Lundi Librairie : Le lambeau - Philippe Lançon



Le lambeau - Philippe Lançon : Le 7 janvier 2015, deux hommes en noir, cagoulés, lourdement armés, font irruption dans les locaux du journal satiriste Charlie Hebdo. Les frères Kouachi tirent à vue sur les personnes présentes. L’attentat dure deux minutes, douze personnes perdent la vie, les dessinateurs Charb, Cabu, Wolinski, Honoré, Tignous, Wolinski, l’économiste Bernard Maris, la psychanalyste Elsa Cayat, Michel Renaud journaliste invité à la rédaction, le correcteur Mustapha Ourrad, deux policiers, Franck Brinsolaro chargé de la protection de Charb et Ahmed Merabet qui patrouillait dans le secteur du journal, Frédéric Boisseau, agent de maintenance. Critique dramatique et littéraire à Libération, chroniqueur à Charlie Hebdo, Philippe Lançon qui était présent, gravement blessé aux bras et aux jambes, est défiguré, la mâchoire emportée par une balle de kalachnikov. Hospitalisé à la Pitié Salpêtrière où il subit dix-sept interventions, puis à l’hôpital des Invalides, le journaliste retrace son long parcours médical vers la reconstruction physique et morale. 


Evocation intime, méditation universelle, Le lambeau est le récit de l’impossible cohabitation entre celui qu’il était, celui qui a survécu, celui qui vivra. Ce texte magistral publié un peu plus de trois ans après l’attentat de Charlie Hebdo prend la forme d’un journal de deuil sans la moindre trace de pathos, sans haine, sans colère. La violence sans préavis de l’événement auquel Philippe Lançon a été confronté a rompu de façon irrémédiable le fil d’une vie ordinaire, la vie insouciante. Quand survient l’impensable, l’horreur détruit tout ce qui était et transforme radicalement les êtres. 

A travers le récit de l’angoisse, l’omniprésence de la douleur physique et morale, Philippe Lançon s’interroge sur l’état de grand blessé, gueule cassée d’une guerre insaisissable. Avec la disparition d’une partie de son visage, d’une partie de soi, il convoque le cheminement mental tandis que s’enchaînent les allers-retours au bloc, les nuits sans sommeil menacé par le néant. Le temps de l’hôpital n’appartient pas à notre monde. Rythmés par la reconstruction du tiers inférieur de son visage, confiée à la chirurgienne, Pr Chloé Bertolus, la cicatrisation des blessures, les jours se ressemblent, boucle temporelle vertigineuse.

La douleur, l’attente, la dépendance, les examens, ses rapports avec le personnel soignant, les chirurgiens, les infirmières, aux détails prosaïques du quotidien hospitalier s’ajoutent les souvenirs d’enfance, de jeunesse, cette mémoire de la vie d’avant qui peu à peu remonte à la surface. La beauté, l’art sont des moteurs. Les lectures Kafka, Proust, Thomas Mann, la musique de Bach, la peinture de Velasquez donnent la volonté, la force de guérir. Revenu d’entre les morts, Philippe Lançon tente de maintenir le lien. Malgré la proximité des morts, il est nécessaire de choisir les vivants. Itinéraire solitaire. Philippe Lançon, objet de sa propre étude, scrute sans complaisance son délabrement, observe avec stoïcisme l’évolution de la reconstruction. Malgré la visite des proches, la présence des autres, leur bienveillance, es rescapés, les parents, les amis, le personnel hospitalier, les policiers en charge de sa sécurité, le survivant est cerné par la solitude.  

Texte bouleversant d’une grande lucidité sur notre temps, Le lambeau possède l’intensité des histoires communes, la puissance évocatrice du geste littéraire intimiste auquel la simplicité sans fausse pudeur et l’infinie douceur de l’auteur confère une forme d’universalité. 

Le lambeau - Philippe Lançon - Editions Gallimard - Prix Femina 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.