Paris : Passage du Havre, centre commercial contemporain, substitut ultra-moderne d'un ancien passage couvert du XIXème siècle - IXème


Le passage du Havre, centre commercial contemporain inauguré en juin 1997, a été construit à l'emplacement d'un passage couvert éponyme datant du XIXème siècle. À l'occasion de la création de la Gare Condorcet du RER E, opération d'urbanisme d'envergure, tout l'ilot à l'angle de la place du Havre a été démoli. Désormais, seul demeure le souvenir fané du vieux passage figé dans le temps, atmosphère surannée et configuration peu propice aux considérations mercantiles modernes. Un véritable pôle marchand l'a remplacé. Il manque singulièrement d'âme voire de cachet mais répond aux critères du commerce contemporain. Quarante boutiques, cinq restaurants, enseignes variées la Fnac, Sephora, Nature et découverte, mode, beauté, multimédia, grandes marques internationales, tentent d'attirer la clientèle internationale qui fréquente les prestigieux voisins, le Printemps Haussmann et les Galeries Lafayette. 








L'ancien passage du Havre, percé en 1845, sur des terrains propriété de spéculateurs, Fouquel, Selles, Doux et Durand-Billion, prend tout d'abord pour nom passage du Chantier de Tivoli. Ouvert entre le 107 rue Saint Lazare et le 69 rue Caumartin, il est inauguré à la suite d'une ordonnance de la préfecture datée du 7 septembre 1846. Au milieu du XIXème siècle, les passages couverts parisiens connaissent un succès rapide. Lieux de divertissement, de promenade autant que de commerce, ils inspirent des opérations immobilières d'une grande rentabilité. Les promoteurs investissent avec frénésie. À Paris, leur nombre grimpe jusqu'à une cinquantaine. Dix-huit seulement ont survécu aux aléas de l'histoire et la baisse de l'engouement. Marchands de nouveautés, librairies, galeries d'art, cafés et restaurants, les boutiques élégantes, à l'abri des intempéries et de la circulation, y trouvent de nouvelles manières. 

L'architecte Nicolas Victor Bartaumieux (1804-1874) conçoit le passage du Havre originel selon un plan en équerre, articulé autour d'une rotonde de dix mètres de diamètre. 115 mètres de long, 3,65 mètres de large, le passage à la fois haut et étroit a des allures de bazar byzantin. Il ne s'agit pas d'une galerie commerciale prestigieuse mais plutôt d'un passage populaire, aux nombreuses échoppes modestes. Sous le Second Empire, le passage du Havre développe une réputation sulfureuse. Les librairies y diffuseraient sous le manteau des images licencieuses, des ouvrages libertins et des pamphlets politiques. Dans la presse, les bonnes gens s'émeuvent de l'influence sur la moralité des élèves du lycée Condorcet voisin. 

Le passage du Havre conserve jusqu'à la fin du XXème siècle son atmosphère singulière de joyeux bric-à-brac, aux vieilles enseignes, à la pénombre envahissante faute d'entretien de la verrière. Réputé pour ses boutiques de trains électriques, La Maison des Trains et Au Pélican, les amateurs viennent y trouver les grandes marques Jep, LR, VB, Märklin, Hornby, ainsi que des production maison sur mesure à la commande mais aussi des maquettes d'avions, de bateaux.








Dans les années 1990, l'ancien passage du Havre est rasé puis entièrement reconstruit au cours d'un chantier de trois ans et demi. Seules les façades sur rue sont préservées, jusqu'à la corniche haute du quatrième étage au 103-105 rue Saint-Lazare, en totalité au 67-69 rue Caumartin. Le passage prolongé jusqu'à la rue du Havre se dote d'un troisième accès, voie transversale.  

Maître d'oeuvre du projet, l'architecte Michel Macary, co-auteur notamment du Stade de France à Saint-Denis (1994-98), du Grand Louvre en collaboration avec Ieoh Ming Pei (1983-1993), s'entoure d'Erwan Thual, Claude Agathon, Olivier Vidali et Etienne Bruley en charge de l'architecture intérieure. Cette équipe répond à la demande du client, l'efficacité plutôt que le charme, la fonctionnalité au service de la consommation, esthétique mercantile. Le nouveau passage du Havre est édifié et géré par Espace Expansion, gestionnaire et constructeur de centres commerciaux pour le compte du groupe Unibail, l'une des plus importantes foncières d'Europe. 

Le chantier se déroule dans des conditions particulières. Durant dix-huit mois, les travaux privés sont suspendus pour permettre à la SNCF, de poursuivre la construction à ciel ouvert de la gare Condorcet du RER E, le projet Éole, qui se trouve à 30 mètres de profondeur. À la reprise des travaux du passage, les bâtiments reconstruits en surface tandis qu'en sous-sol le creusement de la gare se poursuit et que la voûte est achevée en sous-oeuvre. 

Le nouvel ilot à l'angle de la place du Havre comprend un ensemble de bâtiments à rez-de-chaussée, de cinq et six étages sur quatre niveaux de sous-sol à usage d'une part de bureaux sur une surface de 9648 m2, mais également de commerces et de passage couvert sur 11410 m2, ainsi que d'habitation avec vingt-neuf logements pour 2155 m2 et une fonction de stationnement avec un parking de 262 places sur 8841 m2.

Le nouveau passage du Havre, inauguré en juin 1997, présente désormais les proportions standardisées des mails contemporains, espace en rupture avec la tradition des passages couverts parisiens du XIXème siècle. Travées commerciales régulières élargies, dimensions radicalement différentes de l'ouvrage originel, il se dote en plus d'une nouvelle allée au sous-sol, en accès direct depuis la station de métro de la Gare Saint Lazare. 








La CDR, structure de défaisance immobilière du Crédit Lyonnais, est alors propriétaire du passage du Havre, depuis la liquidation d'Ibsa. Cette banque acquise en 1992 par le Crédit Lyonnais avait financé les opérations spéculatives d'un marchand de biens dans le cadre de l'achat des anciens immeubles du passage. La commercialisation rapide de l'ensemble, valorisation les espaces en optimisant le taux de rentabilité, est l'objectif premier du projet de reconstruction à défaut de songer au patrimoine ou au charme. Le nouveau passage du Havre doit faire écho aux 10 000 m2 de commerces implantés à la Gare Saint Lazare par Klépierre, acteur majeur de l'immobilier commercial en Europe. 

En 2000, Eurocommercial, foncière néerlandaise spécialiste des centres commerciaux, rachète le passage du Havre au Crédit Lyonnais. En 2010, de nouveaux objectifs sont établis. La rénovation de la galerie, chantier mené de nuit jusqu'en 2013, sans fermer les espaces en journée, est censée lui donner une ambiance plus cossue afin de séduire aune clientèle différentes, les touristes russes, américains, chinois, japonais, qui fréquentent déjà les grands magasins historiques. 

L'agence Vergnaud architecture de Christophe Vergnaud travaille en symbiose avec l'agence Saguez & Partners d'Olivier Saguez.  En complément de la réfection des façades XVIIème et XVIIIème, rue Saint Lazare et rue Caumartin, les entrées sont surmontées de nouvelles marquises sobres, auvents courts, tympans en verre blanc et simples lanternes. Olivier Saguez orchestre les réaménagements intérieurs. Le programme décoratif plus haut de gamme vient souligner l'agencement de la galerie révisé. La circulation est repensée autour d'une cour intérieure, rotonde et puits de lumière. Les garde-corps de verre incrustés d'éléments naturels dialoguent avec les murs végétalisés, jardinières de buis. L'intervention de la nature se prolonge dans l'espace détente intérieur, sur l'étroite coursive technique repensée en jardin et sur la terrasse ouverte aux beaux jours. 

Passage du Havre - Centre Commercial Saint Lazare
107 rue Saint Lazare - 69 rue Caumartin - Paris 9
Horaires :
- Boutiques lundi-mercredi et samedi, 9h30-20h ; jeudi-vendredi, 9h30-20h30 ; dimanche, 11h-19h
- Parking et galerie : lundi-samedi, 7h30-20h30
- Horaires particuliers : FNAC, Starbucks et Maison Pradier (consulter le site internet)
- Fermeture : 1er janvier et 1er mai
Métro Saint Lazare lignes 3, 12, 13, 14




Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 

Bibliographie 
Passages couverts parisiens - Jean-Claude Delorme et Anne-Marie Dubois - Parigramme 
Le guide du promeneur 9è arrondissement - Maryse Goldemberg - Parigramme