Ailleurs : Place de la Juiverie, l'ancienne "carrière" de l'Isle-sur-la-Sorgue, un patrimoine historique, culturel valorisé par la Ville

 


L'ancien quartier juif de l'Isle-sur-la-Sorgue évoque la longue histoire de ces communautés, "les Juifs du Pape", expulsées du Royaume de France, réfugiées dans les cités placées sous l'autorité pontificale au XIIIème siècle. L'ancienne carrière l'isloise, "carriero" en provençal, "messila" en hébreu, nom local des ghettos, se développe autour de l'actuelle place de la Juiverie, où se concentre l'activité économique et quotidienne. Fermé la nuit par des portes à l'Est au niveau de l'actuelle rue Alfred de Musset, à l'Ouest rue Louis Lopez, le quartier, étendu sur 6000m2, comptabilise jusqu'à 400 habitants au XVIIIème siècle. Il est alors constitué de maisons de quatre à cinq étages. Les bâtisses surélevées progressivement et pas toujours dans les règles, afin de rentabiliser l'espace au sol, font courir d'importants risques d'effondrement. Les registres mentionnent de nombreux accidents. Du fait de leur fragilité, peu de bâtiments nous sont parvenus, hormis deux immeubles remarquables préservés, l'immeuble Carcassonne et l'immeuble Beaucaire, protégé au titre des monuments historiques depuis février 2022. Dans le cadre de la valorisation du patrimoine culturel de la ville, le quartier Juif de l'Isle-sur-la-Sorgue fait aujourd'hui l'objet de recherches archéologiques, notamment sur le site des anciennes synagogues, celle incendiée au cours de la Révolution, en 1793, celle reconstruite au XVIIIème, abandonnée au XIXème, et d'aménagements importants.








L'Isle-sur-la-Sorgue, ville relativement récente par rapport à ses voisines, prend son essor à partir de l'an mille. Elle assied sa réputation économique dès le XIIème siècle grâce à ses ressources naturelles, en particulier son réseau hydraulique qui favorise le développement d'une industrie liée à l'agriculture, aux moulins à eau et un savoir-faire local, dans le domaine textile.

La présence des communautés juives en Provence est attestée dès le Ier siècle par des vestiges archéologiques. Les registres confirment cette présence à Avignon depuis le XIIème siècle, et à L'Isle-sur-la-Sorgue dans un document datant de 1268. Grâce à l'esprit de tolérance qui règne alors en Provence et dans le Languedoc, les communautés du midi vivent une période de prospérité. Dans le même temps, les Juifs font l'objet d'expulsions, de spoliations et même de massacres dans toute l'Europe, en Angleterre à la fin du XIIIème siècle, puis en France au début du XIVème siècle, en Espagne, au Portugal, en Provence à la fin XVème. 

Le Comtat Venaissin en 1274 et Avignon, résidence des Papes, en 1348, sont placés sous l'autorité du Saint-Siège et demeurent sous la tutelle papale jusqu'à la Révolution française en 1791. Au XIVème siècle, les Juifs, chassés du Royaume de France, échappent aux persécutions depuis 1326 en s'exilant sur les terres pontificales. Les communautés juives du Comtat-Venaissin et d'Avignon vont vivre sous l'administration papale durant cinq siècles. Au XVIème siècle, à l'occasion de l'annexion de la Provence au Royaume de France, elles sont nombreuses, notamment celles d'Arles et de Tarascon, à se réfugier au Comtat. 

Malgré une liberté relative, elles sont contraintes de se plier à des réglementations strictes. À partir de 1624, les populations juives sont confinées dans quatre "carrières" fermées la nuit, à Carpentras, Cavaillon, Avignon et L'Isle-sur-la-Sorgue. Ces ghettos sont désignés sous le terme des Arba Kehilot, dites les quatre saintes communautés en référence aux quatre saintes communautés de Terre sainte, Jérusalem, Hébron, Safed et Tibériade. 

Outre ses mesures ségrégationnistes, les Juifs sont soumis à des restrictions professionnelles, des impôts, des obligations vestimentaires, port d'un chapeau de couleur jaune, obligation d'assister périodiquement à des prêches les appelant à la conversion. Ils ont interdiction de pratiquer la médecine, de posséder des propriétés foncières hormis leur résidence, de faire le commerce de marchandises neuves, de denrées alimentaires et de chevaux. 








Au XVIIIème siècle, l'allègement des restrictions et la permission de voyager favorisent un relatif essor économique qui améliore des conditions de vie des Juifs comtadins. La carrière de l'Isle-sur-la-Sorgue fait l'objet de travaux d'assainissement, d'embellissement, rues pavées en 1758, construction de la synagogue en 1759. De nouveaux immeubles voient le jour sous l'impulsion de familles locales enrichies, à l'instar de l'immeuble Carcassonne ou l'immeuble Beaucaire édifié entre 1760 et 1765 pour les frères David-Aron et Isaac Beaucaire. 

La Révolution émancipe les "Juifs du Pape" désormais autorisés à vivre en dehors des carrières. La ségrégation cesse tout à fait et les communautés sont pleinement intégrées à la population. Le quartier juif de l'Isle-sur-la-Sorgue est abandonné. Au XIXème siècle, les maisons vétustes et les infrastructures tombent en ruines. Des portions entières du quartier sont rasées afin de reconstruire. Ces aménagements configurent l'actuelle place de la Juiverie. 

Les fouilles archéologiques menées à L'Isle-sur-la-Sorgue depuis le début du XXIème siècle s'attachent à redécouvrir le riche patrimoine culturel juif que la municipalité cherche à valoriser. Cadastre napoléonien et documents topographiques du XIXème siècle ont permis de déterminer le site précis de l'ancienne synagogue désaffectée à la fin du XVIIIème siècle, rasée par la municipalité en 1856. En 2013, l'étude du cimetière juif du quartier des Bagnoles, abandonné depuis la Seconde Guerre Mondiale, a été suivie d'une restauration des tombes et d'aménagements paysagers. C'est également la Ville qui a suivi le dossier de l'inscription aux monuments historiques de l'immeuble Beaucaire en 2022.

Place de la Juiverie - 84800 L'Isle sur la Sorgue



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.