Expo Ailleurs : L'Univers sans l'Homme. Les arts en quête d'autres mondes - Musée de Valence art et archéologie - Jusqu'au 17 septembre 2023

Hans Hartung - T1966-E25 (1966) - Joan Mitchell - La Grande Vallée XVII (1983)
Cécile Beau et Anna Prugne - La Siouva (2017) - Anna-Eva Bergman - Terre ocre avec ciel doré (1975)
 

Réflexion artistique, philosophique et scientifique, l'exposition "L'Univers sans l'Homme", qui se tient au Musée de Valence jusqu'au 17 septembre 2023, interroge la place de l'être humain dans le monde et les systèmes de représentation. Thomas Schlesser, commissaire, directeur de la Fondation Hans Hartung et Anna-Eva Bergman, travaille depuis dix ans sur le sujet. Il a publié un livre éponyme en 2016 aux éditions Hazan. 

Déployées en sept chapitres, les soixante-dix oeuvres qui composent l'exposition "L'Univers sans l'Homme", du XVIIIème siècle à nos jours, résonnent avec les grands enjeux contemporains, économie, environnement, énergies, bioéthique, transhumanisme, cause animale, intelligence artificielle. Peintures, dessins, photographies, vidéos et installations traduisent un double sentiment de fascination et de désolation. La disparition de la figure humaine exprime un sous-texte tragique, l'éradication de l'humanité. La tension du drame survenu confère une profondeur à la beauté. 

Empreinte de l'idée d'un absolu inaccessible, l'esthétique caractérisée par l'absence procure une sensation de vertige, physique et métaphysique. Décentrer le regard remet en question la place de l'Homme dans un monde frappé par la crise environnementale, la destruction des écosystèmes, la menace d'une guerre nucléaire. L'art, trajectoire alternative, se fait l'écho d'une disparition progressive jusqu'à l'extinction définitive. De nos jours, les dangers de la nature ont fait place à celles des technologies inventées par l'Homme lui-même. 


Anonyme - Lisbonne abysmée (1760)
Hubert Robert - Etudes de plantes (circa 1761-62)
Philippe-Jacques de Loutherbourg - Marine avec naufrage (1769)

Philippe-Jacques de Loutherbourg - Marine avec naufrage (1769)
Pierre-Henri de Valenciennes - Eruption du Vésuve (1813)

Constant Troyon - Vache qui se gratte (avant 1861)

Charles-François Daubigny - La neige (1873) / Constant Toryon - Vache qui se gratte (1861)
L'Esprit de Dieu planant sur les eaux - Simon-Mathurin Lantara (1752)
Gustave Courbet - La Vague (1871-73)

Gustave Courbet - Paysage sous la neige (circa 1867)
Narcisse Diaz de la Pena - Sous-bois à Fontainebleau (XIXème siècle)


L'histoire de l'art suit une piste qui tend vers une raréfaction de la figure humaine, nature morte, abstraction, photographie de paysages. La représentation du monde se détache progressivement de l'échelle humaine. Les artistes manifestent l'envie de dépeupler l'univers, de reléguer l'Homme à la marge. Il devient, au mieux, un élément du décor, jusqu'à disparaitre tout à fait. Ce mouvement prend le contrepoint du paradigme de la Renaissance, qui considère l'être humain en tant que point de convergence et mesure de toute chose. Cette conception anthropocentrée du monde est remise en question par la nature elle-même, séismes ravageurs - trauma du tremblement de terre dévastateur à Lisbonne en 1755, redécouverte des ruines de Pompéi et Herculanum, "L'Eruption du Vésuve" de Pierre-Henri de Valenciennes - tempête maritime et naufrages tragiques. 

L'héliocentrisme de Nicolas Copernic vers 1513, l'esprit des Lumières, les découvertes scientifiques majeures du XVIIIème siècle en matière de physique, chimie, sciences naturelles avec la paléontologie de Georges Cuvier, la théorie de l'évolution de Charles Darwin et la parution de "L'Origine des espèces" (1859) marquent des tournants dans la représentation de l'Homme. Il n'est plus le centre du monde. Passé le choc premier, ces avancées exaltantes invitent à penser ce qui nous dépasse, appréhender la trajectoire humaine et notre insignifiance à l'échelle du temps et du cosmos.

Leur portée sociale et philosophique s'ancre dans l'expression créative. L'artiste, relais de ces nouvelles conceptions, scénographie les bouleversements de l'Histoire. Au XVIIIème siècle, il porte l'accent sur la nature, sa force destructrice comme sa beauté. Cet aspect imprévisible des éléments, puissance effrayante et source d'émerveillement, illustre la dualité du sublime. Dans son approche psycho-physiologique pour qualifier l'art et la nature, Edmund Burke (1729-1797) fait la distinction entre le beau et le sublime. Selon ses théories, le sublime est une forme de beauté, de passion engendrée par la crainte, une "terreur délicieuse", susceptible de détruire celui qui la ressent. Le ravissement de l'esprit prend sa source dans le sentiment de grandeur, d'infini, de rudesse aussi violente que soudaine. Pour Emmanuel Kant (1724-1804), "le beau est ce qui plaît universellement sans concept", libre jeu de l'imagination et de l'entendement tandis que le sublime "ce qui est absolument grand", emprunte des caractéristiques dynamiques, sauvages, terrifiantes. 


Eugène Delacroix - Paysage à Champrosay (1850)
Charles-Marie Dulac - Paysage mystique (1894)

Alexandre Sergejewitsch Borisoff - Les Glaciers, mer de Kara (1906)

Photographies Eugène Atget (1911)

Giorgio De Chirico - Idillio antico (circa 1970)

Louis Le Kim - Sans titre - Astana Kazakhstan (2015)


Leur portée sociale et philosophique s'ancre dans l'expression créative. L'artiste, relais de ces nouvelles conceptions, scénographie les bouleversements de l'Histoire. Au XVIIIème siècle, il porte l'accent sur la nature, sa force destructrice comme sa beauté. Cet aspect imprévisible des éléments, puissance effrayante et source d'émerveillement, illustre la dualité du sublime. Dans son approche psycho-physiologique pour qualifier l'art et la nature, Edmund Burke (1729-1797) fait la distinction entre le beau et le sublime. Selon ses théories, le sublime est une forme de beauté, de passion engendrée par la crainte, une "terreur délicieuse", susceptible de détruire celui qui la ressent. Le ravissement de l'esprit prend sa source dans le sentiment de grandeur, d'infini, de rudesse aussi violente que soudaine. Pour Emmanuel Kant (1724-1804), "le beau est ce qui plaît universellement sans concept", libre jeu de l'imagination et de l'entendement tandis que le sublime "ce qui est absolument grand", emprunte des caractéristiques dynamiques, sauvages, terrifiantes. 

L'apparition successive des propositions plastiques suivent les grandes étapes du progrès technique et des découvertes scientifiques. Les espaces inexplorés se révèlent à l'oeil humain. "Les Glaciers, mer de Kara", (1906) d'Alexandre Sergejewitsch Borisoff évoquent les cercles arctiques jusqu'alors inaccessibles. Ces nouveaux paysages marquent le passage vers la représentation d'un monde sans l'Homme à l'instar des villes dépeuplées pour des raisons techniques des photographies signées Eugène Atget, à la fin du XIXème siècle, ou des cités idéales de Giorgio De Chirico volontairement désertées, "Idiolio antico" (vers 1970). Les photomontages de Nicolas Moulin notamment la série "Vider Paris" du début des années 2010, prennent aujourd'hui une nouvelle signification et résonnent comme le puissant pressentiment de ce que fut la pandémie et le confinement. 

L'abstraction, dilution de la touche, des frontières entre le corps et l'environnement, s'inscrit dans la réalisation fantasmatique d'une avancée vers l'immatériel, Yves Klein, Kasimir Malevitch, Lucio Fontana, qui trouve son apogée avec l'expressionnisme abstrait. Les artistes manifestent une certaine jubilation à imaginer le monde d'avant. Par glissement, ils défendent une vision du monde d'après qui échappe aux contraintes de l'existence matérielle, au-delà même du principe d'humanité, idée vertigineuse d'un retour au grand tout, d'une fusion avec le cosmos. Entre célébration du vivant, montée de l'angoisse, ils mettent en scène la disparition, dans une forme d'eschatologie, discours sur la fin du monde ou la fin des temps. La généalogie de l'abstraction, traduction formelle d'une attraction pour l'infini cosmique, tend vers la dilution de la figure humaine dans l'environnement et de façon plus vaste dans le magma originel de l'univers. 


Sophie Ristelhueber - Série Fait (1992)
Dimitri Charrel - Explosions nucléaires (2010)

Sophie Ristelhueber - Série Fait (1992)

Patrick Tresset - Installation de trois robots

Patrick Tresset

Trevor Paglen - The Last Pictures (2012)


Au XVIIIème siècle, seul Dieu est susceptible d'éradiquer l'être humain. Le XXème siècle, marque une accélération au gré de deux guerres mondiales. Cette ère de technologies inédites marque la naissance de terreurs contemporaines comme la menace nucléaire. Désormais avec la bombe atomique, un seul homme peut mettre fin à l'humanité en appuyant sur un bouton. La photographe et plasticienne Sophie Ristelhueber explore le territoire et son espace. Le Musée de Valence présente la série "Fait" (1992). Capturées dans le désert du Koweit, ces images traquent en détails les traces des combats, des bombardements, pour mieux dénoncer la capacité destructrice de l'homme et l'industrie de la guerre. 

La réflexion menée au sujet de l'intelligence artificielle prend le relais. L'idée de l'être humain remplacé par des robots incarne le fantasme dystopique de la machine qui supplante et détruit son créateur dans une projection du comportement autodestructeur de l'être humain. Le concept s'exprime dans l'installation de trois robots de Patrick Tresset, bras mécaniques qui reproduisent une nature morte et pied-de-nez ultime, remplacent l'artiste. La vidéo de Fabien Girard et Raphaël Siboni "1997. The Brute force (the Unmanned, saison 1, épisode 2)" (2014) reconstitut le lieu où Deep Blue, le programme créé par IBM, a vaincu le russe Gary Kasparov, maître des échecs. Elle évoque la domination de la force de calcul brut contre l'esprit humain par des enregistrements mécaniques. Le bras de la caméra programmé par des algorithmes autonomes capture une réalité réinventée. L'imagination du spectateur prend le relais des images.

Archéologie du futur, "The Last Pictures" de Trevor Paglen, réunit en cent photos marquantes, l'héritage de l'humanité, le meilleur et le pire, surtout le pire, la grande vague d'Hokusaï, Captain America, les guerres, les armes nucléaires, les manipulations génétiques, l'élevage intensif, la Shoah. Les images gravées sur une puce, envoyées à bord du satellite EchoStar XVI en orbite autour de la Terre jusqu'en 2027, posent la question ontologique de l'avenir de l'homme, l'autodestruction programmée. Ces visions d'apocalypse nous imposent un choix, celui du nihilisme ou de l'espoir, ou bien encore de la résignation apaisée. 


Joseph Simo - Ombre grise (1960) / Judith Reigl - Guano (1958-1962)

Hans Hartung T1966-E25 (1966) / Cécile Beau et Anna Prugne - La Siouva (2017)
Joan Mitchell - La grande vallée XVII (1983)

Anna-Eva Bergman - Terre ocre avec ciel doré (1975)

Claude Monet - Nymphéas (1907)

Gilles Aillaud - Renès (1979)


Le dernier chapitre de l'exposition "L'Univers sans l'Homme" se veut optimiste, solaire, promesse de la beauté. "Les Nymphéas" de Monet permettent selon Gaston Bachelard dans "Le droit de rêver", d'apercevoir le monde d'avant le regard humain. "Le monde veut être vu : avant qu'il y eût des yeux pour voir, l'œil de l'eau, le grand œil des eaux tranquilles regardait les fleurs s’épanouir."  Joan Mitchell, Cécile Beau, les cosmos vertigineux de Hans Hartung, les toiles abstraites d'Anna-Eva Bergman, illustrent le propos de René Char, dans son recueil "Trois coups sous les arbres" (1967) : "La vie aime la conscience qu'on a d'elle".

L'Univers sans l'Homme 
Jusqu'au 17 septembre 2023

Musée de Valence art et archéologie
4 place des Ormeaux - 26000 Valence
Tél : 04 75 79 20 80
Horaires : Du mercredi au dimanche de 10h à 12h et de 14h à 18h / Juillet-août 10h à 18h - Nocturne jusqu'à 21h le 3ème jeudi de chaque mois - Fermé les jours fériés 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.