Lundi Librairie : On ne naît pas grosse - Gabrielle Deydier



On ne naît pas grosse - Gabrielle Deydier : Gabrielle Deydier a seize ans lorsqu'elle achète un pantalon en 42 plutôt qu'en 40 qui était sa taille jusque-là. Sous la pression de sa mère, obsédée tout comme son père par l'extrême minceur, elle tente sans succès les diètes des magazines avant de consulter un nutritionniste endocrinologue. Le médecin pose un mauvais diagnostic. Il lui prescrit un cocktail d'hormones et un régime hypocalorique draconien. En huit mois, son rapport à l'alimentation va être bouleversé et son poids doubler. Pression psychologique, conditionnement familial, incompréhension du monde médical, problèmes hormonaux, dépression, Gabrielle entre dans un cycle infernal de dévalorisation ponctué par des troubles violents du comportement alimentaire. A 37 ans, elle pèse 150kg pour 1,53m. L'obésité, sujet tabou, la désigne comme objet de railleries. Persécutée, harcelée dans le cadre professionnel, moquée dans sa vie quotidienne, méprisée par le corps médical, Gabrielle est prise dans un engrenage qui la contraint à la précarité et à la marginalité. Dans son livre, forme de thérapie, elle livre un témoignage aussi glaçant que bouleversant mêlant au récit de son parcours personnel, l'investigation journalistique. 

Gabrielle Deydier pousse l'enquête au cœur de son intimité pour dépasser son propre vécu et tenter de comprendre comment la société appréhende l'obésité, comment sont perçues les personnes en surpoids et plus particulièrement les femmes. Médecins, militants anti-grossophobie, femmes en surpoids ou simplement complexées, elle interroge les différentes facettes du mécanisme sociétal. Brut, lucide, sans pathos, le récit se déploie depuis la confession d'une histoire personnelle douloureuse donnant au livre une dimension thérapeutique. Pression sociale, incidents quotidiens, insultes, discriminations, l'auteur dévoile la violence psychologique, la dépréciation permanente.

Les personnes obèses sont dans les faits rejetées de l'espace public. Les infrastructures publiques, tourniquets du métro, sièges de bus, ne sont pas adaptées. Dans les cafés, les chaises avec des accoudoirs ne leur permettent pas de s'asseoir. Au supermarché, à la boulangerie, les remarques d'inconnus sont permanentes au point de ne plus s'autoriser à manger en public. Et la maltraitance s'étend jusque dans le cadre professionnel où les rapports humains sont faussés. Gabrielle Deydier évoque sa propre expérience. Lors d'un entretien d'embauche pour un poste de chargée de communication, le responsable lui demande si le QI est inversement proportionnel à l'IMC. Par la suite, assistante de vie scolaire auprès d'enfants en situation de handicap, elle est harcelée par l'enseignante qui l'appelle la septième handicapée de la classe et cherche à la faire démissionner.

Le manque de compassion, de bienveillance à l'égard des individus en surpoids va jusqu'au corps médical. Discriminés par les professionnels de santé, ils sont en proie à des comportements culpabilisants, des humiliations comme ce dentiste qui a peur que l'auteur casse son nouveau fauteuil. Les médecins poussent leurs patients vers des chirurgies bariatriques drastiques, amputation de l'estomac by-pass, anneau gastrique. Et plus particulièrement les femmes stigmatisées, qui vivent un rapport conflictuel à leur corps victimes d'injonctions aliénantes de minceur. 80% des personnes ayant recours à ses opérations dont les effets à long terme sont loin d'être maîtrisés, sont des femmes.

A l'origine de ce rejet manifeste, la croyance profondément ancrée que l'obésité est due à un manque de volonté Avec une grande intelligence, Gabrielle Deydier cherche à faire voler en éclats ce puissant tabou. On ne naît pas grosse expose qu'au-delà des problèmes de nourriture ou de sédentarité, l'obésité est une maladie. Problèmes hormonaux, prédispositions héréditaires, dépression, mauvaise éducation alimentaire, pauvreté - en France 26% des individus touchant le smic sont obèses contre 15% pour la population globale - sont autant de facteurs décisifs.

Le propos de On ne naît pas grosse est inédit dans notre pays où le mouvement "body acceptance" venu des Etats-Unis ne s'exprime que peu encore, malgré une certaine ampleur sur les réseaux sociaux. Témoignage puissant qui remet en question nos façons de penser, ce livre met en lumière les enjeux féministes larvés sous les normes imposées aux corps des femmes. Un ouvrage important. A lire de toute urgence.

On ne naît pas grosse - Gabrielle Deydier - Editions Goutte d'Or



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.