Cinéma : Kongo, un documentaire de Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav



A Brazzaville, sur les rives du fleuve Congo, l’apôtre Médard, prêtre guérisseur de la confrérie Ngunza, mène un combat quotidien contre les forces invisibles. Les fidèles se pressent. Ils cherchent un travail, un mari. Ils souffrent de cauchemars ou de ballonnements, ils sont frappés par les maladies, les faillites. Soins divers, saignées, incantations, prescriptions de tisanes, écritures, exorcismes, l’apôtre Médard conjure les mauvais sorts en invoquant les forces immuables. Il guérit mais aussi prévient les attaques des mauvais sortilèges. Son église syncrétique mêle la tradition animiste d’un culte aux génies de la nature et le culte des ancêtres. Le mage converse avec les esprits des morts et par cette mystique sacrée de rituels théâtralisés, soigne les âmes. Et parfois, il se retrouve dans l’embarras. Les deux enfants d’un couple de fidèles sont morts foudroyés lors d’une nuit sans orage. Le père désigne l’apôtre Médard comme l’auteur du sort fatal. Devant un tribunal coutumier, le guérisseur doit répondre de cette accusation dans un procès en sorcellerie où les juges ne rendent pas de verdict car les esprits s’en chargent. Proche de la nature, l’apôtre Médard se désole de l’exploitation des ressources minières par les Chinois, les Brésiliens et les Français. Les sirènes avec lesquelles il communique, ont du mal à se faire entendre depuis qu’une compagnie chinoise a détourné un cours d’eau afin d’établir une carrière gigantesque.







"Kongo" avec un k, convoque le souvenir vivace du royaume séculaire d’Afrique Centrale, mis en péril par l’arrivée des colons portugais au XVIème siècle. Le documentaire réalisé par Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav baigne dans une atmosphère fantastique. Le récit emprunte au réalisme magique dans une hybridation des genres où la réalité est plus puissante que la fiction. Portrait sensible d’un homme en lutte, contre le mal, contre le néo-colonialisme économique, "Kongo" révèle dans toute la force des imaginaires mystiques un personnage plus grand que nature, l’apôtre Médard. 

Les deux réalisateurs, Hadrien La Vapeur, formé au cinéma aux côtés de Philippe Garrel et Corto Vaclav anthropologue se sont rencontrés au Comité du film ethnographique. Entre 2013 et 2018, alternant tournage et montage, ils construisent une narration, une structure susceptible de rendre sensible leur expérience. Dans ce voyage troublant, ils nous invitent à mettre de côté la rationalité dans une quête du merveilleux qui bouscule avec poésie les esprits cartésiens. Magie du cinéma, beauté des paysages, l’esthétique onirique du conte convoque les mondes invisibles et se confronte à la réalité du fil documentaire. Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav choisissent de déployer les voiles du mystère pour mieux sonder le sujet, la tradition inscrite dans un lieu, dans un peuple. En ne se posant pas la question de la vraisemblance, ils évitent l’écueil de l’exotisation. 




Frontière poreuse entre le réel et l’invisible, les cinéastes assument un langage formel proche de la fiction et leur fascination pour l’apôtre Médard, son parcours, ses convictions, ses pratiques jamais remises en question. Ainsi ils donnent corps aux non-dits, reflètent les émotions, les sentiments et incarnent à l’image les imaginaires. Distillant le trouble, ils tentent de retranscrire ce que ressentent les protagonistes, la présence des esprits au quotidien. En filigrane, se dessine pamphlet vigoureux contre la destruction du corps social par les nouvelles puissances économiques, nouvelle forme de colonialisme. L’apôtre Médard fait oeuvre de résistance contre l’acculturation, la destruction de l’environnement, des écosystèmes et des traditions. 

Kongo, de Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav
Sortie le 11 mars 2020



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.