Paris : Musée Cognacq-Jay, destinée d'une collection particulière, délice des arts du XVIIIème siècle - IIIème



Le Musée Cognacq-Jay abrite entre ses murs élégants la collection d’œuvres du XVIIIème siècle réunie par Ernest Cognacq (1839-1928) et son épouse Marie-Louise Jay (1838-1925), fondateurs des grands magasins de la Samaritaine. Niché depuis 1990 au cœur d’un hôtel particulier du XVIème siècle, l’établissement muséal déploie ses charmes intimistes à travers une succession de boudoirs richement décorés de lambris ouvragés et autres boiseries précieuses. Le cliquetis des précieuses horloges marque le temps. Le grincement des parquets est assourdi par les tapis bleus imaginés par Christian Lacroix, grand amateur du Siècle des Lumières, à l’occasion d’une carte blanche en 2015. Dans une atmosphère feutrée composée pour la recevoir, la collection Cognacq-Jay rend compte de la diversité de la création artistique du XVIIIème siècle. De nos jours, cet ensemble exceptionnel semble souligner le regard des collectionneurs du début du XXème porté sur le Siècle des Lumières. Musée de la Ville de Paris, l’accès aux collections permanentes du Musée Cognacq-Jay est gratuit toute l’année. 











Figures de la Belle Epoque, philanthropes à l’origine de nombreuses œuvres sociales, le couple Cognacq-Jay s’est illustré par un sens des affaires redoutable et une réussite spectaculaire. Lorsque le père d’Ernest Cognacq décède, le jeune garçon de 11 ans interrompt ses études. Il devient commis dans différents magasins de nouveautés à La Rochelle, Rochefort puis Bordeaux avant de rejoindre Paris. Il a alors 15 ans. 

En 1856, Ernest Cognacq est embauché au magasin de La Nouvelle Héloïse où il fait la connaissance de sa future épouse, Marie-Louise Jay, vendeuse originaire de la Savoie. Un an plus tard, à son compte à tout juste 18 ans, il ouvre une boutique rue de Turbigo Au petit bénéfice. A la suite de mauvaises affaires, il est contraint de fermer rapidement. Devenu camelot des rues, il occupe la seconde arche du pont Neuf où ses talents de vendeur lui confère un certain succès. Il réunit suffisamment d’argent pour louer à partir de 1870 un local étroit qui lui sert de nouveau magasin et qu’il baptise La Samaritaine. Ernest Cognacq épouse Marie-Louise Jay en 1872. Elle est alors première vendeuse au rayon confection du magasin Le Bon Marché. Le pécule qu’elle a mis de côté vient augmenter le capital de La Samaritaine.











Le commerce prend une envergure inédite dès 1875 grâce aux efforts combinés des deux époux qui multiplient les idées novatrices comme afficher des prix fixes ou offrir la possibilité d’essayer les vêtements. Les ventes s’élèvent alors à près de 800 000 francs. En 1882, elles atteignent 6 millions, puis 50 millions en 1898 et dépassent le milliard en 1925. Entre 1905 et 1910, les Cognacq-Jay ouvrent quatre grands magasins. Ils tentent même une nouvelle ouverture en 1900 en établissant sur les quais de Seine en 1900, Magic City, premier parc d’attraction en France.

Philanthropes, le couple créé en 1916 la Fondation Cognacq-Jay laquelle met en oeuvre une pouponnière, une maison de convalescence et une maison de retraite situés à Rueil-Malmaison, un centre d'apprentissage à Argenteuil, une maternité à Paris, un orphelinat, une maison de repos en Haute-Savoie, et un ensemble de logements à Levallois-Perret. En 1920, ils établissent le Prix Cognacq, géré par l'Institut de France qui récompense les familles nombreuses.











Ernest Cognacq et Louise Jay, tout deux d’origine modeste, forment leur goût artistique au fil de leur instinct. Conseillés dans leurs achats par des experts et antiquaires renommés, ils développent une fascination pour l’art de vivre du XVIIIème siècle. Les Cognacq-Jay privilégient la France mignarde, les toiles rococos parcourues d’angelots joufflus, d’amours rondelets, les scènes galantes de Fragonard ou Boucher, les porcelaines de Saxe, les tabatières ouvragées, les drageoirs. Au fil des acquisitions successives, de 1895 à 1925, ils ambitionnent de rassembler une collection homogène. Elle se compose de près de 1 200 pièces presque exclusivement du XVIIIème siècle, peintures, estampes, dessins, sculptures, céramiques, mobilier, objets d’art.

Ernest Cognacq-Jay repousse la proposition d’exposer au Petit Palais sa collection, originellement présentée à la Samaritaine de Luxe. Il fait de la Ville de Paris son légataire à condition que soit ouvert un musée à son nom dans un lieu conçu à la manière d’un intérieur habité, un cadre de vie raffiné. Le lieu se veut évocation des élégances du XVIIIème siècle. Inauguré le 4 juin 1929 au 25 boulevard des Capucines en présence du président de la république Gaston Doumergue, le musée Cognac-Jay est fermé en juin 1988 afin d’être déplacé dans le Marais dans un hôtel particulier construit XVIème siècle pour Médéric de Donon conseiller du roi, contrôleur général des bâtiments du roi. L’hôtel Donon après avoir été dévolu au XIXème siècle à diverses activités commerciales qui ont dénaturé son architecture - dans les années 1930, un garage occupe le jardin - est entièrement restauré à l’occasion de ce transfert. Propriété de la municipalité depuis 1975, il est aménagé par l’architecte Réoven Vardi dont la conception intérieure du musée soulève au début des années 1990 un début de controverse parmi les historiens de l’architecture parisienne. 











Le nouveau musée Cognacq-Jay ouvre ses portes le 18 décembre 1990. Il souligne les affinités électives d’Ernest Cognacq et Louise Jay pour l’aspect intimiste, épicurien du Siècle des Lumières. L’ensemble des collections reflète plus la personnalité des collectionneurs qu’un véritable souci pédagogique de collection encyclopédique. Il apporte un éclairage intéressant sur les goûts d’un couple et sa manière de collectionner tout en illustrant la diversité de la création du XVIIIème particulièrement dans le domaine des arts décoratifs.  

Chaque salle du musée est scénographiée en fonction d’une thématique propre, inspiration du modèle antique, goût pour l’exotisme, le commerce artistique européen… L’abondant mobilier, fauteuils tapissés, délicats secrétaires en bois précieux, exquise marqueterie, écritoire convoque le souvenirs d’un quotidien élégant tandis que porcelaines objets d’art, horloges, tabatières délicates, nécessaires de toilette incarnent la plus profonde intimité. Dans ces expressions des arts décoratifs, se retrouvent les goûts du temps avec notamment un joli cabinet de chinoiseries, reflet du Japonisme, courant popularisé à la fin du XIXème siècle par les Goncourt, Guimet ou Cernuschi. 











Au Musée Cognacq-Jay, les tableaux d’artistes illustres, Jean Siméon Chardin, Jean-Honoré Fragonard, Nicolas de Largillierre côtoient le charme des petits maîtres Nicolas Lavreince, Jacques Saly. Un beau portrait d’Élisabeth Vigée Le Brun, le subtil « Le petit garçon au gilet rouge » de Jean-Baptiste Greuze s’accordent avec les pastels de Maurice Quentin de La Tour, les dessins d’Antoine Watteau. Les tableaux érotiques célèbrent l’audace d’une époque. Les peintures galantes de François Boucher, sulfureuses à l’époque, opposent les corps roses vibrants à la nudité froide des déesses de l’Antiquité classique. Les sculptures de Houdon et Clodion complètent un riche panorama esthétique.

L’école flamande est représentée par une toile de jeunesse de Rembrandt « L’ânesse du prophète Balaam », 1626, par des œuvres de Ruisdael, de Rubens. Les peintres vénitiens Canaletto, Guardi Giovanni Battista Tiepolo Le banquet de Cléopâtre, vers 1742-1743 tiennent une place importante. Les artistes britanniques, Reynolds, Romney, s’imposent avec les ruines fantasmées d'Hubert Robert, le « Portrait de la Princesse de Metternich » attribué à Sir Thomas Lawrence.

Musée Cognacq-Jay
8 rue Elzévir - Paris 3
Tél : 01 40 27 07 21
Horaires : du mardi au dimanche de 10h à 18h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Le Marais Evolution d’un paysage urbain - Danielle Chadych - Parigramme
Musées insolites de Paris - Dominique Lesbros - Parigramme
Le guide du promeneur 3è arrondissement - Isabelle Dérens - Parigramme