Paris : Passage du Caire, de l'imprimerie à la confection, destinée singulière de l'un des plus vieux passages parisiens - IIème



Le passage du Caire, village labyrinthique de longs corridors, déploie ses ramifications suivant trois suivent trois axes principaux, trois galeries, Saint-Denis, Sainte-Foy, du Caire. Ouvert sur six entrées, ce passage, inauguré fin 1798, revendique le titre de plus ancien de Paris en tant que premier passage couvert édifié hors des galeries du Palais Royal. Relativement étroit - 2,60mètres de large -  il est néanmoins le plus long de la capitale. Son ensemble structuré autour des trois ailes titre à 370 mètres. Son histoire qui a débuté avec une industrie liée à l'imprimerie est de nos jours intimement liée à celle de la confection.











Construit sur l'emplacement des anciens terrains du couvent des Filles-Dieu, le passage du Caire fait partie d'une vaste opération immobilière de restructuration du quartier. La propriété est nationalisée en 1790 à l'occasion de la Révolution et vendue aux enchères en 1797. Achetée par la Caisse des Rentiers afin d'être lotie. Les termes de la vente prévoient la création d'une rue de 10 mètres de large depuis la rue Saint-Denis jusqu'au Marché des Petits Carreaux, prolongée par une place coupant la propriété en deux. Les démolitions et travaux restent à la charge de l'acquéreur. La partie nord du projet est édifiée entre 1798 et 1806. Le tracé du passage du Caire qui voit alors le jour, épouse les irrégularités de la parcelle. 

En l'honneur de la Campagne d'Egypte menée par Bonaparte de 1798 à 1801, la compagnie promotrice du projet baptise les rues du nouveau quartier : rue du Caire, rue d'Alexandrie, rue du Nil, rue d'Aboukir. L'immeuble situé 2 place du Caire ouvrant sur l'une des entrées du passage du Caire reflète l'égyptomanie qui saisit la France à la suite de la bataille des Pyramides en juillet 1798. Les motifs ornementaux de la façade d'inspiration égyptienne du bâtiment 2 place du Caire sans être d'une précision archéologique sont intéressants. 

Au deuxième étage, trois masques représentent la déesse Hathor reconnaissable à ses oreilles de vache. Entre le deuxième et le troisième étage, un bas-relief s'inspire d'une scène de bataille. Le décor égyptien est remplacé dans les étages suivants par des arcades néo-gothiques de style troubadour. Mais au sommet, la fantaisie prend le relais. Le personnage central du bandeau est une caricature à gros nez vraisemblablement celle d'un artiste de l'époque Henri Marcellin Auguste Bougenier (1799-1866) célèbre pour son appendice nasale proéminent auxquels les pairs en art auraient fait une farce. L'entrée du passage depuis la place du Caire complète l'atmosphère exotique de six colonnes représentant des palmiers et d'une frise librement inspirée.









Des doutes subsistent sur le nom de l'architecte du n° 2 mais également sur celui du passage lui-même. Sur certains documents, l'immeuble aurait été construit entre 1798-99 par l'architecte Philippe-Laurent Prétrel. Sur autres, c'est la paternité du passage du Caire qui est attribuée à ce dernier tandis que le bâtiment du 2 place du Caire aurait pour architecte Jules-Gabriel Garraud (ou Garaud) en 1828. En l'occurrence, il y a peut-être là une confusion avec le sculpteur Gabriel-Joseph Garraud qui aurait pu réaliser le décor de la façade vers 1828. La possibilité que l'immeuble date de la création du passage mais que les frises aient été réalisée ultérieurement est fort probable. Une autre piste suggère qu'en 1805, un café égyptien s'installant au rez-de-chaussée de l'immeuble, le propriétaire aurait commandé cette décoration pour faire sa publicité.

A la création du passage du Caire, il est dit que les pierres tombales des religieuses du couvent des Filles-Dieu constituent une partie du dallage des nouvelles galeries. Les bâtiments intérieurs sont construits sur un modèle unique. Les petites maisons identiques se composent d'une cave, un rez-de-chaussée accueillant une boutique dont les revêtements de bois d'origine ont tous disparus au profit de vilaines façades modernes et bon marché et enfin un étage avec une fenêtre. Hormis quelques maigres frontons disparaissant sous la crasse et les ajouts parasites, il ne reste aucune des devantures en bois d'origine. 











Initialement, les façades dépourvues de décor sont rythmées par des pilastres qui encadrent et séparent les travées larges de chaque boutique ou les travées étroites menant aux étages. Ces pilastres supportent les arcs d'une corniche sur laquelle repose la verrière construite en continu. Selon Jean-François Geist, la verrière n'est pas d'origine. La structure initiale devait être composée de panneaux de bois percés afin de fournir un éclairage naturel zénithal. Un ingénieux dispositif d'oculi - ouvertures pratiquées sur un comble de voûte - aménagés dans l'étage d'attique du passage assure une ventilation naturelle.

Dès l'inauguration fin 1798, le passage peine à trouver son public. La construction volontairement modeste qui devait assurer le maintien de loyers modérés et attirer des commerces sans prétention est boudée par les promeneurs. Boutiques et petits ateliers ferment pour laisser place à des locaux qui prennent la même orientation. Vers 1844, le passage se dédie progressivement à l'industrie de l'imprimerie et du cartonnage. La tendance se confirme sous le Second Empire au détriment d'une diversification qui aurait pu faire revenir les visiteurs. 









En 1892, le passage du Caire affirme sa vocation à travers des commerces liés à l'industrie de l'impression. Mais les comptoirs qui vendent cartes de visite, cartes postales, étiquettes, affiches à la main s'en sortent à peine. Les affaires périclitant, le passage est menacé de destruction. La suppression par Napoléon III de l’obligation de timbrer les effets de commerce a un tel impact positif sur les finances des diverses industries qui s'y sont établies que le passage trouve un sursis. Le Journal de la Liberté de 1909 mentionne une fabrique de timbres de caoutchouc et de manchons à gaz, des échoppes proposant tableaux réclames, enseignes et pancartes pour magasins. Cette dernière activité engendre l'apparition de boutiques dédiées aux mannequins et portants destinés aux maisons de confection.

En suivant cette voie, le passage du Caire qui s'est fait écho de l'évolution du quartier du Sentier, accueille aujourd'hui exclusivement des grossistes en prêt-à-porter essentiellement féminin et des magasins de fournitures liées à ce commerce. Peu entretenu, le passage loin d'être une beauté a peu d'attraits touristiques mais demeure intéressant pour son ambiance singulière, activité de ruche, et son histoire.

Passage du Caire - Paris 2
Accès 237 rue Saint-Denis - 44 et 16 rue du Caire - place du Caire - 33 rue d'Alexandrie



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Passages couverts parisiens - Jean-Claude Delorme et Anne-Marie Dubois - Parigramme
Le guide du promeneur 2è arrondissement - Dominique Leborgne - Parigramme
Paris et ses passages couverts - Guy Lambert - Editions du patrimoine Centre des Monuments nationaux
Le passage. Un type architectural du XIXe siècle - Jean-François Geist

Sites référents