Lundi Librairie : Mémoires intimes d'un pauvre vieux essayant de survivre dans un monde hostile - Vincent Ravalec

 


Vincent Ravalec, écrivain, scénariste, réalisateur, se livre à l’exercice du journal. Adulescent devenu senior sans s’en apercevoir, le désormais sexagénaire tente au quotidien de résister à la déliquescence, dans un monde qui célèbre la jeunesse. Il est bien obligé de faire face au délabrement et d’assumer l’idée qu’il est devenu un « vieux croûton ». La discordance entre l’image qu’il a de lui-même et celle qu’il renvoie se manifeste dans le vouvoiement insistant d’une stagiaire qui l’appelle monsieur. La prise de conscience des outrages du temps débute par l’apparition des signes de la décrépitude physique, arthrose, rhumatismes. Trahi par ses articulations. Sa hanche douloureuse nécessite une opération. Soudainement, il se rend compte peu à peu les médecins généralistes ont été remplacés par des spécialistes de la sénescence, praticiens pas toujours très fair-play avec leurs patients aux cheveux blancs. A partir de quel âge est-on vieux ?

A l’ère du numérique, de l’ultra-connexion, de la mondialisation, Vincent Ravalec se sent en décalage avec les références culturelles de l’époque, en dissonance avec l’air du temps. Plutôt que de s’étioler, il essaie de se réinventer, de se mettre à la page. Il se lance dans la séduction en ligne et télécharge les applications de rencontres les plus populaires. La désillusion est féroce. Du fait de son âge, relégué à la catégorie périphérique des plus de quarante-cinq ans, il constate qu’il a cessé d’être un objet de désir et qu’il ne lui reste plus qu’à jouer sur le statut prestigieux d’écrivain-scénariste. N’a-t-il pas été Prix de Flore au siècle dernier. Plan idéal pour briller en société, il passe pour un mythomane en ligne. Ces expérimentations tournent court, rendez-vous catastrophes, malentendus et prémices vaudevillesques. Sur le plan professionnel, le flottement perceptible l’angoisse. Vincent Ravalec invente des subterfuges cocasses pour augmenter la désirabilité de sa production romanesque. Il vole ses propres livres afin de provoquer des réassorts dans les grandes surfaces. Il s’inquiète de la paupérisation des vieux écrivains. Ombre de la précarité, sans argent de côté, et points retraite réduits à peau de chagrin, il envisage de présenter sa candidature à l’Académie française pour devenir Immortel. Ou bien d’écrire un roman porno à succès sous pseudonyme à la façon de « Cinquante nuances de Grey ». 

Vincent Ravalec a vendu le concept littéraire de journal d’un vieil écrivain sur le retour à son éditrice. Afin de nourrir ses écrits, pour l’amour de l’art, il se lance dans des expériences. Et selon ses propres mots, il ne s’agit pas d’une autofiction mais plutôt d’une « Fiction automatique ». Confidences drolatiques, confessions burlesques, Vincent Ravalec brouille les pistes entre la réalité et la fiction, le quotidien rocambolesque et l’imaginaire poétique. Il aborde ses propres mésaventures sous le biais de l’autodérision. L’avancée en âge, phénomène des plus naturels et tout à fait inexorable, lui provoque symptômes physiques et angoisses existentielles auxquelles il tente de remédier par le rire. Confronté à l’impermanence des choses, obligé d’accepter la finitude inhérente à la condition humaine, l’auteur dit sa perplexité de ne plus se reconnaître dans le miroir ou bien de se voir attribuer une carte Vermeil par la SNCF. Les remarques acidulées, incrédules, amusées de l’éditrice qui ne perd jamais le nord quant au potentiel marchand de ces élucubrations ponctuent le texte, réactions sur le vif aux idées saugrenues qui traversent l’esprit de son auteur. Le monde tel qu’il va, scandale des Ehpad, réforme des retraites, guerre en Ukraine, menace d’un conflit mondial ne cesse de générer de nouvelles raisons de paniquer.

Dans une société dominée par les écrans, la mise en scène de soi, Vincent Ravalec se sent en décalage mais ne compte pas en rester là. Dépassé par les grands changements sociétaux, il constate la fin de la civilisation où son statut de mâle blanc sexagénaire avec un peu d’argent était un avantage. Le conflit des générations, la cancel culture, les « démineurs littéraires », les déboires des éditeurs et de leurs auteurs et dont les propos pourraient offenser les minorités ethniques, sexuelles, obligent l’écrivain senior à s’adapter pour ne pas commettre d’impairs. Le choc de la pandémie de Covid n’a pas arrangé la stigmatisation dont sont victimes les seniors particulièrement exposés. Toute la population a été confinée pour protéger les fragiles alimentant un certain ressentiment menant à l’exclusion.

Vincent Ravalec de conclure : la population avançant en âge, la natalité décroissant, force est de constater que la vieillesse est l’avenir de l’humanité. En Occident, les boomers, nés dans l’immédiate après-guerre, seront bientôt bien plus nombreux que les jeunes. Il va falloir s’y faire !

Mémoires intimes d'un pauvre vieux essayant de survivre dans un monde hostile - Vincent Ravalec - Editions Fayard 



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.