Paris : Boutique Claverie, corset, orthopédie, riche histoire d'un empire disparu de la corseterie et des membres prosthétiques - Xème

 


La double boutique Claverie, lieu patrimonial évocateur, invite à un voyage dans le temps. Enseignes à l'ancienne, fixés sous verre annonçant corset et orthopédie, devanture de bois sculpté, décor Belle Époque tout d'acajou, vitraux colorés, dénotent des inflexions Art Nouveau. Ce répertoire ornemental foisonnant à l'éclectisme délicieusement suranné charme au premier regard. Le lieu fréquenté en son temps par Arletty, Mistinguett, Joséphine Baker et même Albert Camus qui souffrait du dos, ne saurait traduire par sa modestie pimpante l'ampleur et le rayonnement de la Maison Claverie, en son temps. Fondée par Auguste Claverie (1862-1914), né Charles Delbret, et Georges Bos dans les années 1890, le parcours de cet établissement témoigne de l'histoire de la mode et de la libération des corps. 
 
Les produits phares de la maison gaines, ceintures médicales, corsets hygiéniques, bandages herniaires cotoient dans les catalogues et même en vitrine une gamme d'accessoires très variés du sex-toys aux lunettes, jusqu'aux prothèses orthopédiques destinées aux amputés. Le succès de la maison Claverie est tel que l'entreprise se déploie à travers tout le quartier, dans un réseau d'espaces réparties autour du quadrilatère mère entre la rue du Faubourg Saint Martin et la rue Louis Blanc.

Pourtant, de l'empire Claverie qui comptait jusqu'à soixante succursales à travers le monde, ne subsistent aujourd’hui que les deux petites boutiques originelles. Elles font l'objet d'un classement partiel à l'inventaire des monuments historiques par arrêté du 29 juin 2011. La protection concerne la porte cochère et son fronton, l'escalier et la cage desservant l'immeuble dit bâtiment A sur la rue du Faubourg Saint Martin, façades et intérieurs des deux boutiques du rez-de-chaussée avec leur décor porté et les vitraux. 


2023

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En 1891, Auguste Claverie (1862-1914) et Georges Bos s'associent pour monter une herboristerie. Ils louent une petite officine au 234 rue du Faubourg Saint Martin où ils vendent lotions hygiéniques, onguents, et produits de beauté parmi lesquels l'eau de Vénus ou la crème en tissu d'or, ancêtre du déodorant. Le succès vient avec le développement du rayon bandages et corsets destinés aux corps souffrants, abîmés. Au cours des premières années, Auguste Claverie et Georges Bos déposent de nombreux brevets entre science et couture, s'appuyant sur l'innovation des nouveaux matériaux élastiques. La réussite de la Maison Claverie raconte en filigrane l'aventure commerciale d'un brillant duo d'inventeurs. Ils imaginent des dizaines de prothèses, d'instruments orthopédiques, de lingeries sculptantes afin de soulager les corps malades, contenir les chairs débordantes, transformer les silhouettes. Gaines et corsets médicaux à mi-chemin entre la lingerie et l'orthopédie, associent le soin, le conseil et le plaisir des dentelles. 

De nouveaux ateliers parisiens sont inaugurés rue Alexandre Parodi à proximité de la maison mère. Des pâtés de maison tout entier sont occupés par les annexes. En 1897, une grande usine voit le jour dans l'Aube à Romilly-sur-Seine. En 1900, Auguste Claverie fait l'acquisition en Dordogne, du château des Milandes situé dans la commune de Castelnaud-la-Chapelle. Il se passionne pour la restauration d'envergure de ce lieu. En 1914, sa veuve le vend à un particulier, futur médecin sur le paquebot Normandie, en 1914. Joséphine Baker loue le château à partir de 1937 puis l'achète en 1947. 


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En 1904, la Maison Claverie du 234 rue du Faubourg Saint Martin fait l'objet d'un vaste chantier d'embellissement. Les espaces de vente et les devantures sont remaniés. Les installations modernisées. La rénovation de la cour du 232 rue du Faubourg Saint Martin où se trouvent les ateliers de confection sur-mesure et les logements des ouvrières, est confiée à l'entreprise Hennebique spécialiste du béton. Le somptueux décor, bois d'acajou, vitraux précieux, mobilier sur mesure, confère un nouveau statut aux boutiques. Au rez-de-chaussée, se trouvent la caisse et les petits accessoires. Au premier étage, les salons d'application sont desservis par un ascenseur comble de la modernité. Ses somptueux salons d'essayage, véritables boudoirs - aujourd'hui transformés en loft - disposent d'une sortie dérobée pour les messieurs afin d'éviter les mauvaises rencontres, maîtresses jalouses ou épouse cocue. De même, une entrée discrète est créée côté rue Louis Blanc. 

En 1905 Georges Bos rachète les parts de son associé. Seul à la tête de la maison Claverie, il transforme l'essai et créé un véritable empire de la corsetterie. Il fait preuve d'un sens unique de la communication, investissant dans la réclame classique, des pages de publicité dans "L'illustration" ou "Vogue", et les articles flatteurs achetés auprès des journalistes. Claverie possède des comptoirs dans le monde entier surtout pour vendre les ceintures herniaires, de Buenos Aires à Moscou, de Saigon à Alger. En France, la corsetterie bonneterie plait autant que l'orthopédie, et des boutiques ouvrent à Lyon, Bordeaux, Béziers, Marseille, Clermont-Ferrand, etc., toujours dans des quartiers commerçants réputés.

Selon la légende urbaine, le succès est tel qu'à Paris, l'emplacement de la bouche de métro de la station Louis Blanc inaugurée en 1910 aurait été déterminée pour desservir précisément les boutiques Claverie. En 1911, deux-cents-vingt-cinq ouvriers, soixante-quinze employés travaillent pour la Maison Claverie qui détient alors soixante succursales.


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Auguste Claverie décède en 1914. Au lendemain de la Première Guerre Mondiale, effroyable boucherie, les vétérans mutilés, les "gueules cassées" deviennent des clients privilégiés. La maison Claverie propose aux amputés une vaste gamme de jambes et bras artificiels conçus sur mesure. En 1922, le groupe emploie plus de six-cent personnes. Georges Bos mène une gestion humaniste et paternaliste. Il met en place un fonds de secours mutuel, une assurance maladie, chômage, retraite pour ces employés. La prestigieuse boutique Madeleine est inaugurée au 12 rue Tronchet en 1930.

La Maison Claverie réputée pour ses bas élastiques pour varices, ses bandes de contention abdominale destinés aux hommes, ses corsets pour dames, diversifie son offre sur des accessoires plus originaux notamment des sex-toys en bois et caoutchouc, parmi lesquels "le consolateur des dames" en latex produit en Indochine, ainsi que nombreuses références de préservatifs masculins et féminins, certains même dotés de picots pour plus d'effets. L'exposition en vitrine de la collection provoque des attroupements. La Maison Claverie doit faire face en 1896 à un procès pour outrage aux bonnes moeurs. En parallèle, les ceintures de chasteté pour lutter contre l'onanisme font partie des collections. La multiplication des références inclut une gamme d'optique, moins sulfureuse, vendue dans la boutique de la rue La Fayette, close dans les années 1960.


2015

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Le déclin progressif de l'empire Claverie suit les soubresauts de l'Histoire. Ce commerce est directement affecté par la décolonisation avec l'émergence de difficulté d'approvisionnement en matières premières et réduction des débouchés. De plus dans les années 1960, la silhouette féminine se libère, avec l'abandon des gaines, corsets et même souvent des soutiens-gorge. La crise du textile des années 1970, la concurrence des nouveaux producteurs à moindre coût en Asie, l'émergence de la fast fashion portent un nouveau coup à la Maison Claverie. Les consommateurs privilégient désormais les produits moins chers, de moindre qualité. Au cours des années 1980, les succursales Claverie disparaisse dans la crise des petits commerces de proximité. 

Ne subsistent alors que les deux boutiques du 234 rue du Faubourg Saint Martin là où tout a débuté. Un projet de restauration lancé en 2015, aboutit en 2016 avec la rénovation des façades et des décors intérieurs à l'occasion de l'établissement d'une épicerie fine "Botike belge". La boutique Mademoiselle Claverie tenue par les descendantes de Georges Bos, propriétaires des lieux, Florence Arrachequesne et sa fille Émilie Danois Ollivier maintenaient jusqu'à récemment la tradition vivante. Le commerce victime de la crise sanitaire, elles ont été contraintes de glisser la clé sous la porte. Le salon de coiffure Diogene 1919 remplace aujourd'hui la Botike belge 

Corsets Claverie
234 rue du Faubourg Saint Martin - Paris 10
Métro Louis Blanc lignes 7, 7bis



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie. 

Bibliographie
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Hachette
Le guide du promeneur 10ème arrondissement - Ariane Duclert - Parigramme