Lundi Librairie : Article 353 du code pénal - Tanguy Viel



Article 353 du code pénal - Tanguy Viel : Martial Kermeur, ancien ouvrier spécialisé de l’arsenal de Brest, a été arrêté pour avoir lors d’une partie de pêche, jeté à la mer afin qu’il se noie, Antoine Lanzenec, un promoteur immobilier véreux. Déféré devant le juge d’instruction, Kermeur raconte tout, retrace les événements, l’engrenage qui a fait de la victime un coupable, un assassin. A la suite de son licenciement des chantiers navals, il a perçu une prime qui pourrait devenir un avenir. Séparé de sa femme après un divorce douloureux, il a conservé la garde de son fils, Erwan, qui a grandi dans la colère de voir son père sans cesse humilié par les circonstances. A dix-sept ans, le gamin dort désormais en prison. Dans cette province française économiquement sinistrée, la classe ouvrière, sous le coup du déclin industriel, a perdu le goût de la révolte pour embrasser une forme douloureuse de résignation. Le petit bourg côtier qu’habite Kermeur, une presqu’île du Finistère, est un jour visité par un promoteur. Antoine Lanzenec débarque, flambeur, grosses voitures et restaurants étoilés, un projet immobilier mirobolant dans ses valises. 

L’habile bonimenteur séduit tout d’abord le maire puis les habitants de la région qu’il convainc de lui confier leurs économies afin de construire un luxueux complexe immobilier face à la mer. La résidence devrait attirer le tourisme et relancer l’économie. Avec la promesse d’un investissement juteux, Lanzenec vend sur plan des dizaines d’appartements. Mais au bout de six ans, aucun avancement des travaux. Les immeubles ne verront jamais le jour et l’argent a disparu tandis que le margoulin continue de parader dans la région. Aucun des investisseurs n’osent se plaindre : la honte de leur propre crédulité, de s’être laissé prendre au piège du capitalisme alors qu’on affiche des idéaux socialistes, la violence faite à leur dignité, les derniers espoirs envolés, l’alcool comme refuge.

Histoire d’un fiasco, drame humain dans un cadre idyllique, ce roman social désabusé d’une rare puissance émotionnelle emprunte volontiers les ficelles formelles du polar. Cette audition chez le juge, confession d’un meurtrier rédigée à la première personne, débute dès les premières pages par des aveux du crime. A l’atmosphère poisseuse de fait divers, Tanguy Viel préfère la beauté des paysages, la rudesse des falaises sous les cieux océaniques. A travers le témoignage de Martial Kermeur, d’une terrible lucidité, le romancier revient sur les circonstances qui ont conduit au pire, prêtant à son personnage une absolue sincérité. Il dit tout et c’est un véritable déchirement pour le lecteur, tandis que l’auteur pousse la réflexion sur le droit, la morale et l’éthique.

Tanguy Viel tend vers une forme de réalisme retranscrite par l’oralité du style, la précision des mots qui traduit la dimension psychologique du personnage, son humilité, ses maladresses. La subtilité de la construction narrative confère à cette histoire une densité particulière, celle de la réalité, que la profonde empathie du romancier pour ces protagonistes vient souligner.

Foncièrement humain, le récit parvient à saisir le vertige des existences qui basculent, l’irréparable advenu qui prive les êtres de leurs derniers espoirs. Les chimères, les infortunes et les échecs, la vie de Kermeur progressivement se délite. Il perd tout. L’escroc mené par la cupidité se place en bourreau face à la crédulité et l’honnêteté, monstre souriant tout à fait aimable. Kermeur, l’ancien ouvrier spécialisé qui a déjà vécu le terrible arrachement du licenciement, celui de renoncer à un métier qui faisait sa fierté, se laisse envahir par la lassitude, submergé par une profonde détresse. Frappé de désespoir, son passage à l’acte sonne presque comme une délivrance. Il a effacé la honte d’avoir été une fois de plus victime. Roman politique, social et humaniste, Article 353 du code pénal est magistral !

Article 353 du code pénal - Tanguy Viel - Editions de Minuit



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.