Lundi Librairie : La Maison - Emma Becker



La Maison - Emma Becker : En 2013, Emma Becker a choisi à des fins littéraires de rejoindre un lupanar en Allemagne où la prostitution est légale. Ancienne élève d’un collège catholique, ex étudiante en lettres à la Sorbonne, autrice d'un premier livre remarqué en 2011, un deuxième sera publié en 2015, elle fait alors ce choix sans autre nécessité qu’une forme de curiosité, par bravade aussi, assumant pleinement sa fascination pour la figure mythologique de la vénus mercenaire. Elle a en tête les mots de "La Maison Tellier" et ""Boule de Suif de Maupassant, de "Nana" de Zola, de Louis Calaferte ou encore "Belle de jour" de Joseph Kessel. Avec une certaine nostalgie, Emma Becker relate cette expérience de la prostitution, ces deux années durant lesquelles elle a été heureuse au sein d’une sororité sensuelle. Sous le pseudonyme de Justine, elle a vendu son corps auprès de femmes puissantes et vulnérables, adultes consentantes ayant sciemment choisi cette profession. En Allemagne, les prostituées sont des travailleuses indépendantes légales qui paient leurs impôts comme tout un chacun. 

Récit très personnel, parfois féroce, "La Maison" parvient à saisir les complexités et les contradictions d’un univers où le sordide côtoie le sublime. Emma Becker, agent infiltré, braque un regard lucide sur ces tranches de vie, convoque l’intimité de ce bordel à travers d’amples descriptions très réussies. De l’intérieur, elle raconte avec bienveillance, tendresse et respect. Elle nous livre de magnifiques portraits de femmes, délicieusement romantiques, hors du temps. Parfois l'impression est tenace d'avoir entrouvert la porte d'une maison close du Second Empire.

En disciple du gonzo journalisme et d’Hunter S. Thompson, l’autrice se livre au plus vieux métier du monde pour expérimenter dans sa propre chair ce que vivent ces femmes. Emma Becker est elle-même un personnage peu ordinaire qui n’hésite pas à se mettre en danger affirmant son goût pour la liberté sexuelle affichée, vécue. Elle fait tomber les tabous affronte les préjugés, stigmatise les hypocrisies sociales. Si le sujet est polémique, elle nous parle de sexualité sans détours, sans voyeurisme malsain. Le livre se fait enquête sociale intime, interrogeant ce que signifie être une femme désirante et désirée.

Talent de conteuse, sens du dialogue, cette fine portraitiste saisit les atmosphères des lieux sans jamais verser dans la caricature. Le verbe est alerte, l’humour acide. Derrière le sourire tout professionnel de façade, la romancière se montre parfois cruelle lorsqu’elle évoque le masculin crapuleux, la culpabilité, le conformisme des hommes, la misère sexuelle et la solitude des clients. 

Cru mais pas salace, féroce et tendre, "La Maison" est porté par cette profonde humanité que convoque Emma Becker au gré de la plume. Avec audace, empoignant un sujet délicat à bras le corps, elle ne recule pas devant le pathétique et parvient à dépasser les clichés sans se voiler la face, sans faire l’impasse sur le glauque, la violence. Elle bouscule les idées toutes faites avec panache.Il n’y a ici ni victimisation ni complaisance. Il s’agit d’une belle oeuvre littéraire.

La Maison - Emma Becker - Editions Flammarion



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.