Paris : Cité Falguière, charme mélancolique et maigres vestiges d'une ancienne cité d'artistes - XVème



Quartier Volontaires-Necker, une impasse qui ne paie pas de mine, abâtardie qu'elle a été par les grands travaux d'urbanisme des années 60, cache une histoire artistique liée à la bohème de Montparnasse. La cité Falguière débute sans fanfare ni trompette au 72 rue Falguière. Quelques jolies maisons persistent, mais de facture récente, parmi les immeubles modernes. C'est au fond de l'impasse, que le flâneur trouvera les vestiges de la cité originelle, cité d'artistes dont il ne subsiste que les ateliers des numéros 9 et 11. Véritables rescapés, ils racontent la bohème des artistes de Montparnasse, entre la Ruche dont je vous parlais ici  et le chemin du Montparnasse que j'avais évoqué là Amadeo Modigliani, Chaïm Soutine, Léonard Foujita, Constantin Brancusi, Maurice Blonde, ils sont nombreux à avoir travaillé ici dans des ateliers souvent insalubres mais aux loyers très faibles. Revenons sur l'histoire captivante de la Cité Falguière.









Le 20 mars 1861, Jules-Ernest Bouillot patricien du sculpteur Alexandre Falguière à qui l'on doit notamment le monument Pasteur de la place de Breteuil réalisé en 1908, achète un terrain donnant sur la rue du Chemin des Fourneaux (notre actuelle rue Falguière). Il y établit un cul-de-sac, l'impasse Frémin, du nom de l'ancien propriétaire de cette parcelle, fermée sur la rue par une clôture en bois. Le manque de moyens et la guerre contre l'Autriche-Hongrie de 1870 à 1871 ralentissent ses projets mais dès la fin du Siège de Paris, au début de 1871, des travaux sont lancés.

Sur les ruines d'une ancienne briqueterie sont construits trente ateliers ensuite loué à des artistes désargentés, surtout des sculpteurs dont beaucoup sont les assistants de Falguière. Celui-ci habite "la villa rose" tout au bout de l'impasse au numéro 14, l'atelier le plus prestigieux. Le plus confortable également. Les ateliers aménagés déploient de vastes verrières. 

Des escaliers extérieurs donnant sur la courette commune les relient entre eux et quelques jardinets privatifs fleurissent. (Voir plus bas le plan de la cité en 1910, établi par Jacques Mauve, président en 1996 de l'association "Les amis de la cité Falguière"). En 1877, Paul Gauguin s'installe à l'entrée de la cité où Bouillot l'initie au modelage et à la sculpture dans son atelier du numéro 4.

Peu de temps après l'impasse prend le nom de cité des Fourneaux. Elle est accolée aux nouveaux locaux de l'Institut Pasteur inaugurés en 1888 dont la haute cheminée se retrouve sur les toiles de Soutine peintes vers 1915. En 1901, la rue du Chemin des Fourneaux devient rue Falguière et la cité est une nouvelle fois rebaptisé. Cité Falguière elle devient, cité Falguière elle demeure de nos jours.






"Dans cet atelier habita le peintre Chaïm Soutine"



A la grande époque du Montparnasse des artistes, Modigliano et Soutine se rencontrent par hasard à la cité Falguière. Arrivé à Paris en 1907, Amadeo Modigliani trouve à se loger tantôt à la Ruche tantôt à la cité Falguière où dès 1909 il désire approfondir sa technique de la sculpture. De son côté, Soutine qui souhaitait s'engager dans les troupes françaises est réformé en 1914 pour des raisons de santé. Il s'installe à la cité Falguière en compagnie du sculpteur Oscar Miestchaninoff dont il partage l'atelier. Le peintre Jacques Lipchitz, leur voisin et ami, les présente l'un à l'autre. 

Naît alors une solide amitié marquée par la grande précarité des deux artistes. En 1916 Modigliani et Soutine vivent ensemble. Le témoignage du peintre d'origine russe Pinchus Krémègne est assez frappant : "Un jour, je suis arrivé vers vingt-trois heures ou minuit à la Cité Falguière. Modigliani avait jeté tous les meubles infestés par des punaises. Je suis entré… Modigliani et Soutine étaient allongés par terre. Bien sûr, il n'y avait ni lumière, ni gaz. Ils tenaient chacun dans leur main une bougie. Modigliani lisait Dante et Soutine Le Petit Parisien."

L'après Première Guerre Mondiale marque quelques changements à la cité Falguière. Dans les années 20, au 14 la Villa Rose devient un hôtel, la Villa Falguière. Sorte de meublé hétéroclite pour les artistes sans le sou, la grande tradition de la bohème perdure. Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, les ateliers de la cité sont toujours occupés par des peintres et des sculpteurs malgré le manque de confort et la lente décrépitude des lieux qui dès l'origine n'étaient pas exactement des palaces. En 1947 Marcel Delahaye, "le dernier des grands fauves", installé au numéro 11 depuis 1939 reçoit les visites de son ami Georges Brassens. Le mime Marceau y invente son personnage de Bip.


Chaïm Soutine - Cité Falguière - Circa 1915-16
Entrée de l'hôtel Villa Falguière au 14 de la cité vers 1920
La cité Falguière vers 1920-30  – © Albert Harlingue / Roger-Viollet

Hôtel Villa Falguière au 14 de la cité - vers 1950
Hôtel au 14 de la Cité Falguière par Daniel Angeli- 1967


Les années 60 et la volonté de moderniser le quartier seront fatales à la cité qui disparaît presque intégralement sous les roues des bulldozers. Seuls les numéros 9 et 11 en réchappent. Ils sont aujourd'hui visibles et force est de constater qu'ils ont très peu changé par rapport aux toiles de Soutine datant de 1915. L'association "Les amis de la cité Falguière" a longtemps œuvré à la préservation du site. De nombreux dossiers ont été présentés aux institutions pour obtenir la reconnaissance du lieu comme appartenant au patrimoine culturel sans grand succès. N'ayant pas trouvé de trace lors de mes recherches de cette association, je ne sais pas si elle est toujours en activité.

Cité Falguière
Accès 72 rue Falguière - Paris 15



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Ateliers d'artistes à Paris - Jean-Claude Delorme et Anne-Marie Dubois - Parigramme
Le guide du promeneur 15è arrondissement - Florence Chaval - Parigramme

Sites référents