Expo : Subodh Gupta, Adda / Rendez-vous - Monnaie de Paris - Jusqu'au 26 août 2018



Figure majeure de l'art contemporain, le plasticien Subodh Gupta fait l'objet à la Monnaie de Paris de sa première exposition monographique en France. Une trentaine de pièces inspirées par le concept de ready-made de Duchamp illustrent le travail de l'artiste, célèbre pour ses sculptures en métal et plus particulièrement ses accumulations d'ustensiles de cuisine, véritables performances techniques. Ces amoncellement d'objets du quotidien détournés de leur fonction première et devenus oeuvre d'art par la seule volonté de l'artiste sont marqués dans leur essence par l'intérêt particulier de Subodh Gupta pour la spiritualité et la politique. Sa vision très personnelle, hautement métaphorique du quotidien interroge la place du rituel dans la vie de tous les jours. Les nombreux codes qu'il a développés évoquent la dualité, les paradoxes de l'Inde dont la société est scindée par de puissants clivages. Industrie et artisanat, ruralité et vie urbaine, tradition et modernité, l'artiste questionne les stéréotypes afin d'aborder le champ social différemment, les questions notamment de déplacement des populations, de l'exil. Il mêle sa propre histoire à celle de son pays, à celle encore élargie du monde ponctuant ses installations de références critiques à l'histoire de l'art contemporain.










Suboh Gupta est né en 1964 à Khagaul au Bihar, un état de l'Inde densément peuplé et peu développé économiquement, région d'origine du bouddhisme et du jaïnisme. Dans une famille où les hommes travaillent tous pour les chemins de fer, le benjamin d'une fratrie de six enfants ne souhaite pas suivre la tradition et devient comédien dans une troupe de théâtre local de Khagaul. En réalisant lui-même les affiches des spectacles, il s'initie aux beaux-arts presque par hasard. Il s'inscrit à l'Ecole d'art et d'artisanat de Patna où le manque cruel de moyens et de professeurs font des élèves des quasi-autodidactes. 

Subodh Gupta apprend l'aquarelle et le dessin. Il travaille tout d'abord comme illustrateur de presse puis rejoint le studio du sculpteur Sankho Chaudhuri à New Delhi. Remarqué, il est envoyé en résidence au Japon, en Angleterre où il rencontre sa future femme, l'artiste originaire de Londres, Bharti Kher, en 1992. Viennent ensuite la biennale de Gwangju en Corée puis la première exposition de groupe à la Galleria Continua en Toscane, galerie située dans un ancien cinéma dont Subodh Gupta a récupéré plus tard les anciennes machines de projection et les toilettes pour les transformer en oeuvre d'art. 

Ce peintre de formation ne réalise sa première installation, 29 Mornings, qu'en 1996. Peu à peu son champ d'expression s'élargit. Sculpture, installation, photographies, vidéos, pièces sonores, pour lui l'art est un langage commun à tous. Vocabulaire plastique très fort et identité formelle marquée, il évoque le quotidien de son pays, l'enfance, la nourriture pour nous parler de la vie, de la mort, soulignant le caractère universel des thèmes qui l'interpellent.









Les œuvres monumentales qui ont fait sa réputation jouent sur le paradoxe entre effet d'abondance, caractère précieux et banalité des matériaux. Dans la cour d'honneur de la Monnaie de Paris, People Tree, figuier d'Inde en inox auquel sont suspendus des ustensiles rutilants, fruits séduisants mais creux, déploie sa richesse trompeuse. Symbole de prospérité et de mort composé d'ustensiles de cuisine, Very Hungry God a été remarquée en 2006 par François Pinault lors de la Nuit Blanche. La vanité achetée pour la fondation vénitienne de ce dernier, qui devait trouver que celles de Damien Hirst devenaient un poil chérot, illustre avec puissance le basculement sémantique à l'oeuvre dans le travail de Subodh Gupta, alimentation, spiritualité, religion, syncrétisme, commentaire sur la société de consommation. 

Ville d'inox, maquette post-moderne, Faith Matters (2007-08) se compose d'une accumulation de boîtes à repas traditionnelles, les tiffin dabba. Certains éléments placés sur un tapis roulant, façon tapis à sushi, tournent en boucle. Ce circuit rappelle à la fois la route de la soie, les grands courants des échanges économiques autour de la nourriture, la mondialisation des cultures. Longue barque en bois trouvé par hasard par l'artiste, à laquelle sont suspendus pots et calebasses, Jail Mein Kumbh, Kumbh Mein Jal Hai (2012) L'eau est dans le pot, le pot est dans l'eau, interroge le cycle de la vie, les pénuries, les migrations liées aux inondations en Inde, au Bangladesh, au Pakistan.

Le long de l'exposition, les œuvres en trompe-l'œil à échelle de la main s'invitent sous la forme d'objets du quotidien curieusement déplacés sous les ors des salons. Atta (2010) pâte à pain sur une planche, verre d'eau posé sur un tabouret, mangues, ces éléments reproduits en métal à l'identique jouent avec les apparences, lancent des rappels. Il faut douter de tout. 











Dans la même veine mais ne cherchant plus l'illusion parfaite, en bronze, laiton, cuivre, nickel, d'autres objets du quotidien trouvent leur nouvelle fonction sous les mains de l'artiste. Subodh Gupta a fait mouler la porte de sa maison natale en métal doré, une porte qui aujourd'hui n'ouvre donc plus sur rien. Two Cows (2003-2008) représentent des vélos chargés de bidons de lait, moyen traditionnel de la distribution de lait frais en Inde. Doot (2003) est une reproduction à l'échelle de l'Ambassador Car, la voiture iconique des taxis de Delhi, dont le modelé curieusement mat fait irrémédiablement penser aux jouets d'enfant dont la peinture se serait écaillé. Les caddies d'aéroport chargés de paquets soigneusement emballés convoquent l'idée d'exil économique, celui des hommes qui migrent pour travailler à l'étranger et reviennent au pays les bras chargés de présents. 

La vie de tous les jours, toujours dans les photographies de ces fonds de poêle à frire usagée dont la reproduction gigantesque évoque le cosmos. L'infiniment petit du quotidien rejoint l'infiniment grand de l'univers, les interrogations existentielles croisent les questionnements métaphysiques tandis que la Pierre philosophale se nichent dans une bulle d'or luxueuse. 

Subodh Gupta, Adda / Rendez-vous
Jusqu'au 26 août 2018

11 quai de Conti ou 2 rue Guénégaud - Paris 6
Tél : 01 40 46 56 66
Horaires : du mardi au dimanche de 11h à 19h, nocturne le jeudi jusqu'à 21h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.