Expo : T'ang Haywen. Un peintre chinois à Paris (1927-1991) - Musée Guimet - Jusqu'au 17 juin 2024

 

L'oeuvre de T'ang Haywen (1927-1991), grand peintre chinois de la modernité, à l'instar de ses contemporains lance des ponts entre la réalité formelle et l'imaginaire émancipé de la figuration. "Mes peintures ne sont ni figuratives, ni abstraites, et elles n’appartiennent pas non plus à l’école néo-figurative. Cette classification est trop restrictive pour moi. Je recherche un art sans entraves, un art qui naît sans contraintes".  Aussi connu de son vivant que ses compatriotes contemporains, Zao Wou-ki (1920-2013), Chang Dai Che (1894-1983), retombé quasiment dans l'oubli à la suite d'une série de problèmes liés à la succession, il connait aujourd'hui un retour en grâce. À l'occasion d'une rétrospective modeste par la taille, dense par son contenu, le Musée national des arts asiatiques Guimet présente une centaine d'oeuvres, sélection issue de la donation concédée par la Direction nationale d'interventions domaniales. Acceptée par le musée en 2022, vingt ans après la disparition de l'artiste, celle-ci comporte deux-cent oeuvres, six-cents-cinquante dessins, trente carnets d'études, quatre-cent pièces d'archives personnelles.

La scénographie chronologique de l'exposition "T'ang Haywen. Un peintre chinois à Paris" éclaire les différentes facettes de son oeuvre. Le parcours témoigne de son attachement à la tradition artistique chinoise, l'influence esthétique de la calligraphie et spirituelle des préceptes du taoïsme. Volontiers contemplatives, ses peintures traduisent une sensibilité particulière à la nature, un certain ordonnancement où règnent équilibre et harmonie. En quête d'une "peinture idéale, unissant le monde visible et le monde de la pensée", T'ang Haywen fait le lien entre la peinture chinoise classique et l'art occidental contemporain, trait d'union entre deux cultures. Il signe ainsi de son nom vietnamien romanisé et de son nom chinois.

Fluidité de la ligne, maîtrise du geste, la chorégraphie aérienne du pinceau met en scène une forme de musicalité, de vibration fondamentale. Dans sa poursuite du Tao, l'artiste cherche à se détacher des choses matérielles, pour mener d'une vie simple, s'émancipant ainsi des normes, conventions et technologies. Il applique à ses peintures les préceptes de dualité et de complémentarité, l'équilibre des forces, le plein et le vide, le mouvement et la stabilité, le noir et le blanc, traduisant ainsi le vertige entre la réalité de l'expérience humaine et l'infinité de l'univers.








T'ang Haywen nait en Chine, en 1927, à Xiamen, région de Fujian, dans une famille de commerçant aisés. Celle-ci quitte la Chine en 1937 pour le Vietnam, où elle s'installe à Saigon future Ho Chi Minh-Ville, dans le quartier chinois de Cholon. Élève au Lycée Français, T'ang Haywen est initié à la calligraphie par son grand-père mais il ne suit pas de cursus artistique classique. En 1948, il rejoint Paris afin de poursuivre des études de médecine, rapidement abandonnées. Il s'inscrit en lettres à la Sorbonne et aux Langues O tandis qu'il suit des cours à l'atelier de la Grande Chaumière à Montparnasse. 

Au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, il appartient à cette deuxième génération d'artistes chinois venus en France après la première vague des années 1920. Au cours des années 1950, Tan'g Haywen s'essaie aux portraits, natures mortes, paysages urbains et étudie également la décoration intérieure. Les émouvants croquis au crayon illustrent ses premiers essais. Au début des années 1960, le peintre réalise des encres sur papier, des paysages à l'aquarelle et à la gouache, des portraits à l'encre. Il explore notamment le thème des shanshui, "montagnes et eaux" peintures traditionnelles chinoises de paysages. Cartes de voeux destinées à ses amis et carreaux de céramique décorés complètent ses expérimentations. Les formats réduits illustrent la dynamique de cet artiste toujours en mouvement. Les premiers diptyques apparaissent.








Entre 1960-65, T'ang Haywen exécute une série de petits formats à l'huile sur papier journal qui éclaire les allers-retours entre la figuration et la tentation de l'abstraction. Il travaille également sur carton lisse Kyro sur lequel le pinceau glisse. Ainsi il associe la technique de lavis à l'encre et les couleurs crues de la gouache quand il ne s'essaie pas aux monochromes gris, association de pigments impromptue. Par sa fréquentation assidue des musées, il subit l'influence de Paul Cézanne, Paul Gauguin, d'Henri Matisse. En 1964, il rend un "Hommage à Cézanne", composition revisitée des "Grandes Baigneuses". Quatre ans plus tard, il signe un grand diptyque inspiré du tableau de Gauguin "D’où est-ce que nous venons ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ?", au verso duquel le peintre chinois note "D’où venons-nous ?".

Au début des années 1970, à la suite d'un voyage à Goa en Inde, et de rencontres amicales artistiques, il mène des expérimentations cinématographiques. Le court-métrage "T’ang Boogie" (1973) réalisé par Tom Tam et T’ang Haywen est probablement le premier film d’art réalisé par un artiste chinois moderne. Le diptyque devient son format de prédilection à cette période. L'influence de la calligraphie marque profondément paysages non-figuratifs et visages déstructurés. T'ang Haywen manifeste une grande liberté d'interprétation, imaginaire à l'oeuvre, et s'attache à déconstruire les éléments figuratifs. La reconnaissance internationale survient dans les années 1980 avec de nombreuses expositions dans les galeries et les grandes institutions du monde entier, à l'instar Centre Pompidou en 1989. Tan'g Haywen décède en 1991. Le Musée Guimet organise une grande rétrospective en 2002. 








De nos jours, méconnu du fait de problèmes liés à sa succession, Tan'g Haywen était pourtant une figure centrale de la modernité chinoise de son vivant. À son décès en 1991, l'artiste laisse un important fonds d'atelier non répertorié. À défaut de galeriste, en rupture avec sa famille depuis longtemps, la justice intervient dans le cadre d'une vacance de succession, afin notamment de dresser un inventaire. En 1992, se tient une vente aux enchères, confiée au commissaire-priseur Yves-Marie Leroux. Une partie seulement des oeuvres sont dispersées à cette occasion. Un pan important du fonds a disparu au cours de l'inventaire. L'affaire éclate en 2009 : les manutentionnaires indélicats de Drouot, "les cols rouges" ont pris habitude de se servir dans les inventaires en cours. Les procédures entamées par les Domaines afin de récupérer les oeuvres, durent des années. 

À ces premières circonstances regrettables s'ajoutent des affaires judiciaires au sujet de la titularité des droits patrimoniaux. En 1995, l'expert Philippe Koutouzis, alors directeur de la galerie Marlborough, affirme avoir obtenu les droits auprès du frère de l'artiste, retrouvé en Chine. L'existence même de ce frère est remise en question par le galeriste Enrico Navarra. L'affaire est portée devant les tribunaux qui, en 2018, reconnaissent la titularité des droits à Philippe Koutouzis. Cette situation permet la circulation de nombreux faux. L'abondance de ces oeuvres litigieuses, aujourd'hui traquées par les experts, a ralenti la redécouvert de cette figure importante de Montparnasse. 

T'ang Haywen. Un peintre chinois à Paris (1927-1991)
Jusqu'au 17 juin 2024

6 place d’Iéna - Paris 16
Tél : 01 56 52 54 33
Horaires : Ouvert tous les jours sauf le mardi, de 10h à 18h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.