Paris : Impasse Florimont, souvenirs de Georges Brassens, mémoire du poète - XIVème



Dans le quartier de Plaisance, "entre la rue Didot et la rue de Vanves" comme le chantait Georges Brassens qui y vécut vingt deux ans, de 1944 à 1966, débute au 150 rue d'Alésia une curieuse petite allée. Le site est protégé depuis la modification du plan d'occupation des sols en 2000. De nos jours, l'impasse Florimont rescapée des promoteurs immobiliers du fait d'une parcelle compliquée à bâtir est un lieu de pèlerinage pour les amoureux du poète. Annoncée par la grande reproduction d'une photographie datant d'avril 1957 représentant le chanteur guitare à la main, l'impasse Florimont date du XIXème siècle. De la ruelle populaire aux façades lépreuses, aux maisonnettes décrépites, habitat précaire d'un Paris miséreux, il demeure l'étroitesse et la modestie des constructions. La chaussée aux pavés disjoints au milieu de laquelle coulait un rigole égout à ciel ouvert a été remplacée aujourd'hui par des dalles de béton. Les habitations ripolinées de frais, couleurs pimpantes, jaune citron et bleu céruléen, blanc riant et plantes en pots offrent un charmant contraste avec la très urbaine rue d'Alésia. Un peu d'histoire sur les traces de Brassens.








L'impasse Florimont a vu le jour entre le règne de Charles X (roi de 1824 à 1830) et celui de Louis-Philippe (roi de 1830 à 1848). Un premier propriétaire Florimont Leovis, avocat à la cour, fait construire une maison sur un terrain vague hors des barrières de Paris, les communes n'ayant été annexée qu'en 1860. Progressivement des bicoques sont érigées de part et d'autre de la ruelle qui fait à peine deux mètres de large, toutes de surface restreinte car au XIXème siècle les habitations urbaines sont taxées au nombre de pièces à feu. 

Aujourd'hui, planquée derrière une station service implantée en mai 1956 au 154 rue d'Alésia, l'impasse Florimont s'est vue amputée de ses maisons jusqu'à la moitié de sa longueur et presque intégralement, côté gauche, à la fin des années 1950. Le petit café de Monsieur Berthier, au coin gauche de l'impasse Florimont, un troquet popu fréquenté par les ouvriers de l'usine des Asphaltes en face sur la rue d'Alésia, est rasé à cette occasion. C'est là que Georges Brassens retrouvait Joseph Kessel et Alberto Giacometti.








En 1939, Georges Brassens quitte son Sète natal pour Paris où il emménage auprès de sa tante Antoinette au 173 rue d'Alésia. En 1943, sous l'Occupation allemande, il est réquisitionné pour le Service du Travail Obligatoire (le STO). Il est envoyé au camp de Basdorf à côté de Berlin où il rencontre Pierre Ontiénete, un bibliothécaire avec qui il partage la passion des livres et qui deviendra l'un de ses plus chers amis ainsi que son secrétaire. 

Au bout d'un an, en mars 1944, Brassens obtient une permission de quinze jours à Paris. Il décide alors de ne pas retourner à Basdorf. Considéré comme déserteur, il est caché par Marcel Planche et Jeanne Le Bionnec des amis de sa tante. Devenu clandestin, hébergé dans leur modeste bicoque du 9 impasse Florimont, il partage avec eux les deux pièces et la courette où Jeanne entretient une basse-cour hétéroclite : un corbeau, une buse, des poules, un perroquet qui se moque des chiens et pince les fesses des visiteurs, une cane célébrée plus tard dans une chanson de Brassens et une multitude de chats.








Pas d'électricité, pas de gaz, pas de tout à l'égout, pas d'eau courante, les conditions sont sommaires mais l'accueil généreux. Brassens occupe un simple lit-cage dans la salle à manger à côté d'une armoire qu'il surnommera le tambour parce qu'il y rythmera ses premières compositions. Voici ce qu'il en dit "C'était une espèce de taudis. Mais j'y étais bien et j'ai gardé depuis, un sens de l'inconfort tout à fait exceptionnel".

A la fin de la guerre, Georges a des ambitions littéraires et oeuvre à un roman. Misère extrême, le foyer trouve ses revenus dans le travail de Jeanne qui fait quelques travaux de couture au noir et de Marcel qui abuse de la bouteille mais trouve encore quelques petits boulots de peintre en lettres. Les temps sont difficiles. Brassens fréquente le Bar des Amis tenu par l'auvergnat Louis Cambon, célèbre bougnat à qui est dédié la chanson. Cette composition est souvent également présentée comme un hommage à Jeanne et son mari Marcel natif de Brie-Comte-Robert. A moins qu'il ne s'agisse du patron du café situé à l’angle des rues Bardinet et Alésia, Monsieur Malet, encore un auvergnat, qui offrait régulièrement la soupe du soir au chanteur.



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En 1952, Brassens qui écrivait déjà des poèmes, se lance dans la chanson. Impasse Florimont, il rédige ses premiers textes, Le gorille, Le fossoyeur, Margot… En 1953, il se produit au cabaret de Patachou. Il rencontre à cette occasion le contrebassiste Pierre Nicolas. Fidèle complice pendant plus de trente ans, à la scène comme dans la vie, clin d'œil du destin, celui-ci est justement né impasse Florimont. Puis c'est Les Trois Baudets où Brassens rencontre rapidement le succès. Il veut en faire profiter ses généreux hôtes en améliorant le logis, lançant des travaux d'aménagement, lui apportant le confort moderne. En 1955, Georges achète la maison du 9 impasse Florimont et celle mitoyenne le numéro 7. S'en est fini des soucis de loyer.

Lieu de ralliement des amis de Georges l'impasse Florimont accueille de nombreux artistes. Malgré le rachat du numéro 7, on est un peu à l'étroit, d'autant que Jeanne refus d'accueillir plus de huit personnes à la fois. En 1958 Brassens acquiert le Moulin de La Bonde sur le Ru de Gally, à Crespière dans les Yvelines qu'il conserve jusqu'en 1971. Il y reçoit Marcel Amont, Guy Béart, Georges Moustaki, Jacques Brel, Boby Lapointe, Lino Ventura, Raymond Devos, Claude Chabrol, Bourvil, Fred Mella. En 1965, Marcel décède et en 1966 Jeanne, 75 ans, se remarie avec un homme âgé de 36 ans que Georges n'apprécie pas. Il quitte alors l'impasse Florimont. Lorsqu'elle meurt en octobre 1968, Brassens offre la maison à Pierre Onténiente dit Gibraltar.






Impasse Florimont en 1900


A l'initiative de l'association "Les amis de Georges", une plaque commémorative en bronze gravé réalisée par le chanteur Renaud a été posée le 22 novembre 1994. Date clin d'œil aux trente ans de la chanson Le vingt-deux septembre créée en 1964 Le vingt-deux septembre. Au décès de Pierre Onténiente en 2013, le bas relief ornant la maisonnette du n°9 a été enlevé. Vol ? Déplacement le temps de travaux ? En 2016, il n'a pas réapparu.

En octobre 2005 Claudy Lentz du Jazz Club de la ferme Madelonne à Gouvry en Belgique fait installer trois chats en terre cuite réalisés par Michel Mathieu, potier à Tulette en hommage aux félins qu'affectionnait tant la Jeanne. Il obtient une autorisation grâce à la chanteuse Valérie Ambroise qui intervient auprès de Pierre Onténiente. Les chats matois continuent à prendre la pause sur le toit de la maisonnette.

Impasse Florimont - Paris 14
Accès par le 150 rue d'Alésia



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 


Bibliographie
Le guide du promeneur 14è - Michel Dansel - Parigramme
Dictionnaire historique des rues de Paris - Jacques Hillairet - Editions de Minuit

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