Paris : Maison Ozenfant, première réalisation parisienne de l'architecte Le Corbusier en 1923 - XIVème

 

La Maison atelier Ozenfant ou Villa Reille, première oeuvre parisienne de l’architecte Le Corbusier (1887-1965), en collaboration avec son cousin Pierre Jeanneret (1896-1967), dresse sa silhouette blanche moderniste à l’angle du square de Montsouris et de l’avenue Reille. L’édifice réalisé entre 1922 et 1923 a subi d’importantes modifications en 1946 avant de faire l’objet d’une inscription partielle, façades et couvertures, aux Monuments historiques par arrêté du 15 janvier 1975. Cette construction témoigne des prémices du style Le Corbusier et de ses expérimentations formelles. La structure en ciment armé, murs en double cloison de « cement gun » de quatre centimètres d’épaisseur, libère les espaces intérieurs. La façade fluidifiée est rythmée par trois ouvertures en largeur superposées sur trois niveaux, illustrant la théorie de « standardisation de l’élément fenêtre à échelle humaine ». Les vastes surfaces vitrées longilignes scandent le bâtiment d’angle, fenêtres horizontales disposées sur toute la largeur. Les baies prennent une ampleur particulière au dernier étage. L’escalier extérieur en spirale donne accès au premier étage. Ce niveau d’habitation, logement du peintre, répond aux besoins d’un appartement particulier. Le deuxième étage l’atelier, se distingue par les volumes en double hauteur et l’importante verrière d’angle.










Le Corbusier, alors architecte débutant, dessine cette maison-atelier à l’intention d’un commanditaire particulier, son ami, Amédée Ozenfant (1886-1966), peintre, pionnier du mouvement moderne. Charles-Édouard Jeanneret-Gris futur Le Corbusier fait la connaissance de cet artiste atypique, également modiste ou dessinateur de carrosserie pour Hispano Suiza, en 1917. A la suite d’une exposition commune à la galerie Thomas en 1918, ils publient ensemble un opuscule « Après le cubisme », critique du cubisme, qui établit les bases du Purisme. Cette doctrine esthétique prône un renouvellement du vocabulaire plastique, une quête du minimalisme et du surgissement poétique ainsi que dans le domaine pictural une abstraction figurative. Le Corbusier et Ozenfant fondent avec l’homme de lettres et journaliste belge, Paul Dermée, la revue « L'Esprit Nouveau », éditée entre 1920 et 1925. 

Amédée Ozenfant se vante d’être le premier client parisien de l’un des architectes les plus importants du XXème siècle. En 1921, Le Corbusier publie « Vers une architecture ». Le recueil ouvre sur un chapitre dédié à ce qu’il nomme « l’esthétique des ingénieurs ». Il y décrit l’architecture utilitaire comme inspiration du Mouvement Moderne. Inspiration qu’il traduit dans les plans de la Maison Ozenfant dessinés en 1922. Il imagine un toit en shed, de type industriel. La toiture asymétrique dite à redans partiels, c’est à dire en dents de scie, se compose de toits à deux versants de longueur différente, dont plus court est vitré dans une attention particulière portée à la lumière. Le Corbusier emprunte ce motif à l’architecture typique de l’industrie textile en Angleterre. 







Soucieux d’une normalisation du système structurel, l'architecte ne renonce pourtant pas à l’élégance des proportions. La sobriété de la façade libre en angle tend vers l’épure de longues lignes horizontales, formes incurvées souples. L’architecte privilégie la géométrie, la symétrie dans une esthétique qui préfigure le style « paquebot », héritier de l’Art déco qui connaît son apogée dans les années 1930. Les modifications apportées par les nouveaux propriétaires en 1946 font disparaître le toit en shed originel pour aménager un toit terrasse. Les espaces intérieurs sont recloisonnés. Au rez-de-chaussée, le garage est supprimé, transformé en espaces de vie. Le rythme des fenêtres est adapté à cette nouvelle fonction.

La Maison Ozenfant préfigure les cinq préceptes formels développés par Le Corbusier tout au long de sa carrière : bâtiments établis sur pilotis afin de libérer les espaces au sol pour la circulation et la végétation. Façades rideau épurées sans poutre ni pilier extérieurs. Fenêtres filant sur la largeur de la façade. Toit aménagé en terrasse. A l’intérieur, planchers libres de toute cloison.

Maison Ozenfant Villa Reille 
53 avenue Reille - Paris 14



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.


Bibliographie
Guide de l’architecture à Paris 1900-1990 - Hervé Martin - Editions Syros Alternatives
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Editions Hachette
Le guide du promeneur 14è arrondissement - Michel Dasniel - Editions Parigramme