Expo : Magritte, la Trahison des Images, portrait de l'artiste en philosophe - Centre Pompidou - Jusqu'au 23 janvier 2017



La période parisienne surréaliste de René Magritte ne s'étend que sur une dizaine d'année de 1926 à 1936. Il s'agit pourtant de la part la plus connue de son oeuvre car la plus accessible éclipsant son travail plus tardif. A travers une centaine de pièces, tableaux, dessins, documents, le Centre Pompidou propose de redécouvrir Magritte sous l'angle philosophique, une dimension essentielle dans l'évolution de sa démarche picturale. Peintre figuratif de la pensée abstraite, l'artiste belge pose les premiers jalons de l'art conceptuel. Placée sous les auspices de la plus célèbre oeuvre de Magritte datant de 1929, La Trahison des images, toile exprimant le fait qu'une pipe peinte, représentée n'est pas une pipe réelle, l'exposition Magritte, la Trahison des Images offre  une lecture inédite de son travail.











En 1924, Magritte est introduit dans le milieu dada par Camille Goemans et Marcel Lecomte. Il découvre alors une toile de Giorgio de Chirico, Chant d'amour (1914) représentant un buste antique, un gant, une sphère verte, un train. C'est pour lui un choc artistique. "Mes yeux ont vu la pensée pour la première fois". Le poète surréaliste Paul Nougé initie Magritte à la lecture des grandes œuvres philosophiques. Son approche artistique en est bouleversée. A partir de 1932-33, il s'écarte de la beauté surréaliste, une esthétique née du choc, de l'arbitraire, de l'inconscient que les membres du mouvement reprenant les mots de Lautréamont dans Les Chants de Maldoror définissent comme " la rencontre fortuite sur une table de dissection d'un parapluie et d'une machine à coudre". Sa toile Les Affinités électives, œuf prisonnier d'une cage, marque un tournant dans sa démarche.

Alors que ses premiers tableaux de mots annonciateurs de cette évolution datent de 1925, Magritte se concentre à partir de cette période sur la résolution de ce qu'il nomme "les problèmes", dans lesquels l'iconographie devient un vocabulaire signifiant. Il a pour ambition de faire de la peinture "une expression affinée de la pensée". Sans relâche, il explore la combinaison de motifs obsessionnels, emblématiques comme la pipe devenue l'attribut parodique du peintre avec le succès de La Trahison des images en 1929, les mots, les ombres, les flammes, les rideaux, les corps morcelés mais également l'oiseau, le chapeau, la pomme, la bougie. Ses toiles, comme des énigmes à résoudre, expression de la réflexion et de la pensée philosophique, offrent de multiples lectures. Equations visuelles à élucider, recherche de liens entre l'objet, l'image et le mot.











Sous une apparente simplicité plastique, l'oeuvre de René Magritte se révèle dans toute sa complexité à la lumière des grands textes et récits fondateurs comme Platon, Pline l'Ancien ou encore Aristote. La scénographie de l'exposition se déploie autour de cinq thèmes : Les mots et les images, La Les mots et les images, L'allégorie de la caverne, Ombres profils silhouettes / L'invention de la peinture, Rideaux et trompe-l'œil, La beauté composite. Les lieux clos, espace de feu reprennent l'allégorie de la caverne de Platon tandis que les ombres, les silhouettes se réfèrent à un texte de Pline l'Ancien. A Corinthe, la fille du potier Butadès de Sicyone, amoureuse d'un jeune homme qui doit partir à la guerre entoure d'une ligne l'ombre de son visage projeté sur le mur. Le père applique une couche d'argile sur ce dessin, relief en terre qui compose ainsi le premier portrait. Ce mythe renvoie à a pulsion amoureuse comme origine de l'art, l'identification du sujet peint à l'inscription de son profil.  

La représentation des rideaux est également une référence à Pline l'Ancien. Lors d'un duel avec Parrhasios, Zeuxis peint une grappe de raisin avec tant de réalisme que des oiseaux tentent de la picorer. Alors que Zeuxis triomphe, Parrhasios lui demande de dévoiler son oeuvre. Zeuxis s'aperçoit alors que le rideau qu'il tente d'écarter et qui dissimulait jusque-là sa peinture est en fait le travail réalisé par Parrhasios. L'oeuvre de Zeuxis a trompé les oiseaux mais celle de Parrhasios a trompé Zeuxis lui-même. Les corps morcelés font écho au principe de la beauté composite, fragmentaire de Cicéron.  










Magritte qui a beaucoup plus écrit que peint a entretenu une abondante correspondance avec les philosophes de son époque. L'exposition met à jour les liens entre l'oeuvre de Magritte et le travail de Chaïm Perelman et Alphonse De Waelhens, premier traducteur francophone de L'Etre et temps de Martin Heidegger, commentateur de Merleau-Ponty. Résultats des échanges avec l'artiste entre 1966 et 1967, Michel Foucault a publié en 1973, six ans après le décès de celui-ci, Ceci n'est pas une pipe.

Alors que la tradition philosophique présente un certain mépris pour les images, Magritte pose un œil critique sur cette conception du philosophe dont les idées sont coupées du monde sensible alors que le le peintre est lié à la réalité par la matière et les sens. Il remet en cause la hiérarchie philosophique classique entre mots et images, poésie et peinture tout en s'interrogeant sur les conventions du langage, l'illusion de la peinture, le rapport de l'art au réel, la question de la mimèsis, l'art comme imitation du monde évoquée dans La Poétique d'Aristote.








Les œuvres plus tardives de Magritte qui cherchent à rendre sensible l'invisible, c'est à dire le temps, les sentiments, les sensations, sont le résultat d'une exploration qui consiste à peindre les idées. Confrontation directe entre mots et images, images et paroles, mots et choses, objets et leur représentation, le peintre s'interroge sur la réalité et la vérité, la ressemblance et la similitude remettant en cause sur un plan philosophique nos représentations et le rapport à la vérité.

Magritte, la Trahison des Images 
Jusqu'au 23 janvier 2017

Place Georges-Pompidou - Paris 4
Tél : 01 44 78 12 33
Horaires : Fermé le mardi. Tous les jours de 11h à 22h (fermeture des espaces d'exposition à 21h)
Le jeudi jusqu’à 23h (uniquement pour les expositions temporaires du niveau 6)



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.