Paris : Musée Guimet, musée national des arts asiatiques, oeuvre d'un homme, passion de l'orientalisme - XVIème




Le Musée Guimet, inauguré en novembre 1889 à l’occasion des cérémonies de clôture de l’Exposition universelle qui aura donné naissance à la Tour Eiffel, est l’œuvre d’un homme, Emile Guimet (1836-1918), mécène visionnaire et collectionneur novateur, promoteur enthousiaste des études orientales. Cette grande figure de la IIIème République, industriel humaniste porté par des préoccupations sociales, s’inscrit dans l’histoire comme un homme de son temps. Les grandes découvertes archéologiques, antiquité classique et Egypte en particulier marquent la fin du XIXème siècle. Tout au long de sa vie, Emile Guimet entreprend de nombreux voyages à travers l’Asie développant un goût particulier pour les civilisations d’Extrême-Orient. Soucieux de partager ses collections et la connaissance de ces cultures avec le grand public, il imagine très tôt de créer un musée qui serait "un laboratoire d'idées", "une usine de science philosophique" plutôt qu’une collection de curiosités. Tout d’abord Musée des Religions de l’Egypte, de l’Antiquité gréco-romaine et des pays d’Asie, le Musée Guimet affinera sa vocation au fil du temps pour devenir l’un des plus beaux musées au monde dédié aux Arts Asiatiques.








Héritier de Jean-Baptiste Guimet, l’inventeur du bleu outremer artificiel, le bleu Guimet qui rendit obsolète l’utilisation de l’indigo naturel, Emile Guimet appartient à cette haute bourgeoisie lettrée, enrichie grâce à la révolution industrielle. Sa mère Rosalie Bidauld, fille et nièce de peintres, elle-même artiste-peintre reconnue de l’Ecole lyonnaise et musicienne, lui transmet son amour des beaux-arts. Durant ses jeunes années Emile Guimet pratique la céramique et la peinture. Musicien, il écrit même des opéras. 

Il n’a que 24 ans lorsqu’il prend la succession paternelle, en 1860, à la tête de l’entreprise familiale dont il héritera en 1871. Président des industries Pechiney à partir de 1897, groupe fondé grâce aux capitaux de la famille Guimet, spécialisé dans l’aluminium, la métallurgie et plus généralement la chimie, Emile Guimet se révèle un homme d’affaires brillant. Il développe l’ensemble légué par son père. Ses préoccupations humanistes, en avance sur son temps, influent grandement la gestion des usines. Il est à l’initiative de création de fonds pour financer les accidents de travail et les retraites ouvrières. Administrateur de nombreuses écoles professionnelles dans la région de Lyon, il met en place des aides financières à la formation entretenant des liens étroits avec Jules Ferry et Paul Bert, à l’origine du système d’instruction publique et gratuite.    








Lors de son premier voyage en Egypte, Emile Guimet est frappé par la somptuosité de ce qu’il découvre. "En 1865, j'entreprenais, comme tout le monde, un voyage de touriste en Égypte. La vue des monuments, les visites au Musée de Boulacq, la lecture du merveilleux catalogue rédigé par Mariette, attrayant même pour les profanes, tout cela avait ouvert mon esprit aux choses des temps passés et particulièrement aux croyances encombrantes dont les symboles se déroulent en Égypte sur des kilomètres de murailles". 

Emile Guimet débute une collection d’art égyptien. Il rapporte en France de nombreuses pièces, stèles, statues, sarcophages et momies, amulettes, papyrus. Son intérêt ne cesse de croître pour les civilisations qui ont engendré tant d’œuvres d’art. "Alors que je n'en étais qu'aux recherches égyptiennes, je sentais que ces objets que je réunissais restaient muets et que pourtant ils avaient des choses à me dire, mais que je ne savais pas les interroger. Je me mis à lire Champollion, Chabas, de Rougé, les rares livres d'égyptologie qu'on avait publiés à cette époque. Alors se dressa devant moi cette formidable histoire de l'Égypte, avec ses croyances compliquées, sa religion intense, sa philosophie grandiose, ses superstitions mesquines, sa morale pure. Des comparaisons s'imposaient avec les autres civilisations archaïques. Il fallait tourner mes regards vers l'Inde, la Chaldée, la Chine."







A la suite de ce premier périple, Emile Guimet assiste à de nombreux congrès d’anthropologie et d’archéologie. Sous le patronage d’Ernest Renan, il devient membre de la Société asiatique. En 1874 lors d’un séjour au Danemark, il visite le Musée Ethnographique de Copenhague qui lui fait forte impression, à la fois pour la richesse des collections mais surtout pour la qualité pédagogique des parcours et le rapprochement entre les diverses pratiques religieuses. L’idée de rendre accessible à tous les connaissances, d’établir des liens scientifiques entre les civilisations le passionne. 

En 1876, Emile Guimet débute un tour du monde qui durera près de dix mois. A Philadelphie où il assiste à l’Exposition Universelle, il est rejoint par le peintre Félix Régamey. Emportant avec eux un ordre de mission du Ministère de l’Instruction publique concernant l’étude des religions d’Extrême-Orient, ils embarquent à San Francisco pour le Japon, pour le port de Yokohama. Durant ce séjour décisif, ils rencontrent de nombreux dignitaires religieux qui leur ouvrent les portes du shintoïsme et du bouddhisme. Leur voyage se prolonge en Chine et en Inde. 








De retour en France, Emile Guimet est considéré comme l’un des initiateurs de la vague du Japonisme en Europe avec Félix Bracquemond ou encore les frères Goncourt. Il rapporte de sa mission en Asie une importante collection d’objets d’art religieux. En 1878, une partie des acquisitions de Guimet sont présentées à l’Exposition Universelle dans une salle intitulée "Religions de l’Extrême-Orient" qui connaît un vif succès auprès du public. 

Emile Guimet imagine rapidement créer un musée des religions de l’Egypte, de l’Antiquité gréco-romaine et des pays d’Asie, un établissement qui serait également un centre de recherche. Il fait appel à l’architecte Jules Charton (1831-1884) pour construire un musée à Lyon sa ville natale dans le nouveau quartier de la Tête d’Or. Le musée est inauguré par Jules Ferry alors Ministre de l’Instruction Publique en 1879. Mais la fréquentation et l’accueil de la municipalité sont décevants. 







Dès 1882, Emile Guilet décide de transférer le musée à Paris, plus proche des grandes institutions scientifiques. Il envisage de faire don à l’Etat de ses collections. Emile Guimet s’engage par un projet de loi déposé en 1885 "à céder et transporter à l'État la propriété pleine et entière de ses collections. A faire construire à Paris, à ses frais, risques et périls, sur un terrain cédé à cet effet par la ville de Paris, un immeuble plus important que celui de Lyon". Les collections sont déplacées à Paris en 1888 dans un bâtiment conçu par l’architecte Charles Terrier qui s’inspire des plans originaux de Charton décédé quatre ans plus tôt.

Le Musée Guimet est inauguré en novembre 1889 en présence du prédisent Sadi Carnot. Emile Guimet en devient directeur à vie. Centre de recherche, de réflexion sur les civilisations et les religions, la bibliothèque l’une des plus importantes au monde au sujet de l’orientalisme, y tient un rôle essentiel. Emile Guimet finance publications, traductions, revues, annales, collections et volumes. Des cycles de conférences publiques et gratuites tenus par les plus grands spécialistes de l’époque remportent un franc succès. Guimet subventionne sur ses fonds propres des recherches sur le terrain, des expéditions scientifiques notamment en Egypte. Avec un certain sens du spectacle, le Musée Guimet s’inscrit dans le paysage muséal comme un précurseur de l’animation culturelle. La momie chrétienne Thaïs y est présentée par une guide enveloppée de bandelettes. En 1905, les danses brahmaniques de Madame Mac Leod future Mata-Hari fascinent les amateurs. Des cérémonies bouddhiques ouvertes au public sont organisées chaque semaine.








Les collections du Musée Guimet s’enrichissent au fil du temps, grâce aux dons et aux découvertes financées par des mécènes. A l’occasion de la mission Aymonier, l’Etat confie à l’établissement un riche ensemble d’œuvres d’art khmer. En 1893, Charles Varat rapporte de sa mission de précieuses collections coréennes. En 1912, l’expédition Jacques Bacot permet au musée d’acquérir près de 300 pièces d’art tibétain. Edouard de Chavannes et Paul Pelliot enrichissent la section des arts bouddhiques. 

Le Musée Guimet peu à peu se consacre à l’histoire des grandes civilisations asiatiques, par le biais des manifestations artistiques et plus particulièrement de l’art religieux. Il finance de nombreuses publications et consacre des expositions majeures aux expéditions des archéologues. Progressivement, la vocation du musée se redéfinit. De musée des religions, il se destine à devenir musée des arts asiatiques. En 1945, le Musée Guimet remet au Louvre ses ensembles égyptiens et gréco-romains qui en retour lui confie ses collections extrême-orientales. Il acquiert à cette occasion un statut particulier en devenant l'un des plus beaux et plus riches musées au monde dédiés aux arts asiatiques.







Au début des années 1990, un projet d’envergure projette le Musée Guimet, vénérable institution ronronnante et poussièreuse, dans l’ère moderne. En 1993, débute un vaste chantier de rénovation. L’établissement est entièrement repensé et redessiné par les architectes Henri et Bruno Gaudin. La restructuration transforme intégralement le cadre architectural et la muséographie. Les deux architectes conservent les façades, la rotonde d’entrée et son ancienne bibliothèque célèbre pour ses cariatides mais ils réinventent tout le reste. Bois du Brésil, pierre grise de Tunisie, le nouveau Musée Guimet, devenu Musée national des arts asiatiques - Guimet, inauguré en 2001 est un écrin précieux traversé de lumière naturelle. Traversé par un majestueux escalier moderne, il est organisé autour d’une cour intérieure qui ouvre des perspectives. 

Dans une recherche de cohérence du parcours, la nouvelle présentation des collections s’attache à rendre compte des grands phénomènes transasiatiques comme l’importance du rayonnement de la civilisation chinoise dans tout l’Extrême-Orient, la diffusion vers l’est et le sud-est des formes religieuses indiennes via la route de la soie et les voies maritimes. Les artefacts, ordonnés selon les civilisations par ordre chronologique, témoignent de la créativité et des savoir-faire à travers les âges. Une place importante est donnée à des arts majeurs comme la peinture chinoise, japonaise, coréenne. Véritable invitation au voyage, le Musée Guimet s’attache à rendre accessible la connaissance des grandes civilisations d’Asie, enjeu culturel majeur du XXIème siècle.  



 



A l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de la fondation du musée, Emile Guimet déclarait : "Quand on veut vraiment apprécier les civilisations anciennes ou exotiques qui faisaient l'objet de mes préoccupations, on doit faire abstraction de ses propres croyances, se dépouiller des idées toutes faites données par l'éducation, par l'entourage. Pour bien saisir la doctrine de Confucius, il est bon de se donner l'esprit de lettré chinois ; pour comprendre le Bouddha, il faut se faire une âme bouddhique. Mais comment y arriver par le seul contact des livres ou des collections ?... Il est indispensable de voyager, de toucher le croyant, de lui parler, de le voir agir. Aussi, je me décidai à faire le tour du monde, à visiter le Japon, la Chine, l'Inde, comme j'avais fait de l'Égypte et de la Grèce". L'esprit demeure. 

6 place d’Iéna - Paris 16



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.