Christophe Boltanski, grand reporter à l'Obs, a vécu à partir de l'âge de treize ans chez ses grands-parents au sein d'une tribu anticonformiste soudée autour d'un lieu où cohabitaient trois générations. Avec une tendresse admirative, non dénuée d'une pointe d'ironie, il raconte sa famille aux talents protéiformes, la liberté d'esprit et les peurs transmises. Il mène son enquête généalogique, puzzle intime au sein de la forteresse protectrice de la rue de Grenelle, explorant les lieux et les vies dont le fil rouge, la description de l'hôtel particulier, permet de tracer un inventaire habilement construit, vivant, atypique, grave et cocasse marqué par un humour omniprésent et la proximité de la tragédie.
L'histoire des siens, riche de paradoxes, est peuplée de personnages iconoclastes. Dans cette communauté fantasque, les secrets de famille et l'incertitudes des identités construisent une légende baignée par l'énergie du clan, le bonheur, le présent et les liens affectifs, l'excentricité, le rire mais également les pleurs, la vulnérabilité du déracinement et de l'exil, l'héritage la peur, le sentiment d'abandon et la clandestinité. Etienne, le grand-père, médecin qui ne supporte pas la vue du sang est gagné par la mélancolie depuis que son idéal républicain a volé en éclats. Né de parents juifs venus d'Odessa, converti au catholicisme, combattant lors de 14-18, rejeté par son milieu et contraint de porter l'étoile jaune pendant la Seconde Guerre Mondiale, durant l'Occupation Etienne a vécu vingt mois reclus, caché dans une pièce étroite de la maison familiale, une sorte de cagibi bizarrerie architecturale.
La grand-mère Myriam, né Marie-Elise abandonnée par sa famille corse ultraconservatrice sans le sou, adoptée et rebaptisée par sa marraine une riche veuve, a été frappée par la polio à l'âge adulte mais refuse d'être considérée comme une handicapée. Héritière fortunée et militante communiste, invalide omnipotente, petit gabarit autoritaire et impétueux, elle est le symbole des paradoxes familiaux, colonne vertébrale du clan. Elle mène ses fils à la baguette à la fois libérale et ultra-protectrice, Christian le plasticien, Luc le sociologue et poète, Jean-Elie, le grand frère silencieux, linguiste.
Intelligent, émouvant, cet attachant portrait d'une famille fusionnelle, hors norme, organisation utopique autonome, est le roman vrai d'une tribu de bourgeois bohèmes, à la fois sédentaires et grands voyageurs, des intellectuels dont les enfants sont déscolarisés, aisés et chiches. Dans l'hôtel particulier débarrassé des biens matériels, le luxe côtoie l'indigence. Dans ce cocon familial fantasque sous la férule de la grand-mère, culture et création libèrent des névroses, des hantises héritées. La voie artistique, la liberté de créer permet de dépasser la peur de vivre.
L'admirable architecture narrative, sa maîtrise formelle laisse l'émotion s'exprimer avec une grande subtilité faisant place une dimension poétique saisissante. Profond et mélancolique, extravagant, écrit d'une plume sobre et visuelle, ce beau récit est à la fois drôle et bouleversant. Une oeuvre remarquable, infiniment touchante.
La cache - Christophe Boltanski - Editions Stock - Edition de poche Folio
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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