Un pedigree - Patrick Modiano : Plus de 40 ans après La place de l’étoile en 1968, Patrick Modiano qui a toujours été très
discret sur sa propre histoire s’engage sur la voie délicate de l’autobiographie.
Dans Un pedigree, cet écrivain
faussement lunaire, mémorialiste nébuleux, se déleste du poids d’une enfance
singulière, fait son deuil d’une partie de sa vie et au travers de la littérature
accède à une certaine forme de libération. C’est la première fois qu’il s’expose
ouvertement rédigeant un autoportrait en creux. N’éprouvant aucun sentiment de trahison ou d’indécence,
il se tient à distance de son propre récit, peint avec infiniment de pudeur ce
paysage intime révélé, tableau contrasté entre ombres et lumière, inventaire de
fantômes qui s’agitent autour d’un petit garçon sans lui prêter attention, misère
familiale qui ne dit pas son nom.
Patrick Modiano raconte sa jeunesse solitaire surnageant dans le désordre
généré par ses parents inconscients, indifférents, des vies dans lesquelles il
n’y a pas de place pour un enfant. La silhouette du jeune garçon fugueur,
fuyant la mélancolie à travers les rues de Paris, errant de pensionnat en
pensionnat, privé de toute forme de tendresse, se détache fragile au centre du
tableau chaotique de ces existences mouvementées et égoïstes. Le personnage de
la mère entre en scène sur celle d’un cabaret bruxellois, actrice ratée qui
court le cachet sans se soucier de son fils. Un pedigree, c’est aussi l’histoire
du père, homme d’affaires trouble, trafiquant avec des individus interlopes et
des demi-mondaines dans un Paris sombre et mystérieux.
Et le lecteur découvre,
troublé, les origines des motifs récurrents de Modiano, ses obsessions, la quête d’identité, les interrogations
sur la filiation et ce talent rare qui consiste à saisir les êtres dans le flou
de leur trajectoire plutôt que dans leur étude psychologique. Depuis le début,
il retraçait inlassablement l’histoire de ses parents. Les indices disséminés
tout au long de son œuvre romanesque trouvent alors une explication. Ses
détracteurs lui reprochent d’écrire toujours le même livre, en réalité il n‘en
écrit qu’un seul, vaste tableau, construction subtile. Chaque ouvrage est
une pierre qu’il apporte à l’édifice.
Retour sur soi et sur les siens,
dans un geste fulgurant, Patrick Modiano
fait défiler les événements de son enfance et son adolescence sans parti pris,
sans état d’âme. Il ne cède jamais à la nostalgie, ni à la rancœur ou l’emportement.
Il rédige ce texte sur un ton monocorde préservant la discrétion de l’intime au
moment où il se livre le plus entièrement, tout en retenue, en non-dits
déchirants. Son récit est peuplé de fantômes familiers car ce sont ceux qui
hantent son œuvre. Théâtre d’ombres fugitives que l’auteur esquisse avec un
souci de concision, une précision méthodique de procès verbal, d’une plume
hâtive dans l’urgence de cette confession lapidaire. Et la dureté des mots dans
leur épure amplifie l’âpreté du récit. Seule concession à l’émotion, au détour
d’une page, en quelques lignes bouleversantes, il évoque la mort brutale de son
petit frère Rudy à l’âge de 10 ans.
Mise au point, mise au clair, ce
texte crépusculaire, compact, méticuleux, dépassionné, d’une pureté poignante dégage
une émotion saisissante malgré sa forme volontairement laconique, récit réduit
à sa plus simple expression, stèle fragile du souvenir. Sans rancune ni émotion
rétrospective, Modiano raconte comment
une enfance dévastée entre les colères brutales d’une mère négligente,
l’indifférence d’un père insensible, l’incommensurable chagrin sur lequel il ne pose aucun mot, sensation en
filigrane, façonnent un artiste. Naissance d’un homme et d’un écrivain.
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