Lundi Librairie : Le roman de Jeanne et Nathan - Clément Camar-Mercier - Rentrée littéraire 2023

 


Nathan, trente-six ans, fils de, universitaire et doctorant abandonné par son directeur de thèse, se passionne pour le cinéma populaire américain. Afin de surmonter sa timidité, son inadéquation, la pression d'être le rejeton d'un père célèbre, il a commencé les drogues adolescent. Incapable de faire face à la violence de l'époque sans béquilles psychotropes, il alimente une polytoxicomanie spleenesque qui l'isole toujours plus. Il donne cours chargé. Intervient dans des colloques en quasi-overdose. Au quotidien, Nathan est confronté à un système qui rabaisse les chercheurs, les enseignants, les élèves, et enfante des êtres sociaux englués dans leur mépris, leurs mesquineries, leurs jalousies, leurs aigreurs. Jeanne est devenue star du X pour s'opposer à ses parents, bourgeois cathos de droite. Après une adaptation porno de Phèdre, elle enchaîne sur un bukkake dans un hangar industriel. Elle oppose un visage impassible à la violence des plateaux, les humiliations, la souffrance physique. Nathan et Jeanne ont pour point commun leurs addictions. En perdition, ils étouffent leur désespoir, leur dégoût, leur amertume dans les excès de produits. Jeanne et Nathan ne savent plus vivre sans leur dose. La drogue pour mettre la réalité à distance pour s'anesthésier, faire bonne figure face à l'adversité. 

Amertume, dégoût, à la veille du confinement, chacun atteint une apogée dans sa spirale autodestructrice. La prise de conscience de leur addiction, les conduit à quelques heures d'écart, à se faire interner dans une clinique privée de Neuilly-sur-Seine, un sevrage loin du monde.  Au sein de l'établissement se concentre un éventail d'addictions à la drogue, au porno, au jeu. Jeanne et Nathan, camés désabusés, revenus de tout, se rencontrent, se reconnaissent. L'amour fou leur redonne l'espoir du bonheur, l'envie de retrouver la lumière. Sortie de leur cure de désintox, ils fuguent loin de Paris, à la campagne dans le Loir-et-Cher, où ils se laissent séduire par une nouvelle utopie écologiste anticapitaliste. 

Primo-romancier, Clément Camar-Mercier, dramaturge, spécialiste du théâtre élisabéthain, traducteur de William Shakespeare, fait référence par son titre "Le roman de Jeanne et Nathan" à un genre narratif médiéval, dans la lignée du conte et de l'épopée. À la figure des amants éternels pris dans le cycle de l'amour et de la mort, Eros et Thanatos, il associe sexe et drogue pour mieux ancrer son récit dans une contemporanéité lucide. Clément Camar-Mercier ausculte les maux de l'époque, dresse le constat d'une "société de consommation supplantée par la société de l'addiction". Les emprunts au cinéma, nombreuses scènes clins d'oeil, témoignent de l'importance des images, du montage avec une alternance de point de vue. Le romancier s'offre même un caméo dans son roman à la manière d'Hitchcock dans ses films. Le répertoire détaché de la vraisemblance traduit la préférence de Clément Camar-Mercier pour la fiction à la crédibilité. 

Le verbe est vif, l'humour cinglant, l'ironie délectable pourtant le romancier manifeste une véritable tendresse, une empathie pour ses deux anti-héros, deux paumés solitaires qui trouvent la rédemption dans l'amour. L'auteur force le trait jusqu'à la caricature, s'empare des clichés pour s'en amuser, Jeanne, en écho à la figure classique de la prostituée du XIXème siècle, Nathan celle l'intellectuel dépressif. Perturbés dans leur trajectoire par leurs troubles psychiques, ils se sont condamnés à une vie de manque après avoir sans cesse repousser les limites physiques et psychologiques. Les paradis artificiels sont devenus leur enfer autodestructeur. 

Le début se veut très noir. Clément Camar-Mercier recourt volontiers à l'exagération, entre concentré grotesque, transe hallucinée et débordements frénétiques. Atmosphères poisseuses, situations sordides, la drogue marque son emprise, lueur spectrale, sur toute la première partie. À la suite de la rencontre, de crépusculaire le roman prend un tournant, avec changement de rythme, et d'éclairage. Les ruminations intérieures font place à la quiétude du quotidien, le bonheur à deux. Les pages lumineuses se teintent d'un lyrisme imagé, tableau idyllique aux couleurs ardentes. La folle passion solaire des deux amants se nourrit d'idées libertaires, nouvelle intoxication à l'amour cette fois, qui est refuge et isolement. Clément Camar-Mercier clôture son roman par un coup de théâtre, un retour radical à la réalité. Malice ou cynisme, au lecteur de le déterminer.

Le roman de Jeanne et Nathan - Clément Camar-Mercier - Actes Sud




Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.