Paris : Histoire condensée du IIIème arrondissement, création, urbanisation, développement au coeur de la Capitale

Hôtel de Clisson - Paris 3

En 1860, le décret impérial d'annexion des communes limitrophes au territoire de la ville de Paris, détermine la forme actuelle du IIIème arrondissement. Vaste de 117 hectares, une grande partie de son périmètre correspond au très recherché Haut-Marais. Il se compose de quatre quartiers administratifs, Arts-et-Métiers, Enfants-Rouges, Archives, Sainte-Avoye. Fief des congrégations religieuses dès le IXème siècle, puis de la noblesse de la Renaissance au Grand Siècle, de la bourgeoisie jusqu’à la fin du XVIIIème, le IIIème arrondissement connait des revers de fortune au XIXème siècle, paupérisé et industrialisé jusqu’au milieu du XXème. Les vestiges uniques de l’histoire architecturale parisienne, hôtels particuliers couvrant la période du Moyen-Âge à l’Empire, manquent de disparaître. Dans les années 1950, promoteurs, architectes modernistes et édiles rêvent d’une ville de béton. Le Marais est sauvé par la loi Malraux de 1962 qui institue les « secteurs sauvegardés ».  

Tout d'abord hors des frontières de Paris définies par l'enceinte Philippe Auguste de 1190 puis intégré à la ville au cours du XIVème siècle par le tracé de l’enceinte de Charles V, le territoire du IIIème arrondissement est le fruit de l’histoire croisée des grands prieurés, Saint Martin des Champs et le Temple, et des vagues successives d’urbanisation sous l’influence de l'aristocratie puis des spéculateurs immobiliers. 



Jardin des Archives Nationales - Paris 3

Place des Vosges - Paris 3


La rive gauche de Paris, occupée par la ville gallo-romaine, se développe depuis le Haut Empire. A la fin du IXème siècle, la rive droite connaît un essor en bordure du fleuve, grâce à l’activité commerciale autour du port de Grève. Essor tout relatif du fait des invasions normandes à répétition. Les grandes paroisses de Saint Gervais, Saint Merry, Saint Germain l’Auxerrois se protègent derrière une enceinte défensive primitive en bois qui n’englobe par les faubourgs artisans. Le réseau de routes sommaires forme alors un triangle originel, qui correspond au futur quartier du Marais. Du Nord au Sud, la rue principale primitive, actuelle rue Saint Martin, est attesté dès le VIème siècle dans le prolongement de la rue Saint Jacques, l’ancien cardo maximus de Lutèce rive gauche. 

L’abbaye Saint Martin des Champs est fondée en 1059, à l’emplacement d’une basilique de la fin du VIème siècle détruite lors des invasions normandes, relevé par le roi Henri Ier. Rattachée en 1079 à l’ordre de Cluny, elle devient le plus grand prieuré clunisien au Nord de la Loire. Les bâtiments sont aujourd’hui occupés par le Musée des Arts et Métiers. L’abbaye Saint Martin des Champs reçoit de nombreuses donations, terres maraîchères, parcelles fertiles et sources dans un périmètre situé entre les actuelles rues Saint Martin et du Temple, terrains dispersés entre l’enceinte de l’abbaye et la muraille défensive qui marque les limites de Paris. La communauté religieuse s’enrichit et devient un propriétaire foncier important. 

En 1118/19 l’Ordre du Temple, en charge de la protection des pèlerins et des lieux saints, s’établit autour de Saint Gervais et de la Grève. Les Templiers développent une vaste commanderie à l’emplacement des actuels square du Temple et mairie du IIIème. Une muraille défensive rythmées par des tourelles, et deux tours emblématiques, cerne un enclos fortifié où se trouvent une église, le logement du Grand Maître et les bâtiments conventuels.

Le prieuré Saint Martin des Champs, riche de ses domaines agricoles choisit de lotir un certain nombre de terres maraîchères afin d’y construire des agglomérations placées sous l’autorité du prieuré, tout en bénéficiant de privilèges liés au lotissement, notamment l’exonération de taxes. Le long de l’actuelle rue Beaubourg, se développe le bourg Saint Martin doté d’une église paroissiale en 1184, d’une prison autonome dans l’enclos du prieuré et placée sous la juridiction des moines jusque sous Louis XIV. Le découpage parcellaire régulier et les nouvelles voies correspondent en grande partie à ceux de notre IIIème arrondissement actuel. En 1190, la nouvelle enceinte Philippe Auguste redéfinit les frontières de la ville rive droite et les faubourgs. Elle imprime la limite sud du futur IIIème arrondissement, côté Rambuteau et Francs-Bourgeois. 

A partir de 1279, les Templiers suivent l’exemple du prieuré de Saint Martin des Champs et lotissent certaines parcelles de leur domaine pour créer les rues de Paradis (actuelle Francs-Bourgeois), de Braque, de la Roche, des Haudriettes, des Quatre-Fils, Pastourelle, Portefoin. Au Nord-Est, l’opération foncière rencontre un échec relatif qui entraîne le maintien de terres maraîchères et de terrains vagues.

Le roi Philippe IV le Bel précipite la fin des Templiers. En 1314 Jacques de Molay, grand maître de l’Ordre du Temple, périt sur le bûcher. Les biens de la congrégation sont transmis à l’ordre des Hospitaliers de Saint Jean de Jérusalem. Au début du XIVème siècle, les deux tiers de l’arrondissement sont urbanisés. Les terres maraîchères de la rue Vieille du Temple morcelées donnent l’opportunité à des congrégations religieuses d’envergure plus modeste de s’installer : l’Hôpital Saint Gervais au niveau de l’actuelle rue de Turenne, le prieuré Sainte Opportune, le prieuré Sainte Catherine du Val des Écoliers, couture établie entre l’actuelle place du Marché Sainte Catherine, les actuelles rues de Payenne et de Sévigné. 


Hôtel de Soubise - Paris 3

Rue de Turenne - Paris 3


Le roi Charles V (1338-1380) étend les frontières de Paris sur la rive droite. Il nourrit le projet de nouvelles fortifications, demi-cercle de la Bastille au Carrousel du Louvre. Le tracé de l'enceinte défensive dite de Charles V, achevée à la fin du XIVème siècle, intègre Saint Martin des Champs et l’ancien Temple à la capitale. Il correspond à celui des actuels boulevards Beaumarchais, Filles du calvaire, du Temple, Saint Martin. Au cours de la période médiévale, le territoire de notre IIIème arrondissement séduit les grands personnages de la cour. Charles V marqué par les incidents de la crise féodale et l’insurrection menée par Etienne Marcel en 1358, a quitté le Palais royal de l’île de la Cité pour s’installer entre l’Hôtel Saint Pol, le château de Vincennes et la forteresse du Louvre. La présence du monarque dans le quartier pousse la noblesse à suivre cet exemple. De prestigieux domaines voient le jour. Le connétable Olivier de Clisson fait construire l’Hôtel de Clisson à partir de 1371. 

En 1404, le frère du roi Charles VI (1368-1422), Louis, duc d’Orléans (1371-1407) fait l’acquisition du domaine des Tournelles dans le voisinage direct de l’Hôtel Saint Pol. Son assassinat au niveau de l’impasse des Arquebusiers marque un épisode important de la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons, au cours de laquelle ces deux factions se disputent la capitale et la régence de Charles VI (1407-1435). La reine Isabeau de Bavière (circa 1370-1435), épouse de Charles VI, réside à l’Hôtel Barbette à proximité duquel le duc d’Orléans meurt en 1407, tué par les hommes de main de Jean sans Peur, duc de Bourgogne (1371-1419), cousin du roi Charles VI et fils de Philippe le Hardi. En 1407, sont posées les fondations de l’actuelle plus vieille maison de Paris, dite Maison de Nicolas Flamel.

Le territoire du Marais perd une partie de son prestige lorsque Catherine de Médicis (1519-1589), veuve d'Henri II (1519-1559) quitte le domaine des Tournelles pour s'installer au Louvre et lance le chantier du Palais des Tuileries.

En 1545, le prieuré de Saint Catherine du Val des Écoliers se sépare de terres agricoles. Le lotissement donne naissance à un nouveau quartier délimité par les actuelles rues de Sévigné, Payenne et Elzévir où sont édifiés de somptueux hôtels particuliers dans le style italien, Carnavalet, Albret, Sandreville, Donon de Marle. Le grand égout qui traverse le territoire du Nord au Sud, est couvert en 1560 permettant de tracer de la rue Neuve Saint Louis, actuelle rue de Turenne.


Hôtel Hérouet - Paris 3

Musée des Arts et Métiers, ancienne abbaye de Saint Martin des Champs - Paris 3


Les Guerres de Religion ralentissent l’essor du quartier. Entre 1589 et 1594, le siège de Paris par les troupes du nouveau roi Henri IV (1553-1610) freine l’activité. Monarque bâtisseur, celui-ci fait construire la place Royale actuelle place des Vosges, le pont Neuf, la place Dauphine. Entre 1608 et 1610, le Nord du territoire qui correspond aux limites de notre actuel IIIème arrondissement, où se trouvent les dernières coutures héritées du Temple, est loti dans le cadre d’opérations privés menées par des financiers comme Claude Charlot. Il donne aux rues les noms des provinces de France, Bretagne, Normandie, Poitou, Perche, Saintonge. 

Au cours du règne de Louis XIII (1601-1643) et tout au long du XVIIème siècle, le mouvement de lotissement et d’urbanisation se poursuit à l’arrière de la place Royale, actuelle place des Vosges, autour de la rue de Turenne. L’architecte Jean Thiriot mène la spéculation immobilière à l’Ouest, et le maître maçon Michel Villedo à l’Est. L’architecte des Invalides, Libéral Bruand, se charge du lotissement du dernier fief privé, le fief des Fusées entre 1683 et 1685. 

En 1672, une ordonnance royale valide la destruction de l’enceinte Charles V. Une promenade plantée la remplace, vaste boulevard ponctué d’arcs de triomphe qui scandent l’emplacement des anciennes portes sur le tracé des fortifications disparues. 

Si Louis XIV (1638-1715) préfère Versailles, le Grand Siècle marque l'âge d'or du Marais avec la construction d'hôtels particuliers somptuaires, destinés aux proches du monarque, les conseillers, les aristocrates anoblis récemment et les grandes familles de financiers. Nicolas Fouquet réside rue Barbette puis rue de Montmorency, Claude Boislevé à Carnavalet. Le chancelier Boucherat fait aménager les jardins de son domaine du Grand Veneur par Le Nôtre. Jules Hardouin Mansart édifie son hôtel particulier rue des Tournelles. Architectes et maîtres maçons plébiscitent le quartier, Claude Monnard, François Mansart, Pierre Delisle Mansart, Michel Villedo, Libéral Bruand, Jacques Jules Gabriel V. L’ancienne noblesse se fait plus rare. Demeurent les Guise dans leur hôtel de la rue du Chaume, notre actuelle rue des Archives.Les salons littéraires et philosophiques se multiplient dans le quartier, rue de Beauce celui de Mme de Scudéry (1607-1701), rue des Francs-Bourgeois Mme Cornuel (1605-1694). 

A la fin du XVIIIème siècle, l’architecte de la Ville Jean Beausire orchestre le lotissement au Nord de notre actuel IIIème arrondissement autour de la rue Vendôme percée à partir de 1694, qui correspond à la rue Béranger puis de l’ouverture de la rue Meslay en 1696, où s’installent artisans et artistes. A cette époque, de nouveaux établissements conventuels emménagent dans le périmètre, Filles du Calvaire, Petits Capucins, Minimes, Filles de Sainte Elisabeth, Annonciades des Célestes. Aujourd’hui, les noms des rues et des stations de métro font vivre leur mémoire.

Sous la Régence (1715-1723), les anciens domaines du Marais et leurs vastes jardins sont lotis. Ces opérations ouvrent des ilots à l’urbanisation. Jusqu’en 1730, les beaux hôtels particuliers sont revisités, modernisés ou reconstruits dans des dimensions plus modestes par quelques grandes familles proches du pouvoir, les Soubise, les Lièvre de la Grange, Thiroux, Bertier de Sauvigny intendant de Paris sous Louis XV. Sur les boulevards, cafés et théâtres connaissent un succès inédit à partir de 1760. C’est le boulevard du Crime.


Square Georges Cain - Paris 3

Jardin Lazare Rachline - Paris 3


A partir du milieu du XVIIIème siècle, le périmètre de notre actuel IIIème arrondissement perd progressivement de son prestige. La Révolution entérine cet aspect. Les biens du Clergé sont nationalisés en 1792, les congrégations religieuses dispersées. L’ancien prieuré de Saint Martin des Champs devient en 1798/1800 le Conservatoire des Arts et Métiers. Sous le Directoire (1795-1799), Paris est divisé en douze municipalités qui deviennent bientôt les arrondissements primitifs. Le futur IIIème se partage alors entre le VIème et le Xème. 

Au cours du Premier Empire (1804-1815), les bâtiments de l’enclos du Temple, fortifications, bastides, église, etc sont rasés. Y compris la tour du Temple où Louis XVI et la famille royale ont été enfermés de 1792 à 1793, afin de prévenir les pèlerinages monarchiques. En 1810, le marché aux chiffons et aux hardes du Temple, composé de halles de bois, voit le jour sur les terrains dégagés. Sous Louis Philippe puis Napoléon III, la paupérisation progressive du quartier favorise son industrialisation. Dès 1830, ateliers artisanaux et manufactures s'installent au sein même de l'ancien bâti résidentiel, qui est de fait, paradoxalement préservé. Les vastes espaces des hôtels particuliers sont cloisonnés. Cours intérieures et des parcelles de jardin, mis à profit, se couvrent de baraquements où travaillent les ouvriers de la confection, du mobilier, de l'orfèvrerie.  


Église Saint Denys du Saint Sacrement - Paris 3

Porte verte - Paris 3


Sous le Second Empire, l’annexion des communes suburbaines au territoire de Paris porte le nombre d’arrondissements à vingt. Le décret de 1860 reformule le découpage administratif. Le IIIème arrondissement moderne dans ses frontières actuelles voit le jour.Le baron Haussmann projette de transformer radicalement le quartier du Marais dès 1867, d'éventrer la vieille ville médiévale pour faire passer de grandes avenues, tracer de nouveaux boulevards. L'entreprise, chahutée par les soubresauts de l'histoire, la guerre, les insurrections populaires, ne sera pas mené à bien. Stopper dans son élan, le préfet livre la place du Château-d'eau devenue place de la République en 1879. Il trace néanmoins la rue Etienne Marcel entre la place des Victoires et la rue Beaubourg sous la Troisième République. La percée de la rue de Turbigo et la rue Réaumur font disparaître les derniers vestiges du prieuré de Saint Martin des Champs. Et le boulevard de Sébastopol emporte une partie de l’Ouest médiéval du quartier. 

De 1870 à 1939, l’élargissement des rues de Beaubourg et de Bretagne entraîne dans la même foulée la destruction du bâti historique et la reconstruction d’éléments plus ou moins intéressants. Dans une optique similaire, les rives Nord de la rue de la Perle et de la rue des Quatre-Fils sont rasées entre 1930 et 1933. Le projet n’aboutit pas. La destruction aura été inutile. Le Central téléphonique et ses vastes locaux techniques implantés au cœur de l’arrondissement de 1930 à 1968 occasionnent de nombreuses interventions, suppression et dégradation variées. 


Jardin Saint Gilles Grand Veneur Pauline Roland - Paris 3

Boutique Meert - rue Elzévir - Paris 3


Le Marais se fait terre d'accueil. Dans les anciens hôtels particuliers vétustes, subdivisés en minuscules logement, se retrouve une population ouvrière modeste, issues des vagues successives de migration, Auvergne, Europe de l'Est puis Chine. L’industrie de la confection et de la petite maroquinerie s’ancre à ce moment dans le paysage. Préservé dans sa configuration, le IIIème arrondissement connait à partir des années 1930 de nouvelles menaces très officielles. Les édiles inspirés par les préceptes hygiénistes de l'époque considèrent que l’ancien tissu urbain, ses nombreux hôtels particuliers dont les plus anciens remontent au Moyen-Âge, qu'ils qualifient "d'îlots insalubres" sont des foyers d'infection. Les projets de destructions sont suspendus le temps de la Seconde Guerre Mondiale mais dès les années 1950, aiguillonnée par les spéculateurs immobiliers, les architectes du courant moderniste comme Le Corbusier, la municipalité imagine de raser une grande partie du Paris historique.

L'ensemble du Marais est concerné par les projets de destruction d'îlots insalubres. Les défenseurs du patrimoine luttent pour sa préservation. La loi Malraux de 1962 sauve le Marais avec la création des "secteurs sauvegardés". Pas à temps néanmoins pour empêcher la création du Quartier de l’Horloge qui voit le jour dans les années 1970. Cinquante ans plus tard, le constat d’échec de cette expérimentation architecturale s’impose.

Le plan de protection et de réhabilitation mené par les architectes des Monuments historiques, Michel Marot, Bernard Vitry et Louis Arretche, est publié en 1969. Révisée en 1992, la protection se voit altérée par la notion de « zones d’aménagement » qui permet de mener des opérations immobilières comme pour la cour de Rome. 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.