Cinéma : Van Gogh et le Japon, un documentaire de David Bickerstaff



Vincent Van Gogh n’a jamais visité le Japon et pourtant l’esthétique particulière des arts japonais est l’influence qui a le plus marqué son oeuvre. Le peintre néerlandais dès sa rencontre avec cette culture, dans les cercles parisiens pris de japonisme, lui voue une passion obsessionnelle qui va orienter radicalement son travail dans une nouvelle direction. A Anvers dès 1885, fasciné par l’expression plastique de la culture japonaise, les différentes formes artistiques propre au pays du Soleil Levant, Van Gogh collectionne compulsivement les estampes. Il en achète près de 600 qu’il étudie avec le plus grand soin mais qu’il a également espoir de revendre en faisant un profit qui le mettrait à l’abri du besoin. Son entreprise échouera. En se penchant sur cette esthétique particulière, Vincent Van Gogh initie de nouveaux choix plastiques. Lignes courbes, éléments naturels, il réinvente un Japon rêvé, idéalisé. 







Titre d’un évènement éponyme qui s’est déroulé en 2018 au musée Van Gogh d’Amsterdam, Van Gogh et le Japon appartient au cycle Expositions sur grand écran, une série de long-métrages documentaires ayant pour thème de prestigieuses expositions à travers le monde. David Bickerstaff, le réalisateur, a choisi en les filmant de les rendre accessibles au plus grand nombre, d’ouvrir les lieux de la présentation à tous.  Il est allé à la rencontre de spécialistes du peintre afin d’évoquer la vie de l’artiste et la place du Japon à travers son oeuvre. Plans de la scénographie, des tableaux exposés, documents d’archives, photographies, peu à peu le film classiquement chronologique construit une image plus vaste que la seule exposition.

La collection personnelle de Vincent Van Gogh, ses innombrables estampes, dévoilent leur beauté à l’écran avec une force visuelle incomparable. L’abondante correspondance échangée entre Vincent et son frère Théo fait une large place à cette passion du Japon ainsi que les échanges avec Paul Gauguin. La lecture en voix off d’extraits de lettres envoyées à Théo est particulièrement émouvante.






Afin de replacer cette fascination pour l’art de l’archipel nippon dans son contexte historique, le réalisateur convoque le Japon du XIXème siècle pour expliquer l’essor soudain du japonisme en Europe entre 1860 et 1890. En 1854, à la suite de la Convention de Kanawaga, un traité signé entre les représentants du shogunat de Tokugawa et le représentant américain le commodore Matthew Perry, le Japon est contraint d’ouvrir ses ports et plus largement ses frontières aux étrangers. Très rapidement, les échanges commerciaux vont permettre aux les cercles artistiques européens découvrent l’art japonais, notamment les estampes dont l’esthétique marque profondément les peintres du mouvement impressionniste, de Degas à Monet. Nouveau continent artistique, ce vocabulaire pictural radicalement différent devient source d’inspiration.

De la copie des œuvres originelles, étape progressive de maîtrise technique, Vincent Van Gogh glisse vers une réinterprétation personnelle puis une telle appropriation des codes qu’il parvient à recréé quelque chose de tout à fait différent. Il emprunte la souplesse et l’aisance du geste, s’inspire des compositions, reprend l’idée des aplats de couleurs. Mais avec ces dernières, c’est l’intensité qui prend le dessus, la couleur pure de la nature. En quête perpétuelle d’innovation, il trouve dans le trait japonais un terreau qu’il travaille avec acharnement. 




Si certaines toiles de Van Gogh sont clairement japonisantes dans leur propos, leurs motifs, leurs thèmes, le documentaire suggère une relecture des œuvres de la période provençale et des grands portraits à la lumière de cette passion, de cette cristallisation. Les éléments empruntés aux estampes, repensés, replacés dans des contextes différents, prennent soudain une dimension évidente comme l’aboutissement d’une démarche. Le film nous guide vers une compréhension élargie.

Paradoxe ultime, pied de nez de l’histoire, de nos jours c’est le Japon qui éprouve une forme de fascination pour l’oeuvre de Van Gogh.

Van Gogh et le Japon, un documentaire de David Bickerstaff
Sortie le 5 juin 2019



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.