un autre groupe celui de la galerie du boulevard Montmartre, le grand boulevard, là où Théo Van Gogh expose Sisley, Degas, Pissarro ou Seurat. 

A Paris, la technique de Vincent van Gogh évolue. Il invente une touche personnelle, synthèse des avant-gardes, trouve une forme de liberté dans la composition, une nouvelle aisance et une beauté brute. L’évolution de sa palette chromatique traduit un goût naissant de la couleur. Ses paysages mélancoliques traduisent une sensibilité pas exempte de mélancolie. Vincent van Gogh expérimente la technique des aplats colorés du cloisonnisme de Louis Anquetin et Emile Bernard. Au néo-impressionnisme, il emprunte les théories de la lumière, la division des tonalités selon Pissarro, la vivacité des tons et la fragmentation du motif selon Signac.  



Vue depuis la fenêtre 1887
Vue depuis la chambre 1886




Absinthe 1887 Vincent van Gogh


Autoportrait 1887 Vincent van Gogh
Portrait du père Tanguy 1887



En compagnie de Toulouse-Lautrec, il explore l’expressivité du portrait. Vincent van Gogh représente ses proches, des commerçants du quartier, se peint lui-même. Sa production en ce domaine est abondante, il signe près d’une quarantaine de portraits en deux ans. A l’instar de Toulouse-Lautrec toujours et d’Anquetin, il dessine directement avec la couleur pure des estampes japonaises. Synthèse des influences, styles et procédés, il rend visible la trace du pinceau, le mouvement, joue de la touche appuyée héritée de Claude Monet

Le jaune, le bleu, le vert déjà, Vincent van Gogh rêve de Méditerranée, de couleurs vibrantes, de soleil, de Provence. En février 1888, il quitte Paris pour Arles. Le 20 juin 1888, il écrit à sa sœur Wilhemina : "J'ignore quelle impression Paris pourrait faire sur toi. La première fois que je l'ai vue, j'ai senti surtout les choses tristes… Et cela m'est longtemps resté, bien que j'aie fini, plus tard, par comprendre que Paris est une serre chaude d'idées, et que les gens cherchent à tirer de la vie tout ce qu'il est possible d'en tirer. Auprès de cette ville-là, toutes les villes deviennent petites : Paris semble grand comme la mer. Mais on y laisse toujours un grand morceau de la vie."



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Connaissance du Vieux Paris - Jacques Hillairet - Editions Rivages 
Le guide du promeneur 18è arrondissement - Danielle Chadych et Dominique Leborgne - Parigramme

Sites référents