Dans les années 1970, à Orléans, le petit Yann grandit dans un foyer dysfonctionnel. Coups, insultes, crachats, les parents se déchaînent multipliant les persécutions physiques et morales. Ils infligent à cet enfant non-désiré des punitions sadiques sans proportions avec ses bêtises. La mère, secrétaire, semble toujours réprimer ses pulsions meurtrières, ses envies de le noyer dans le bain, l'étouffer sous un oreiller. Elle imagine des supplices cruels, des humiliations subtiles. Yann réveillé en retard un matin, elle lui impose de se rendre à l'école en pyjama et d'y prendre son petit-déjeuner sous les quolibets des camarades de cours. Le père, kinésithérapeute, d'une violence presque animale le frappe régulièrement à coups de rallonge électrique. Importuné par les cauchemars de son fils, une nuit, il le jette dans la voiture en plein hiver, et l'abandonne en forêt. Lorsque l'enfant de terreur se fait sur lui pour le punir, les parents lui barbouillent le visage de ses excréments. Et puis il y a le silence complice des adultes, les voisins qui entendent les cris, les pleurs, l'institutrice qui voit les bleus. Dans ce huis-clos de douleur, la littérature salvatrice donne de l'espoir au jeune Yann. Les précieux livres finissent souvent détruits par le père, Gide brûlé, Flaubert jeté par la fenêtre de la voiture. Les cahiers d'écolier où l'enfant écrit déjà subissent le même sort.
Récit glaçant d'une enfance martyre, "Orléans" interroge la résilience face aux épreuves et les séquelles des maltraitances. Yann Moix pose des mots sur l'indicible, le cauchemar des horreurs endurées, le calvaire ancré dans la chair et la psyché. Présenté comme un récit autobiographique, "Orléans" a défrayé la chronique lors de sa parution entre choc littéraire et polémique familiale. Dans un grand déballage public, Le père et le frère ont dénoncé des affabulations, la vérité déformée.
Les qualités littéraires du texte font surgir les spectres des grandes figures parentales abusives, parents bourreaux, les Thénardier de Victor Hugo dans "Les misérables", Folcoche d'Hervé Bazin dans "Vipère au poing". Yann Moix parvient malgré les situations insoutenables à faire surgir la poésie, par la tenue du style, incisif, une écriture à l'os marquée par des embardées d'un classicisme presque désuet, vocabulaire soutenu et plus-que-parfait, figures et descriptions inspirées.
La première partie, "Dedans", se recentre autour du domicile familial dans une succession de scènes éprouvantes, de brimades qui constituent un quotidien horrifique. La sidération au récit les coups et les humiliations endurés devient terrible malaise. Yann Moix ne donne aucune explication pour le comportement des parents tortionnaires, fatalité de la violence en héritage, véritable barbarie.
La seconde moitié du roman moins sombre, "Dehors" prend le chemin de l'école, de la maternelle jusqu'à la prépa maths sup où, malgré une aversion pour les mathématiques, atterri contraint le jeune Yann. Les amis, les premiers émois, Natasha, Stella, Anouk et surtout l'amour des mots donnent lieu à des pages lumineuses. Yann Moix capture l'instant où se révèle sa vocation d'écrivain, le moment où la littérature le sauve tout à fai. Déchirant, exempte de tout pathos, "Orléans" rend compte de l'inconsolable chagrin, des blessures qui ne cicatriseront jamais.
Orléans - Yann Moix - Éditions Grasset - Poche Le Livre de Poche
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