Stanley Milgram, professeur en relations humaines à l’Université de Yale organise, en 1961, en plein procès Eichmann, des expériences sur la volonté de cobayes à accepter des ordres malgré leur propre morale. Ces tests, autant décriés que cités en référence par ses pairs, vont faire de Milgram un expert mondial reconnu et renommé. Son expérience consiste à demander à des inconnus d’infliger des décharges électriques, presque mortelles, à une autre personne qui n’était autre, en réalité, qu’un acteur, complice du scientifique, et ne recevait aucune « punition ».
Entre 1960 et 1963, en plein procès Eichmann, Stanley Milgram avait le désir de comprendre comment tant d’hommes et de femmes ont pu consentir à obéir aveuglément à la doctrine nazie et à son lot d’horreurs en découlant. Le film est donc basé sur les débuts des études psychologiques relatives à la part de culpabilité des bourreaux initiées par Milgram et son incontournable ouvrage « La soumission à l’autorité[1] », issu de sa célèbre « expérience ». Ces expériences ont été décriées en son temps par les pairs de Milgram et ont créé de multiples polémiques, encore en cours à l’heure actuelle dès qu’un crime en masse est commis.
Michael Almereyda offre ici un film qui est à la fois un biopic et un documentaire sur la vie de Stanley Milgram, interprété ici par Peter Sarsgaard, à la hauteur du rôle. Oscillant entre les deux formats, le film attenue pourtant les autres enjeux de la vie de Milgram qui ont pu le conduire à ses travaux et nous prive donc d’une certaine compréhension des tenants et aboutissants des expériences ; Par exemple, il élude quasiment tous les aspects du personnage et réduit bien souvent sa femme, jouée par Winona Ryder –enfin de retour - à une collaboratrice lambda.
Un anti-biopic serait plus vraisemblablement le terme qui pourrait venir à l’esprit. Ne pas trop exposer la vie d’un être pour se centrer sur le sujet principal, d’où le titre « Experimenter », affadir au mieux les décors (on se croirait sur la scène d’un théâtre par moment et on note clairement le fond vert un peu à la façon des films des années 50), voici le parti prit par Almereyda.
Les interventions face caméra de Milgram (scènes basées sur les propres images d’archives du scientifique) s’adressant aux spectateurs, provoquent un sentiment d’effroi, d’oppression et de torpeur et font penser, en moins percutantes, à celles de Frank Underwood dans « House of Cards ». De plus le sentiment d’être accompagné comme un enfant peut être dérangeant, mais ne l’a pas été dans mon cas. Certains spectateurs de ma connaissance en ont été gênés ; Sans compter sur l’apparition d’un éléphant dans un couloir ou Sarsgaard chantant dans la rue… En outre, le début du film pose tout de suite l’expérience et, à mon avis, ne laisse pas vraiment s’installer la relation public/personnages. Il existe alors un manque d’empathie, pour certains rôles laissés sur le bas-côté, préjudiciable pour la compréhension globale de Milgram et ses relations annexes. Toutefois, l’intérêt de cette expérience, des théories prouvées désormais, et de cette oppression ressentie posent le problème des conclusions de Milgram qui s’avèrent à la fois effroyables et passionnantes sur le genre humain.
Le jeu et la diction de Sarsgaard sont là pour maintenir l’attrait et la tension qu’il se dégage de ce film singulier, au rythme lent et somme toute un brin arty, contrebalancé, avec bonheur, par la légèreté affichée du couple Sarsgaard/Ryder. En effet, les scènes du couple (de la rencontre à la fin de leur vie commune) sont une petite bulle de bonheur afin de reprendre son souffle devant les conclusions effarantes et le son « délicat » des décharges électriques !
Un film à découvrir comme une expérimentation de l’âme humaine. Car la question sur laquelle vous êtes amené(e) à réfléchir est limpide : Que feriez-vous à la place du « professeur » ? Si ce sujet vous intéresse, les expériences de Milgram ont été notamment évoqué dans un –excellent- livre sorti en 2013 (« Aurais-je été résistant ou bourreau ? » – Pierre Bayard – Editions de Minuit) qui positionnait l’auteur face à des actions de la Seconde Guerre Mondiale afin de débattre sur sa réaction, au moment M.
Experimenter
Réalisateur : Michael Almereyda
Avec : Peter Sarsgaard, Winona Ryder, Jim Gaffigan, Kellan Lutz, Dennis Haysbert
Sortie : 27 janvier 2016
Lisa Giraud Taylor est écrivain, photographe et blogueuse. Son roman Liverpool Connexion est disponible aux Editions Trinômes. Vous pouvez également retrouver sa plume piquante sur Le blog d'une ItemLiz Girl. Cette jeune femme hyperactive - mais comment fait-elle ? - collabore régulièrement avec les webzines Lords of Rock et So Busy Girls où elle nous régale de chroniques pleines d'esprit, ultra punchy dans un style bien à elle. Humour ravageur et pertinence sont ses marques de fabrique.
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