Nuits d’été à Brooklyn - Colombe Schneck : Eté 1991. Esther vient de terminer ses études de journalisme en France. Elle poursuit un stage de trois mois à New York auprès d’un correspondant du Monde. A l’occasion d’un entretien, elle fait la connaissance de Frederick, professeur de littérature, spécialiste de Flaubert. Il est marié et père d’une adolescente, il a 41 ans. Il est noir. Elle a 25 ans, elle est d’une naïveté rafraichissante. Elle est juive. Ils s’aiment. En août 1991, à Crown Heights, quartier de Brooklyn où cohabitent une importante population d’Africains-américains et une communauté juive Loubavitch, un incident tragique va mettre le feu aux poudres. Yosef Lifsh, un jeune homme juif, provoque un accident de la circulation et perd le contrôle de son véhicule. Deux enfants de sept ans qui jouaient sur le trottoir sont blessés. Les secours interviennent rapidement mais Gavin Cato décède tandis que sa cousine Angela Cato souffre de nombreuses fractures aux jambes. La colère des riverains croit alors que la rumeur enfle. Des groupes d’adolescents noirs scandent des slogans antisémites. Un étudiant juif australien pris à partie est poignardé à mort. Durant trois jours d’émeutes, les appels à la haine se multiplient ainsi que les agressions. Des magasins sont pillés, des voitures brûlées, des maisons vandalisées.
Colombe Schneck construit un récit en miroir sur fond d’émeutes raciales autour de l’histoire d’amour entre un Newyorkais noir et une Parisienne juive. L’intimité du couple mixte entre en écho avec la marche du monde. Style incisif, efficacité journalistique, l’architecture de la narration prolonge le récit sur différentes temporalités. La romancière souligne ainsi les similitudes entre la violence des années 1990 et la réalité de notre époque. En trente ans, rien ne semble avoir changé. Les minorités sont toujours invisibilisées alors que le racisme ségrégationniste se prolonge aux Etats-Unis. Les inégalités sociales engendrent un repli identitaire inquiétant. Autant de thèmes qui résonnent avec l’actualité.
Racisme, antisémitisme, violence sociale, la rencontre amoureuse d’Esther et Frederick semble condamnée dès ses prémisses. Tourmenté par la culpabilité, il assume difficilement la trahison vis-à-vis de sa femme Ruth, vécue comme une trahison de sa communauté. Du fait de son parcours singulier, brillantes études financées par un grand-père, petit-fils d’esclaves qui a fait fortune à Chicago en vendant du matériel de coiffure, une naissance en France dans les années 1950, Frederick n’a pas connu dans sa chair la réalité de la condition des Africains-Américains aux Etats-Unis.
En parallèle, Colombe Schneck prête à Esther nombres d’éléments empruntés à sa propre vie et trace le portrait d’une jeune femme naïve mais pleine d’audaces. Sous l’influence de Frederick, Esther s’intéresse pour la première fois à l’histoire de sa propre famille, des bourgeois du VIème arrondissement de Paris qui ne parlent pas du passé. La lignée des femmes, la mère, la grand-mère Mina, profondément marquée par le drame des pogroms a jusque-là tu les secrets de leurs histoires.
A Brooklyn lors des émeutes de Crown Heights, Juifs et Noirs, deux communautés victimes de l’Histoire, malgré la douleur commune, s’affrontent dans la rue. Le trouble se fait prégnant devant l’antisémitisme extrême des jeunes Africains-américains eux-mêmes victimes de racisme au quotidien. Colombe Schneck décrit avec précision le rôle des médias omniprésents, en quête de scoop, dans la montée inexorable de la violence. Appel à la tolérance, teinté d’un certain pessimisme, "Nuits d’été à Brooklyn" invite à une réflexion sur les destins individuels et le déterminisme.
Nuits d’été à Brooklyn - Colombe Schneck - Editions Stock
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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