En 2052, François Deschamps, fils d'agriculteur drômois considérés comme les derniers représentants d'un monde disparu, a emménagé à Paris pour ses études d'ingénieur. Tout en passant le prestigieux concours d'entrée à l'École de chimie agricole, il se languit du pays natal et de ses valeurs proches de la nature. Il retrouve son amie d'enfance Blanche, actrice, chanteuse, modèle, qui contrairement à lui s'épanouit en ville, émancipée loin des tâches agricoles. Elle a fait la connaissance du tout puissant Jérôme Seita, producteur, magnat des médias et homme d'affaires bien introduit chez les heureux de ce monde. Il oeuvre désormais à faire d'elle une star. Épris de Blanche, jaloux des liens qu'elle entretient avec François, Jérôme cherche à saboter le jeune homme. Il tire des ficelles pour que sa candidature à l'école soit refusée, pour que son électricité soit coupée, que son avenir s'obscurcisse au point de souhaiter retourner dans le Sud. Le grand soir de lancement approche pour Blanche. Elle va être présentée pour la première fois à la télévision. Elle accepte d'épouser Jérôme dont l'argent et l'influence lui promettent une si brillante carrière.
Un mystérieux incident survient en début de soirée. L'apocalypse énergétique détruit toutes les infrastructures d'une société entièrement dépendante à la technologie. Déclaration de guerre, terrorisme, mystérieux sabotage, plus rien ne fonctionne. Il est désormais impossible de se nourrir, d'accéder à l'eau potable de se déplacer ou même de demeurer dans des domiciles entièrement automatisés, voire même parfois d'en sortir. Ravagées par les incendies, gangrénées par les épidémies, la famine et les pillages, les villes se transforment en coupe-gorge tandis que s'annonce une guerre entre l'Amérique du Nord et l'Empire sud-américain. Les survivants urbains se lancen sur les routes du Sud, exode vers la Provence où subsistent les derniers villages paysans autosuffisants.
"Ravage", dystopie régressive, préfigure les récits collapsologiques contemporains. Critique virulente de la société de consommation, "Ravage" décrit la science et technologie comme des outils d'aliénation, la déconnexion à la nature comme un renoncement à l'humanité même. Publié en 1943 par les éditions Denoël, dans le contexte de la Seconde Guerre Mondiale et de l'Occupation, ce roman de science-fiction interroge. Le prisme actuel sensible à une possible lecture écologiste ne saurait effacer tout à fait les soupçons, tandis que la nouvelle civilisation décrite par Barjavel célèbre des valeurs toutes pétainistes, travail, famille, patrie. Vision féroce, humour cruel ou objet de propagande ? Robert Denoël, éditeur impliqué dans la Collaboration, sera remis en cause à la Libération. Son assassinat dans des conditions mystérieuses ne permettra pas d'instruire l'affaire à l'encontre de sa maison d'édition. Une lettre de Georges Duhamel blanchit René Barjavel, inquiété par le Comité national des écrivains en 1944-45, des accusations de collaboration.
Barjavel dénonce les turpitudes du monde moderne, sa hiérarchie sociale fondée sur l'argent, les possessions. Il imagine le futur de l'Humanité, monde crédible si familier, soudain privé de source d'énergie. Sous sa plume, Paris réinventé par des séides de l'architecte Le Corbusier prend des allures glacées de béton et de verre sans place pour la nature. Le gouvernement se compose de nouveaux cabinets, Ministère du Progrès social, Ministère de la Moralité publique. Dans un étrange culte des ancêtres, les morts sont conservés dans des chambres froides sous vitrine au coeur des appartements. Les artistes doivent être accrédités par le gouvernement pour être autorisés à créer. Les aliments synthétiques témoignent de l'hégémonie de la machine et les sciences au détriment des processus naturels.
La catastrophe inexpliquée entraîne une correction radicale et immédiate des excès, dépendance aux machines, à la technologie dans les fonctions les plus élémentaires. Privés de ressources, d'eau, de nourriture, de moyens de locomotion, souvent de logement, les survivants s'organisent. La décomposition rapide du tissu social, initiée au préalable par la valorisation de l'individualisme capitaliste, participe de l'effondrement de la civilisation. Les survivants font face aux incendies, aux maladies et à l'organisation quasi immédiate de groupuscules violents qui font régner la loi du plus fort.
Observateur du naufrage, Barjavel épingle les vulnérabilités de la civilisation. Il décrit une ville livrée au chaos par le dénuement absolu, une perte de repères et renversement des valeurs morales. Réquisitoire contre la société technologique et consumériste, critique d'un monde industrialisé, le romancier nourrit une vision moraliste de cette apocalypse énergétique, manifestation d'une "colère divine", revanche de la nature dominée sur l'être humain.
Animé par l'idée d'un retour à la terre, évocation des utopies communautaires des années 1950-60, un groupe de survivants réunis autour d'un chef qui prône le retour à un état archaïque. La nouvelle société agraire embrasse la régression technologique, mais entraîne également une régression sociétale. Le patriarcat triomphant alimente la loi du plus fort et l'oppression des femmes, réduites à des fonctions reproductives, ainsi que l'asservissement des minorités. Le tableau n'est guère idyllique.
Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.
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