Lundi Librairie : Extrême Paradis - Clovis Goux


Dans un futur proche, le fils de Didier se rend aux États-Unis pour faire ses adieux à son père. Retraité dans une communauté de seniors, ce dernier a trouvé la mort dans des circonstances mystérieuses. Accident, suicide ou meurtre, les méthodes expéditives des autorités locales ont rendu quasiment impossible toute investigation sur le décès du résident français. Le monde a changé. 

À la suite de la "silver revolution", la Floride a fait sécession pour devenir un état autonome, les Villages Unis de Floride. Désormais, cette gérontocratie n'est plus accessible qu'aux plus de cinquante-cinq ans fortunés. Réunion de communautés closes sur le modèle unique de la banlieue américaine, pavillons identiques aux couleurs pastel, pelouses manucurées, piscines bleu lagon. Dans ce décor au luxe de carton-pâte, s'est développée une société dédiée uniquement au divertissement. Les activités, golf, shopping, clubs variés, viennent satisfaire les nostalgiques des années 1960 aux années 1980, figés dans leurs goûts et leurs certitudes, sur l'air familier du "c'était mieux avant". Les jeunes ont été expulsés au-delà du mur. Les enfants n'ont plus le droit de cité. Les retraités vivent une adolescence éternelle. 

Alléché par les belles promesses de cette nouvelle Floride, Didier avait quitté la France pour intégrer l'une de ces communautés, le Village Vert. Bientôt rattrapé par l'ennui, il s'était pris d'une obsession morbide pour les faits-divers les plus sanglants, dressant une carte des lieux marqués par les tragédies. Son enquête dérangeait.

Dystopie hybride, polar d'anticipation sur fond de satire, "Extrême Paradis" suit les errances d'un trentenaire parti sur les traces de son géniteur, dernier rebelle d'une communauté de seniors. Clovis Goux décale le concept de roman de genre. Il emprunte la voie de la fiction qu'il alimente des souvenirs de son propre père. Il associe à la pure fantaisie, histoire intime et éléments biographiques. Truculent, décalé, le récit mâtiné d'une bonne dose de pop culture et d'humour noir, vient progressivement soulever le voile des apparences. Sous l'image idyllique de quartier résidentiel privé à l'échelle d'un pays, la réalité et l'envers du décor s'annoncent bien plus sanglant. La ségrégation et la haine de l'autre sont devenues les pivots de cette nouvelle société.

Les Baby Boomers, génération née au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale, n'ont connu que les privilèges d'un monde capitaliste et son développement économique basé sur la prédation des ressources naturelles et l'inconséquence des actions. Aisance financière, plein emploi et pleine retraite. Désormais, les seniors refusent de laisser la place ou même de vieillir. Pour faire face au processus naturel de dégradation, ils utilisent tous les moyens médicaux à leur disposition. Mais ils vont encore plus loin. Pour vivre leur éternel présent, ils ont fait table rase de leur propre passé, notamment leurs enfants, leurs petits-enfants. La mort elle-même a été escamotée. Les défunts disparaissent corps et bien, incinérés et cendres prestement dispersées car les cimetières n'existent plus. 

Les Boomers ont chassé par la violence les Millenials, ces jeunes qui les rendent responsables de tous les maux contemporains. Le conflit de génération a tourné à l'affrontement politique et militaire entre repli communautaire et angoisses du monde moderne. Les seniors nourrissent une haine des jeunes qui leur rappellent la fin prochaine, l'inéluctable dégradation. Peur de la mort, de la décrépitude, refus de renoncer, désir d'immortalité, ils s'enferment dans une société de consommation à outrance. Mais la vacuité de ces existences a un coût caché, ennui, dépression, escalade de la violence, horreurs des chasses à l'homme et des lynchages. 

Vieux contre jeunes, la fable amorale de Clovis Goux éclaire avec une férocité glaçante des thématiques très contemporaines. Caustique, radical, ambigu.

Extrême Paradis - Clovis Goux - Éditions Stock



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.