Expo : Decoding Korea - Grand Palais Immersif Bastille - Jusqu'au 25 août 2024

Ram Han - Bowl 01 (2023) 


"Decoding Korea", exposition co-organisée au sein du Grand Palais Immersif Bastille par le Ministère Coréen de la Culture, des Sports et du Tourisme et Korea Arts Management Service, sous le commissariat de Lee Daehyung, s'attache à décrypter les spécificités des créateurs coréens attachés aux arts numériques comme mode d'expression. Les dix artistes réunis, de générations variées, placés sous la figure tutélaire de Nam June Paik (1932-2006), pionnier de l'art vidéo, témoignent d'un périple esthétique, onirique qui brouille les frontières entre réel et virtuel. Ce dernier, membre du groupe Fluxus dès les années 1950, signe en mars 1963, une installation considérée comme la toute première oeuvre vidéo. À la galerie Parnass de Wuppertal en Allemagne, il dispose treize téléviseurs à même le sol qui diffusent des images brouillées par un système d'aimant et générateur de fréquence. Deux créations majeures de Nam June Paik, "Global Groove" (1973) et "Wrap around the world" créée à l'occasion des Jeux Olympiques de Séoul de 1988, ponctue le parcours de "Decoding Korea".

Les dix-neuf oeuvres présentées s'inscrivent en prise directe avec les enjeux actuels tels que les politiques économiques, l'écologie, la technologie mais aussi l'histoire du pays. Installations, vidéos, mapping, côtoient intelligence artificielle, réalité virtuelle dans une scénographie immersive. Cerner les thématiques similaires, déceler les motifs récurrents, ce panorama vibrant des arts numériques coréens décode en creux l'identité d'une nation dans une mise en perspective intense des problématiques. 


Jung Yeondoo - Crow's eye view (2022)

Lee Yongbaek - Angel-Soldier (2011)

Jung Yeondoo - Crow's eye view (2022)

Ran Han - Bowl 02 (2023)

Ram Han - Série Dish (2023)


Réflexion contemplative, recueillement nécessaire afin de panser les blessures du passé, "Decoding Korea" plonge les visiteurs dans des univers contrastés. Son propos vient éclairer la diversité des créateurs coréens. La méditation poétique souligne la complexité d'une société et de ses expressions artistiques. L'innovation technique, terreau de créativité permet d'inventer un nouveau lexique plastique. L'art se fait plateforme de connexion entre les hommes, facteur de changement. 

Les oeuvres déployée au sein du Grand Palais Immersif Bastille portent en elles une dimension cathartique, le désir de faire face au passé. L'histoire contemporaine de la Corée est marquée par les traumas, à commencer par la colonisation japonaise à partir de 1910 qui ne prend fin qu'avec la capitulation du Japon face aux Alliés en 1945. Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, le pays est scindé en deux entités nations l'une au Nord sous influence soviétique, l'autre au Sud, américaine qui devient République de Corée en 1948 à la suite de l'échec des négociations pour la réunification. 

De 1950 à 1953, le Nord et le Sud s'affrontent dans une guerre fratricide, conflit qui ne connait, aujourd'hui, toujours pas d'armistice officiel. La reconstruction de la Corée du Sud s'accélère dès les années 1960. La fulgurante croissance économique, au prix d'une génération sacrifiée, relève le pays de ses cendres en quelques décennies. La République de Corée devient une puissance économique et culturelle de premier plan grâce à un développement rapide, notamment une industrialisation à marche forcée, orientée vers l'exportation. 

La société traditionnelle originelle entre alors dans la modernité à un rythme soutenu, transformations en profondeur. À la suite des manifestations de juin 1987, le régime autoritaire fait place à une démocratie, considérée de nos jours comme l'une des plus avancées d'Asie. Les générations les plus jeunes, nées dans l'abondance, embrassent de nouvelles valeurs, fruits d'un contexte social, politique, culturel. 


Yeom Ji Hye - Symbioplot : A plot where we cohabit (2020)

Lee Lee-nam - Lost paradise (2024)

Lee Lee-nam - Lost paradise (2024)

Park Junebum - Terrain pour l'école (2014-2018)

Park Junebum - Terrain pour l'école (2014-2018)


Depuis 2010, le soft power coréen s'incarne dans son rayonnement culturel. La "Hallyu", littéralement "la vague coréenne", soutient la croissance économique. Cette politique de diffusion à l'international de la musique, du cinéma, des séries, des arts, à l'instar des États-Unis dans les années 1950, augmente le pouvoir d'attractivité du pays. La Corée du Sud évolue sur le plan social, embrasse une modernité radicale dont témoigne les grandes villes tout en préservant une riche culture traditionnelle. 

Les dix artistes présents au sein du parcours se penchent vers les défis et les contradictions. Ils auscultent la mémoire collective, le trauma d'une guerre fratricide qui a divisé le pays en deux, la question des frontières. À hauteur d'homme, Kom Hayoun a recueilli les témoignages d'anciens soldats basés sur la ligne de démarcation Nord/Sud dans une vidéo intitulée "489 years" (2016). Le titre fait référence au nombre d'années nécessaires pour déminer la zone frontière démilitarisée entre les deux Corées, le long du 38ème parallèle. Park Junebum avec "Terrain pour l'école" (2014-2018) interroge l'urbanisation du pays, la reconstruction des villes dans une esthétique verticale résolument contemporaine à l'opposé de l'architecture traditionnelle. 
  

Roomtone (Kim Dong-wook & Jeon Jin-kyung) - Inside dream (2023) / In the Gray (2018)

Kim Heechon - Double poser (2023)

Kom Hayoun - 489 years (2016)

Nam June Paik - Global Groove (1973)

Nam June Paik - Wrap around the world (1988)


La scénographie de "Decoding Korea" lance des ponts entre les oeuvres, caractérisées par un même désir de poétiser le réel, de mener une réflexion sociale. Thématiques récurrentes, technologies similaires, multiplication des écrans et des projections, les similarités sensibles se révèlent entre les procédés, les objectifs. Les artistes questionnent le rapport au monde et aux grands enjeux actuels, la politique, la crise environnementale, le pouvoir économique des nouvelles technologies, l'écologie, la croissance mais aussi le quotidien. L'art, nécessaire connexion entre les peuples et les individus, renoue les liens rompus entre passé et présent afin d'envisager un avenir serein. Nation résolument tournée vers l'avenir, la Corée du Sud ne peut détourner le regard des incertitudes du futur. Les artistes nous invitent à penser le monde de demain à hauteur de leurs imaginaires.

Decoding Korea
Jusqu'au 25 août 2024

Grand Palais Immersif Bastille
110 rue de Lyon - Paris 12
Horaires : Du lundi au dimanche de 10h à 19h - Nocturne le mercredi jusqu’à 21h - Fermé le mardi



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.