De passage à Milan, Jean, un documentariste, apprend par hasard le suicide d'une Française, Ingrid, qu'il a connue jadis. De retour à Paris, alors qu'il doit prendre un avion pour le Brésil où son équipe technique l'attend pour tourner un film, il orchestre sa disparition laissant ses proches dans l'ignorance. Désormais en rupture avec sa propre vie, Jean s'absente d'une existence dont il s'est lassé. Il s'installe tout d'abord dans un hôtel de la Porte Dorée. De là, il tente de reconstituer le parcours d'Ingrid. Il y a vingt ans, dans les années 1960, Jean croise le chemin d'Ingrid et Rigaud qui le prennent en stop sur une route de la Côte d'Azur. Jean a désormais l'âge qu'ils avaient alors. Il se souvient de leur bienveillance, de leur générosité et des détails confiés par Ingrid lorsqu'il l'avait croisée à nouveau, quelques années plus tard. En 1942, elle a seize ans et rêve de devenir danseuse. Lors d'une fugue, l'adolescente fait la connaissance de Paul Rigaud. Ensemble, ils quittent Paris occupé, où Ingrid qui est juive est en danger, pour la zone libre. Une sorte de voyage de noces. De nos jours, Jean se lance sur leurs traces et rejoint le Sud.
En 1988, Patrick Modiano compulse de vieux journaux parus au cours de la Seconde Guerre Mondiale. Une annonce de disparition, avis de recherche d'une adolescente fugueuse, publié dans le quotidien "Paris-Soir" le 31 décembre 1941, attire son attention. Troublé par la figure de cette jeune fille dont il ne sait alors rien, il est pris d'une obsession oppressante et mène une véritable enquête durant dix années. Il découvre le destin tragique de cette jeune fille, Dora Bruder, déportée avec son père à Auschwitz en 1942 et s'interroge longuement sur la fugue, court instant suspendu avant le drame et l'horreur. Il publie en 1990 "Voyage de noces" et un second livre en 1997 "Dora Bruder". Les deux textes se ressemblent, le premier ancré dans la fiction, le second mémoriel, tout en empruntant des pistes radicalement différentes.
Construit sous la forme d'un roman policier, "Voyage de noces" se déploie sous la forme d'une investigation dont la narration elliptique ne permet pas tout à fait de remonter la piste. Le narrateur erre à travers la ville puis sur les routes du Sud pour collecter des détails, des bribes de souvenir. Il revient sur les lieux qui ont changé, parfois n'existent plus. Dans sa recherche désespérée, Jean tente en vain de réunir les pièces d'un puzzle recomposé au fil d'une mémoire lacunaire. Patrick Modiano joue sur les effets de miroir, les phénomènes d'identification.
Temps suspendu, énigmes jamais résolues, quête dérisoire, le romancier entraîne le lecteur dans des univers à la marge, à la périphérie de la société des hommes, les milieux interlopes de la Seconde Guerre Mondiale, la banlieue. Les personnages ambigus aux identités fluctuantes, aux intentions hermétiques sont hantés par les incertitudes. Is se distinguent par leurs manques, leurs biographies approximatives. Mélancolie prégnante, sentiment d'étrangeté.
Mélopée lancinante, atmosphère de flottement, Patrick Modiano chahute une chronologie incertaine, traverse les époques et nourrit les incertitudes, les zones d'ombre. Il perd ses personnages dans les labyrinthes du souvenir. Le phénomène d'effacement dilue les identités. Les disparus, les oubliés ne sont plus que leurs confidences incomplètes, la vérité de plus en plus incertaine.
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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