Lundi Librairie : Le guetteur - Christophe Boltanski



Le guetteur - Christophe Boltanski : Six mois après le décès de leur mère Françoise, Christophe et Ariane Boltanski se rendent dans son appartement de la place d’Italie afin de le désencombrer. Grande fumeuse de Gauloises bleues emportée par un cancer, amatrice de romans policiers, la vieille femme vivait en recluse avec son chien pour seul compagnon et ne sortait plus que la nuit. Dans une compulsion d’amassement névrotique, elle avait amoncelé vieux journaux, papiers divers et déchets qu’elle ne prenait plus la peine de descendre. Peu à peu tout à fait désociabilisée, elle souffrait d’un délire de persécution, persuadée que ses voisins l’épiaient. Elle avait développé des troubles nerveux qui se traduisaient physiquement. Dans des carnets intimes, elle tenait un décompte obsessionnel du nombre de cigarettes, de verres d’alcool, une triste comptabilité du quotidien. Lorsque Christophe Boltanski découvre dans une pochette bleue des ébauches de manuscrits, des polars, il se rend compte que sa mère est une inconnue pour lui. Afin de faire son deuil, il se lance dans une enquête, rassemblant les maigres indices laissés dans l’appartement délabré. A la fin des années 1950, étudiante à la Sorbonne, Françoise L. milite pour un groupe d’extrême gauche et distribue des tracts en faveur de l’indépendance de l’Algérie. Bientôt engagée dans un réseau de « porteurs de valises » du FLN, sous le pseudonyme de Sophie, elle cache l’un des chefs du réseau. 

Après le clan paternel, la solitude maternelle, Christophe Boltanski prolonge son enquête familiale. Le guetteur lui permet d’aller à la rencontre de Françoise dont il tente de percer l’énigme, de comprendre les secrets, regrettant de l’avoir si peu connue. Avec minutie, il suit les pistes laissées par sa mère afin de mieux saisir sa trajectoire, comprendre cette vie en jachère en auscultant ses défaites personnelles. Comme si sa mère avait déserté sa propre existence, l’inachèvement des manuscrits se fait la métaphore d’un inachèvement personnel.

A partir de fragments d’existence, Christophe Boltanski recompose un destin et la dimension romanesque d’une vie. Suppositions et manques, inquiétude diffuse, il construit le livre autour de la figure trouble de la mère comme se tissent autour d’une énigme, les romans noirs dont elle était friande. Il lance une filature à travers les époques et suit un double fil narratif riche en rebondissements, en questions sans réponses aussi. Restituant une époque peu abordée, celle de la France d’après-guerre et de la décolonisation, le récit de cette jeunesse insoumise et militante marquée du sceau de la clandestinité se fait grinçant, douloureux. 

En journaliste d’investigation, l’auteur rassemble les pièces du puzzle alors qu’apparaissent sous sa plume les traits de plus en plus précis d’une femme complexe à la personnalité fantasque et ambiguë. A la quête des origines se mêle le désir d’élucider le mystère de la réclusion volontaire, des troubles paranoïaques. Il y a une forme d’aveu de culpabilité dans cette déclaration d’amour filial, culpabilité de n’avoir pas voulu voir la déchéance et la folie qui guette. Lucidité, humour et empathie lui permettent de trouver la juste distance pour évoquer les failles intimes, les solitudes hantées et saisir le mouvement de la vie. Texte sensible dépourvu de pathos, Le guetteur parvient à donner à cette histoire si personnelle une dimension universelle. 

Le guetteur - Christophe Boltanski - Editions Stock



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.