Théâtre : A tort et à raison de Ronald Harwood - Avec Michel Bouquet, Francis Lombrail - Théâtre Hébertot - Paris 17



En 1946, dans le bureau des Forces Alliées, le commandant américain Steve Arnold, obtus et colérique mais sincère dans sa démarche, est chargé de l'instruction des dossiers de la commission de dénazification. L'officier qui a participé à la libération des camps de concentration est hanté par l'horreur de ce qu'il a vu. Il est chargé d'interroger le chef d'orchestre Wilhelm Furtwängler, directeur de la Philharmonie de Berlin, soupçonné de collusions avec les Nazis et d'antisémitisme pour avoir notamment joué devant les dignitaires du régime. Convaincu de la culpabilité du maestro, le commandant Arnold ne comprend pas que celui-ci ait préféré rester en Allemagne au nom du respect et de la continuité de la charge artistique, de l'amour de son peuple et de la culture. Emmi, sa secrétaire et le jeune lieutenant qui l'assiste sont choqués par la brutalité du commandant envers le chef d'orchestre. Tandis que la comparution du deuxième violon, un personnage veule et faible semble conforter les soupçons, l'apparition d'Eva Muller qui vient témoigner que Furtwängler a aidé son gendre, un pianiste virtuose et sa fille à fuir l'Allemagne remet en cause toutes les certitudes.








Théâtre historique, politique, construit, écrit, joué avec exigence, A tort et à raison questionne l'engagement de l'artiste partagé entre sa dévotion à l'art et sa responsabilité morale. Si la pièce n'est pas d'une grande subtilité, elle souligne avec brio doutes, paradoxes et contradictions d'un homme qui met la musique au dessus de tout et choisit l'art comme acte de résistance au risque de n'être pas compris. Par le biais d'une architecture narrative précise, Ronald Harwood, l'auteur, interroge la vérité historique et la sincérité morale d'un artiste. Entre l'ardente obligation de résister au nazisme et l'amour de l'art, la culture peut-elle se départir d'un engagement politique et citoyen ?

Malgré parfois un certain manque de souffle, la mise en scène classique accomplie signée par Georges Weler se déploie à travers l'élégant décor d'Agostino Pace, dans une forme de rigueur sans faute. Ce face-à-face poignant, affrontement de deux hommes que tout oppose, trouve toute son ampleur dans la densité de l'interprétation, une saveur singulière relevée par l'ambiguïté troublante des personnages.




Michel Bouquet reprend, quinze ans après la création de la pièce au Théâtre Montparnasse, le rôle de Wilhelm Furtwängler. Incarnation épurée, tour à tour hautain, d'une morgue condescendante, vulnérable, fragile, indifférent et passionné lorsqu'il évoque la musique, il traduit avec beaucoup de finesse l'intériorité bouleversée et les rapports distanciés au monde du chef d'orchestre persuadé de la supériorité des choses de l'esprit. Fascinante interprétation toute en intensité et économie de moyen où même les silences sont expressifs. Face à lui, Francis Lombrail s'approprie la vulgarité déplaisante du commandant Arnold, sa résolution ferme et terrible, bouillonnant contrepoint à la figure en retenue de Michel Bouquet. Interprétation physique, colérique, explosive. Didier Brice dans le rôle du second violon, lâche, odieux de veulerie, est impeccable. Juliette Carré, épouse à la ville de Michel Bouquet, fait une belle apparition incarnée dans celui d'Eva Muller tandis que Margaux Van Den Plas et Damien Zanoly sont plein de nuances et de fraîcheur. 

Malgré quelques longueurs qui nuisent au rythme, cette pièce brillamment interprétée émeut autant qu'elle interroge. Un beau moment de théâtre, un sujet passionnant, des comédiens formidables. 

A tort et à raison de RonaldHarwood - Traduction Dominique Hollier 
Mise en scène Georges Werler
Scénographie, Agostino Pace - costumes Pascal Bordet - lumières, Jacques Puisais - conception sonore Jean-Pierre Prévost.
Avec Didier Brice, Michel Bouquet, Juliette Carré, Francis Lombrail, Margaux Van Den Plas, Damien Zanoly
Du mardi au samedi à 21h, dimanche à 17h

78 bis boulevard des Batignolles - Paris 17
Tél réservations : 01 43 87 23 23



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.