Expo : L'Inde, au miroir des photographes - Musée national des arts asiatiques Guimet - Jusqu'au 6 février 2020

Udaipur, palais de Jag Mandir sur le lac Pichhola - Studio Bourne & Shepherd

Au cours de la seconde moitié du XIXème siècle, les photographes de l’Empire britannique, hérauts d’un art balbutiant, vont par leur pratique aussi artistique que documentaire, donner à voir la splendeur d’une civilisation millénaire. A partir de 1858, l’expansion du Raj, colonie indienne de sa très gracieuse majesté la reine Victoria, entraîne la multiplication des opérations militaires dans un pays encore méconnu des Occidentaux. Les fonctionnaires de l’Empire, les aventuriers d’origines diverses, tous photographes, amateurs ou professionnels, tentent de traduire par leur pratique  l’émerveillement ressenti face la majesté des sites naturels et archéologiques, tels qu’Elephanta, Qust Minar, le Taj Mahal, la curiosité engendrée par la diversité ethnographique, la fascination pour des villes, Delhi, Fatehpur-Sikri, Agra, Varanasi, si singulières à l’œil européen. La monumentalité des paysages et de l’architectures trouvent sous leur objectif un pendant à échelle humaine avec d’émouvants portraits et des scènes du quotidien pleines de vie. Ils produisent une multitude d’images nouvelles dont l’empreinte fantasmagorique marque encore les esprits occidentaux de nos jours. Le musée national des arts asiatiques Guimet présente à l’occasion d’une exposition fascinante quatre-vingt-dix tirages originaux, aussi rares que fragiles, issus de ses collections. Dans la pénombre conservatrice, les clichés de l’Inde du XIXème convoquent mystères, beautés et contrastes d’un pays à la civilisation millénaire. 











En 1839, Jacques Daguerre met au point, en France, le premier procédé permettant de fixer des images. Les daguerréotypes qui utilisent les propriétés des composés d’argent connaissent un succès foudroyant en Europe. La découverte très largement relayée engendre une forte émulation technique. Les Indes britanniques, colonie fondée en 1858, offrent aux photographes des lieux d’expérimentation grandioses. L’expansion coloniale, les grandes missions de conquête semblent propices à l’essor de cet art nouveau. 

A Madras, Bombay, Calcutta sont créés les premiers studios photographiques d’envergure, Baker & Burke, L. Tripe, S. Bourne. Ils sont fondés par des passionnés, souvent d’anciens militaires ou des fonctionnaires coloniaux qui documentent pour l’Empire autant qu’ils expriment leur fibre artistique. L’Inde devient le berceau de la photographie moderne, un laboratoire où se développent les nouvelles technologies. Les premiers tirages sur papier salé voient le jour, l’usage du négatif sur verre au collodion humide qui permet de reproduire les épreuves remplace le daguerréotype à usage unique, s’y répand très largement.

Dans une démarche proche du journalisme, le travail encyclopédique des photographes procède à la fois de l’inventaire patrimonial, de la mission d’exploration, de l’archive historique et politique. Ils témoignent de la richesse culturelle de l’Inde, d’un savoir-faire artistique, d’une maîtrise architecturale et choisissent également de documenter la vie quotidienne des populations. Ces pionniers saisissent les multiples visages d’un pays, entre splendeur de la carte postale et complexité civilisationnelle. Ces photographies largement relayées dans la presse occidentale vont façonner la perception de l’Inde dans le monde entier, construisant une image fantasmée et grandiose qui perdure de nos jours.











Les photographies du sergent Linneaus reçoivent dès 1854 un accueil très chaleureux à l’exposition de Madras pour la qualité des épreuves. Déchargé de ses fonctions militaires, il devient photographe officiel du gouvernement local de Madras. Il est aujourd’hui reconnu comme l’une des figures majeures des débuts de la photographie. William Baker, sergent retraité, fonde avec John Burke en 1861 à Murree le Studio Baker & Burke. Ensemble, ils montent une expédition pour la région du Cachemire qu’ils sont les tout premiers à photographier. 

A leur suite, Samuel Bourne, installé en Inde en 1863, va organiser trois importantes missions dans cette zone géographique particulière. Pas moins de soixante porteurs sont nécessaires afin de déplacer le matériel photographique, volumineux et très fragile. Bourne travaille dans des conditions peu évidentes mais fait preuve d'un oeil très artistique. Ces clichés traduisent un regard marqué par les compositions picturales des peintres paysagers. Il invente des angles de prise de vue soulignant les lignes architecturales et ses tirages illustrent un souci du détail extrême. 










Paysages, villes, palais, mausolées, sites archéologiques préservés jusque-là, scènes du quotidien et portraits de rajas, l’ensemble des photographies en noir et blanc, tirages originaux du XIXème siècle, surprennent par la précision, la netteté des rendus. Ces images d'un autre temps sont d’une modernité troublante. La technicité remarquable de leurs auteurs semble avoir compensé l’imprévisibilité partielle de la technologie employée. Les clichés, riches d’une vie depuis longtemps éteinte, nous invitent à la contemplation, méditation existentielle inspirée.

L’Inde, au miroir des photographes
Jusqu’au 17 février 2020

6 place d’Iéna - Paris 16



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.