Cinéma : Mistress America, de Noah Baumbach - Avec Greta Gerwig, Lola Kirke - Par Didier Flori



C’est pleine d’enthousiasme que Tracy (Lola Kirke) s’installe sur un campus de New York. Mais elle se retrouve vite confrontée à la solitude de la nouvelle arrivée. Sa compagne de chambre est démoralisante et elle a bien du mal à trouver sa place parmi les étudiants qui l’entourent. Recherchant désespérément à être intégrée et reconnue, elle rêve de se faire sélectionner par un club littéraire qui accueille ses membres en les entartant dans leur sommeil. En désespoir de cause, elle contacte Brooke (Greta Gerwig), jeune trentenaire sur le point de devenir sa demi-sœur. Elle tombe vite sous le charme de cette new-yorkaise délurée à la vie trépidante.







Trois ans après Frances Ha, Noah Baumbach et Greta Gerwig, couple à la ville, reviennent avec une nouvelle comédie sur l’incertitude de la trentaine. Cependant, n’allez pas penser pour autant que les deux co-auteurs tournent en rond. Si les deux films se répondent évidemment, ils n’en présentent pas moins des différences essentielles. Frances Ha avait tous les charmes esthétiques de l’objet arty : citons son noir et blanc à la Manhattan de Woody Allen, ses références musicales francophiles à la Nouvelle Vague avec George Delerue ou à Leos Carrax avec Modern Love de David Bowie. D’une forme plus conventionnelle, Mistress America  bénéficie malgré tout de l’élégance mélancolique de la pop new wave de sa bande originale, où on retrouvera avec plaisir Souvenir de Orchestral Manœuvres in the Dark. Cette esthétique moins travaillée permet de mettre en valeur les dialogues finement ciselés écrits par Baumbach et Gerwig, à la recherche du débit mitraillette propre aux screwball comedies dont Howard Hawks était passé maître dans les années 30-40 avec L’impossible Monsieur bébé ou La dame du vendredi

De ce point de vue, Mistress America est d’une précision d’écriture jouissive. Les moteurs comiques y sont multiples, mais tous aussi efficaces. Il y a bien sûr d’abord l’excentricité de Brooke, hyperactive et joviale jusqu’à l’absurde. Vivant dans son monde, suivant le flot ininterrompu des pensées qui la traversent et qu’elle énonce à voix haute, elle peut pitcher fièrement un concept de film d’un simplisme confondant ou disserter sur la fascination qu’exerce sur elle le « x » des équations à inconnue. Baumbach et Gerwig savent aussi nous gratifier d’aphorismes d’une justesse hilarante tels que « 30s is all about want » (« on ne fait que vouloir à 30 ans ») et de problèmes quotidiens qui prennent des proportions démesurées étrangement familières, comme le choix des pâtes pour un repas parfait. Construit en deux temps, Mistress America finit par nous déplacer de New York à une maison de banlieue et se transforme en vaudeville aux personnages hauts en couleurs.




On est tellement pris par le caractère immédiatement entraînant et séduisant du métrage qu’on est surpris de ressentir dans sa dernière partie une émotion plus profonde. Au final, Mistress America se révèle le portrait touchant de la pas si simple Brooke, et invite le spectateur à réviser régulièrement son avis sur cette dernière. Passée la découverte de son charme excentrique, on la perçoit vite comme épuisante et autocentrée ; on prend alors un malin à voir s’éclater sa bulle d’égoïsme dans les moments où elle est confrontée au réel, comme lors de ses retrouvailles avec une camarade de lycée ou lorsqu’elle se retrouve à la porte de son appartement. Mais la superficialité apparente de Brooke finit par révéler sa face tragique, celle d’une rêveuse compulsive condamnée à échouer. « Je n’ai juste pas été élevée comme ça » dit-elle régulièrement pour justifier son refus de compromis. Ce qui fait le drame de Brooke mais aussi sa grandeur, c’est son authenticité. 

Mistress America, de Noah Baumbach 
Avec Greta Gerwig, Lola Kirke, Matthew Shear et Heather Lind
Sortie le 6 janvier 2015

Cinéphile averti, Didier Flori est l’auteur de l’excellent blog consacré au cinéma Caméra Critique que je ne saurais trop vous conseiller. Egalement réalisateur et scénariste, c’est avec ferveur qu’il œuvre dans le cadre de l’association Arte Diem Millenium qui soutient les projets artistiques de diverses manières, réalisation, promotion, distribution… Style ciselé, plume inspirée et regard attentif, goûts éclectiques et pointus, ses chroniques cinéma révèlent avec énergie toute la passion qui l'anime au sujet du 7ème art.