Expo Ailleurs : Formes et métamorphoses. La création céramique de Picasso - Musée Magnelli de Vallauris - Jusqu'au 30 octobre 2023

 


Le Musée Magnelli de Vallauris, consacre une exposition à la création céramique de Pablo Picasso (1881-1973) dans le cadre des commémorations du cinquantenaire de la disparition du maître. La sélection d’œuvres emblématiques, réunies grâce aux prêts exceptionnels consentis par les institutions publiques et les collectionneurs privés, illustre la grande variété de la production picassienne.  Émouvant retour aux sources pour ces pièces qui reviennent pour la première fois là où elles ont été conçues. Histoire de transmission et de passion, « Formes et métamorphoses. La création céramique de Picasso » souligne l’importance de la relation artistique, professionnelle et amicale nouée entre l’artiste espagnol et la céramiste Suzanne Ramié, fondatrice de l’atelier Madoura. En 1946, Pablo Picasso, au faîte de sa gloire, découvre l’art de la céramique lors de l’exposition annuelle des potiers de Vallauris. Intrigué, il s’essaie au modelage de la terre. Convaincu du potentiel de la pratique, dès l’été 1947, il se rapproche de Suzanne et Georges Ramié. A l’atelier Madoura, cadre de liberté créatrice, Picasso s’adonne à la céramique, nouveau champ d’exploration plastique, moyen d’expression inédit. Fasciné par les arts du feu, il s’attache à comprendre la matière, capturer l’essence de la technique ancestrale. Picasso s’en approprie les codes, les détourne et imprime sa patte, unique. L’engouement est tel qu’il décide de s’installer pour de bon à Vallauris où il réside de 1948 à 1955. Halte de sept ans au cours de laquelle il noue des liens artistiques et humains déterminants.

Sous l’influence de Picasso, la céramique de Vallauris connait un âge d’or. La présence de l’artiste impulse un mouvement propice à l’émulation artistique. A la suite du maître espagnol, Marc Chagall, Victor Brauner, Edouard Pignon rejoignent la cité potière pour explorer les possibilités de la céramique. Cette effervescence artistique participe du rayonnement de la ville et de sa tradition potière à l’international. Aujourd’hui, Vallauris est jumelée avec la ville de Bizen au Japon, l’un des six centres historiques de la céramique nippone.








Grâce au savoir-faire des immigrés italiens et à la qualité de sa terre, Vallauris devient dès le XVIIème une cité potière de renom. Au début du XXème siècle, la poterie culinaire fait place peu à peu à la poterie artistique et à la céramique. Pourtant, dans les années 1930, l’artisanat lié en grande partie à la production d’objets utilitaires connait un certain déclin. A cette époque, Suzanne Ramié (1905-1974), formée aux Beaux-Arts de Lyon, dessinatrice textile, s’installe en Provence. Elle renoue avec l’art de la céramique aux côtés du potier Jean-Baptiste Chiapello. En 1938, elle ouvre son propre atelier à Vallauris, Madoura, acronyme de maison, Douly, son nom de jeune fille, et Ramié. Elle rompt avec la tradition utilitaire, pour mener des recherche plastiques qui tendent vers l’épure des formes. Suzanne Ramié modernise, détourne, réinvente les bourraches destinées à l’huile d’olive, les « gus » au vinaigre. 

Le 26 juillet 1946, Picasso en vacances à Golfe-Juan se rend à la coopérative Le Nérolium à l’occasion de l’exposition annuelle des potiers de Vallauris. Poussé par la curiosité, il fait ses premiers essais de modelage. À l’invitation de son ami Michel Sima, sculpteur, céramiste et graveur, qui pratique la céramique à Vallauris, il rencontre Suzanne et Georges Ramié. Au sein de l’atelier Madoura, Picasso s’initie à un savoir-faire artisanal millénaire. Convaincu par le résultat, il revient à Vallauris dès l’été 1947. Il appréhende ce nouveau moyen d’expression universel, grâce à Suzanne Ramié qui lui transmet son art de l’émail, de la cuisson. En remerciement, il signe au revers de ses pièces, « Pour Madame Ramié, son fidèle sujet. Picasso, son élève ». Débuts d’un dialogue ininterrompu, Picasso s’installe à Vallauris en 1948. Il poursuit la pratique de la céramique jusqu’à la fin de sa vie. Durant près de vingt-cinq ans, il imagine des pièces d’une inventivité sans cesse renouvelée.








Picasso emprunte le répertoire plastique de Suzanne Ramié qui dessine les formes tandis que le tourneur Jules Agard les réalise. Picasso utilise ces éléments comme supports d’expérimentation. Il intervient sur la matière encore fraîche pour transformer l’objet usuel originel, par le modelage, l’ajout de glaise, et le décor imprimé dans la matière ou peint. Les possibilités du matériau, la plasticité de la terre, de la technique, lui ouvrent des perspectives de création. La cuisson au four et ses imprévus procèdent d’une sorte d’alchimie, avec la révélation des couleurs de l’émail, du brillant. Picasso travaille aussi sur les pâtes blanches, céramiques non émaillées, décorées d’éléments en reliefs. Il revisite l’iconographie ancestrale pour mieux réinventer ses propres motifs et thématiques, corrida picadors et taureaux, bestiaire picassien le pigeon, la colombe, la chouette, la chèvre, les personnages mythologiques le faune, le Minotaure et les nymphes. Pablo Picasso installe son propre atelier de Fournas dans une ancienne fabrique de parfums. De 1946 à 1971, il produit entre 3500 et 4000 pièces. Au cours de toute cette période, Michel Sima ne cesse de documenter son travail et réalise une célèbre série de portraits à la Madoura. 

Depuis son arrivée, Picasso a de fait un accès prioritaire informel aux nouvelles tournures inventées par Suzanne Ramié. Il puise à l’envie directement sur les étagères de l’atelier. Pour soutenir l’activité commerciale de la poterie Madoura, il choisit avec le couple Ramié certains modèles afin de les éditer en série, tirages limités de vingt-cinq à cinq-cents exemplaires. L’atelier Madoura obtient l’exclusivité de la production. Picasso détermine les quantités et supervise la réalisation technique. Il manifeste ainsi la volonté de rendre son travail accessible, le populariser en retrouvant une fonction utilitaire, quotidienne. Picasso écrit à André Malraux, « J’ai fait des assiettes. On peut manger dedans. » Cette époque est marquée par son engagement politique au sein du Parti Communiste français et le désir renouvelé de diffuser son art auprès du plus grand nombre. 











Durant cette période, Pablo Picasso délaisse la peinture, pour la sculpture. Il travaille à partir de matériaux de récupération, plâtre, bois, détourne des objets du quotidien, notamment les jouets d’enfants, « La guenon et son petit » (1951), « La chèvre » (1950). Dans le même temps, il s’essaie à la linogravure aux côtés de l’imprimeur Hidalgo Arnera, collaboration au cours de laquelle il porte l’accent sur les couleurs. Picasso réalise les affiches des expositions dédiées à la production céramique de Vallauris, celles des événements festifs organisés en son honneur par la ville, courses de taureaux et corridas, alors qu’il n’y a pas de tradition taurine dans la région. 

L’exposition témoigne de l’attachement très affectif de Picasso à Vallauris. En 1949, il offre à la ville, « L’homme et le mouton » puis en 1952, peint « La Guerre et la Paix » dans la chapelle de l’ancien prieuré. La présence de Picasso, alors au faîte de sa gloire, participe au rayonnement de la cité et de son activité potière. Son intérêt pour la céramique relance une industrie artisanale, et marque un véritable renouveau.

L’exposition au Musée Magnelli présente en parallèle des productions céramiques une série de photographies signées André Villers, proche de Picasso. De 1953 à 1961, il réalise quatre-cents clichés, illustration vibrante des différentes facettes de l'homme et de l'artiste, la personnalité publique à l’occasion d’événements officiels, le démiurge à l’œuvre dans l’atelier ou encore le père de famille. L'occasion de découvrir un peu de l'intimité du maître à un tournant de sa vie sentimentale. En 1948, Picasso emménage à Vallauris avec sa famille, Françoise Gilot (1921-2023), leurs enfants Claude et Paloma. Picasso rencontre Jacqueline Roque qui travaille à la Madoura en 1952. Françoise Gilot le quitte en 1953. Jacqueline et Pablo se marient en 1961 à Vallauris. Les photographies d'André Villers capturent également les amis de Picasso venus lui rendre visite Edouard Pignon, Jean Cocteau, Jacques Prévert, Paul Eluard, dans des scènes joyeuses. 

L’ancienne fabrique Madoura fermée en 2008 fait actuellement l’objet d’une restauration afin de devenir un centre culturel, lieu de mémoire et d’exposition. 

Formes et métamorphoses la création céramique de Picasso
Jusqu’au 30 octobre 2023

Musée Magnelli – Musée de la Céramique
Place de la Libération – 06220 Vallauris
Tél : 04 93 64 71 83
Horaires : Été Du mercredi au lundi 10h-12h30 et 14h-18h – Fermé le mardi




Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.