Paris : Place du Tertre à Montmartre, nostalgie et tourisme de masse - XVIIIème



La place du Tertre, dévolue au tourisme, désertée par les Parisiens, peinte par Utrillo, photographiée par Doisneau, est un lieu réputé dans le monde entier. Site historique de la Commune de Paris, elle porte encore le souvenir de la bohème 1900, celles des peintres aux noms bientôt célèbres, celles des cabarets, des poètes et des chansonniers. A deux pas de la Basilique du sacré Cœur, la nostalgie fait commerce et le mythe rapporte gros dans un enchevêtrement de chevalets et de tables à nappes vichy. Au cœur de l’ancien village de Montmartre, cette vieille place communale a su conserver le charme architectural des maisonnettes à deux ou trois étages datant du XVIIIème et du début du XIXème siècle. Le marché des peintres où se pressent portraitistes, caricaturistes et autres barbouilleurs sans talent accrédités par la Mairie, fait recette. Ces "artistes" sont en guéguerre permanente avec les restaurateurs qui tendent à déployer toujours plus avant leurs terrasses à la belle saison. Les cantines à touristes, pimpantes à l’extérieur, détestables dans l’assiette, profitent largement du pittoresque de ce site unique. Le folklore séduisant de l’endroit en a fait l’un des lieux les plus visités de Paris. Il faut aimer les bains de foule. La cohue permanente y est compacte de mars à octobre. Un peu comme à Venise, le tourisme de masse y tue le tourisme. La place du Tertre ne retrouve la quiétude que tard dans la nuit et il faut bien avouer qu’au petit matin, elle a encore bien du chien. 











Un monticule, lieu-dit « le Tertre » parce qu’il culmine au sommet de la colline Montmartre est signalé sur les plans dès 1336. Au XIVème siècle, cette halte champêtre pas encore urbanisée est bordée par le mur d’enceinte du cloître de l’abbaye de Montmartre. Devenue à l’usage place du Tertre, elle ne prend l’aspect d’une véritable place publique plantée d’arbres que vers 1635. Les Abbesses de Montmartre y exercent leur droit de justice. Elles y placent leur échelle de justice, fourches patibulaires, carcans et gibet. La dernière pendaison en leur nom, un certain Pierre Cavallé accusé du viol de deux fillettes, aura lieu le 28 juin 1775. La place du Tertre est souvent utilisée par les soldats comme aire d’entraînement de tir à l’arc. A la fin du XVIIIème siècle, le centre de la place est occupé par trois maisons qui ne seront détruites qu’au milieu du XIXème siècle. 

Classée dans la voirie parisienne le 23 mai 1863 à la suite du rattachement des communes à Paris en 1860, un arrêté du 11 août 1867 menace de la faire disparaître afin de permettre l’élargissement de la rue Norvins. Le projet est abandonné. En 1870, durant la guerre contre la Prusse, elle est transformée en parc d’artillerie. 171 canons de la Garde Nationale y entreposés. Quand le gouvernement de Thiers tente de les récupérer en mars 1871, la colère populaire enfle marquant le début l’insurrection de la Commune de Paris. En 1921, la ville de Paris rachète la partie privée de l’espace central libéré par la destruction des maisons et aménage la place.


Plan de l'Abbaye de Montmartre au début du XVIIIème siècle

Circa 1900

Circa 1900

Circa 1910

Circa 1910

Circa 1910

Circa 1910

La tradition des peintres de la Butte tire ses origines des vrais talents qui se produisaient ici à la fin du XIXème et au début du XXème siècle. La légende du Montmartre artistique, établie progressivement de 1890 à 1940, trouve sa source dans les nombreux ateliers comme le Bateau lavoir dont je vous parlais ici où séjournait des peintres comme Utrillo, Valadon, Modigliani, Picasso, Braque. De nos jours sur la place du Tertre, il n’est plus question de bohème accoucheuse de génie. Chaque année les autorités municipales attribuent 150 emplacements d’1m2, chaque emplacement accueillant deux peintres en alternance pour une cotisation de 600 euros par an. Jusqu’à présent, les places vacantes étaient réattribuées par concours, un peu comme pour les musiciens du métro. Mais la Mairie souhaitant diminuer le nombre d’intervenants a cessé depuis trois ans de redistribuer les emplacements des peintres ayant jeté l’éponge.

La répartition de l’espace public entre les différents usagers de la place est l’objet d’une lutte d’influence entre le carré des "artistes" et les sept grands restaurateurs de la place dont les terrasses s’étalent de plus en plus à chaque saison. En 2017, une fronde a été menée contre de nécessaires travaux de la voirie par les peintres qui craignaient que la place y perde en charme . Nivellement de la chaussée, suppression des trottoirs, nouveau pavement, ces travaux d’aménagement ont tout de même pu être mis en place afin, tout en préservant le patrimoine, de rendre la place plus accessible aux personnes à mobilité réduite mais également de mieux sécuriser le lieu. 







Circa 1910

Circa 1910

Circa 1910


A l’angle de la rue du Mont-Cenis, se trouvait le café Bouscarat surmonté de l’hôtel du Tertre qui abrita de célèbres locataires, Mac Orlan, Modigliani, Satie, Max Jacob, ou encore retombé dans l’oubli, hormis pour les montmartrois, le poète beauceron et chansonnier engagé Gaston Couté. Le numéro 3 de la place du Tertre, a été la seconde mairie de la Commune libre de Montmartre constituée en 1790, bien que la bâtisse soit souvent indiqué comme la première. Celle-ci se trouvait en réalité rue de la Tour d’Auvergne et Jacques Valleteau de la Roque en était le maire. Cette émanation première a été révoquée après trois jours de fonction à la suite d’un conflit entre les municipalités intra et extra-muros. Félix Desportes, le deuxième maire de 1790 à 1792, trouva alors plus confortable d’installer la nouvelle mairie dans un local jouxtant son domicile place du Tertre.

Au numéro 6, se trouve le restaurant À la Mère Catherine fondé en 1793. La légende raconte qu’y naquit l’un de mes mots préférés… Entre 1814 et 1818, Paris est occupée par les troupes russes à la suite de la défaite de Napoléon Ier. Les soldats en garnison, s’échappent discrètement de leurs camps, et débarquent régulièrement dans les cafés pour boire des canons en braillant « Bistro, bistro ! » qui signifie « Vite, vite ! » en russe. 









Au numéro 7, la façade s’orne d’une plaque à l’effigie du sculpteur Maurice Drouard (1886-1915) sculpteur, dessinateur, illustrateur les romans de Mac Orlan. Néanmoins, Drouard est plus connu pour être un proche de Modigliani qui a réalisé de nombreux portraits devenus célèbres de son ami. La plaque en bronze inaugurée en 1929 a été réalisée par Robert Mathieu mais l’épitaphe est signée Dorgelès : « Né à Montmartre, habita cette maison et la quitta le 3 août 1914 pour aller défendre avec le 236è régiment d’infanterie la butte, sa vieille église et ses moulins. Il fut tué à Tahure en pansant les blessés ». 

Au 21, anciennement le 19 bis, se trouve la façade du syndicat d’initiative sur laquelle est accrochée une autre plaque. On y lit : « Pour la première fois le 24 février 1898, une voiture à pétrole pilotée par Louis Renault son constructeur atteignit la place du Tertre, marquant ainsi le départ de l’industrie automobile française ». Avec cette voiture, Renault gagnera la première course automobile Paris-Trouville le 27 août 1899, battant Giren sur son cheval grâce à des pointes de 35km à l’heure.

Place du Tertre - Paris 18



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 

Bibliographie
Le guide du promeneur 18è arrondissement - Danielle Chadych et Dominique Leborgne - Parigramme

Sites référents