Paris : Musée du Quai Branly Jacques Chirac, histoire d'un musée dédié aux arts premiers, célébration des pratiques artistiques extra-occidentales - VIIème

 

Le Musée du Quai Branly Jacques Chirac, lieu de dialogue entre les civilisations et les siècles, entre les démarches scientifique et esthétique, invite à porter un regard alternatif sur les pratiques artistiques non-occidentales. Afrique, Proche-Orient, Asie, Amérique, Océanie, les collections célèbrent la beauté formelle, les qualités plastiques des œuvres, la puissance du geste créatif de l’artiste. Fondée sur le principe d’« engagement en faveur d’une approche humaniste de la culture », l’institution s’engage à accorder une considération égale à toutes les civilisations. Inaugurée le 20 juin 2006, elle est placée sous la double tutelle du ministère de la Culture et de la Communication et du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. 

Expérience visuelle, sensorielle, esthétique et pédagogique, le musée conserve 370 000 artefacts, 700 000 pièces iconographiques, 200 000 titres d’ouvrages de références. Immersion dans les civilisations extra-européennes du Néolithique au XXème siècle, le plateau des collections permanentes, vaste de 12 000 m2, présente 3500 pièces réparties selon les zones géographiques. La monstration renouvelée régulièrement permet de valoriser le fonds, de présenter les dernières acquisitions, tout en préservant les œuvres parfois fragiles. Elle témoigne de la richesse, de la diversité des pratiques artistiques. Les mezzanines du plateau des collections et la Grande galerie du rez-de-chaussée dédiée aux événements d’envergure internationale accueillent chaque année une dizaine d’expositions temporaires. Le musée organise en parallèle de nombreuses activités culturelles, concerts, spectacles vivants variés, danses, théâtres, lectures, conférences. Le Musée du Quai Branly Jacques Chirac se distingue comme l’une des plus importantes institutions publiques engagée dans l’études, la conservation et la promotion des civilisations et arts extra-européens. 










Le Musée du Quai Branly a connu une genèse difficile. Dès la fin des années 1980, Jacques Kerchache (1942-2001) marchand d’art et collectionneur, spécialiste des arts premiers s’engage pour la reconnaissance de leurs qualités esthétiques au même titre que les arts classiques occidentaux. Il publie, en 1990, une tribune dans les pages de Libération, manifeste signé par 150 artistes, réclamant l’ouverture d’un département dédié aux arts extra-européens au Louvre. La direction du musée oppose une fin de non-recevoir. Jacques Kerchache fait alors la connaissance de Jacques Chirac (1932-2019), maire de Paris, futur président. Les deux hommes nouent des liens, complicité établie sur le socle d’une même passion pour les arts non-occidentaux. L’intervention de Jacques Chirac permet d’envisager, dès 1996, la création d’un nouveau musée. 

En 1999, un concours international désigne Jean Nouvel comme l’architecte du projet. Ses choix radicaux déterminent un bâtiment-pont, édifié sur pilotis afin de libérer les sols et de porter les espaces verts, dessinés par Gilles Clément, à 17 500m2. Le permis de construire est délivré en 2001. Articulé autour de cinq bâtiments, l’ensemble se déploie sur près de 46 600m2. Le Musée du Quai Branly a été labellisé Architecture contemporaine remarquable en 2016. La façade côté quai se distingue par un mur végétal de 800m2, oeuvre du botaniste Patrick Blanc. 

Les oppositions internes concernant la constitution du fonds d’œuvres se multiplient. En 1999, les agents du Musée de l’Homme font grève dans le contexte de contestations relatives au démantèlement des collections au profit de la nouvelle institution. Dès l’origine, les critiques dénoncent une orientation de la ligne curatoriale esthétique plutôt que scientifique. Chercheurs, historiens d’art, ethnologues estiment que confier la constitution d’un fonds de musée confiée à un marchand d’art à l’encontre des principes déontologiques et méthodologiques, notamment à cause de la suspicion de prise d’intérêt. L’œil de Jacques Kerchache, son goût de collectionneur marquent profondément la direction prise dans l’invention de l’identité du Quai Branly. Il disparaît en 2001, cinq ans avant l’ouverture du musée. L’exposition inaugurale « Nous avons mangé la forêt : Georges Condominas au Vietnam » ouvre au public le 23 juin 2006. 

Un évènement annonciateur précède. Le 13 avril 2000, le Pavillon des Session est inauguré au sein du Musée du Louvre. Cette ambassade du Musée du Quai Branly présente cent-vingt chefs-d’œuvre exposés tout d’abord de façon temporaire en attendant l’achèvement des nouveaux locaux. L’espace a depuis été pérennisé. Parmi les pièces emblématiques, se trouve la mascotte du Musée du Quai Branly, une figure de maternité en terre cuite issue de la culture Chupicuaro originaire du Mexique, datée vers 400-100 avant J-C. Elle provient de l’ancienne collection G. Joussemet. Le jour de l’inauguration du Pavillon des Sessions, la présence de trois œuvres pillées, sorties du Nigeria par contrebande, créé un premier scandale. Aujourd’hui, leur pays d’origine revendique la restitution de ces artefacts. L’histoire du fonds d’œuvres conservé au Musée du Quai Branly est intimement liée à celle des colonisations. Désormais, l’institution s’attache à recontextualiser les conditions d’acquisition des œuvres exposées. 










Au XVIIIème siècle, les collections privées ne constituent pas encore d’ensembles cohérents. Trésors des aristocrates les plus fortunées, elles correspondent au goût de l'inconnu et de l'accumulation des bibelots. Elles sont réunies dans des cabinets de curiosités, pur divertissement, mêlant les spécimens d’histoire naturelle à des éléments archéologiques, ethnographiques, historiques. Les musées nationaux dont la démarche s’affirme comme pédagogique voient le jour au cours de la Révolution française. A la suite de la confiscation du patrimoine d’une partie de la noblesse et la nationalisation des biens du clergé, leurs fonds s’enrichissent. 

Au XIXème siècle, l’expansion coloniale connaît un nouvel essor notamment en Afrique et en Asie tandis que les scientifiques et les aventuriers montent des expéditions diverses. Les instruments de culte confisqués par les missionnaires évangélisateurs, les œuvres spoliées, pillées, celles vendues aux voyageurs, les artefacts exfiltrés en contrebande viennent enrichir les collections européennes. Les sociétés savantes à Paris et en province cherchent à valoriser sur le plan ethnographique et anthropologique ces artefacts exposés à travers un réseau de musées nationaux. La muséographie détachée de toute idée d’esthétique ou d’appréciation artistique se resserre sur le contexte socio-culturel. Expositions universelles et coloniales au début du XXème siècle diffusent les idées nouvelles une et développent l’appétence du grand public, des artistes tels que Pablo Picasso ou Georges Braque pour « l’art nègre ». Les expéditions scientifiques deviennent raids lucratifs. 

Le Musée du Quai Branly a hérité de deux fonds prestigieux. Il conserve les collections issues des fonds du Musée de l’Homme datant de 1937, lui-même successeur du musée ethnographique du Trocadéro créé en 1878, ainsi que celle du Musée des arts d’Afrique, d’Amérique et d’Océanie ancien Musée des Colonies, Palais de la Porte Dorée, ouvert dans le cadre de l’exposition coloniale de 1931. Les grands mouvements de décolonisation de la seconde moitié du XXème siècle marquent une première remise en question du mode d’acquisition des artefacts. De nos jours, origine des collections et le principe de restitution des œuvres soulèvent de nombreuses interrogations. 

Le 14 février 2018, Marc Ladreit de Lacharrière, hommes d’affaires et mécène, fondateur et président de la holding Fimalac et de la fondation Culture et Diversité, fait don de 36 œuvres africaines et océaniennes. Leur valeur estimée à 56 millions d’euros en fait la plus importante donation d’art extra-européen en France depuis 1945. L’ensemble est exposé depuis 2011 dans un espace dédié pensé par Jean Nouvel 










Au Musée du Quai Branly, le plateau des collections est scénographié en zones géographiques, Océanie, Asie, Afrique et Amérique. Le parcours s’ouvre sur les chefs-d’œuvre archéologiques des collections. Le fonds dédié à l’Afrique réunis 1000 œuvres, dont une sélection renouvelée à intervalles régulier est présentée répartie par régions. La section des arts du Mali célèbre l’originalité de la culture du pays Dogon avec des pièces fortes telles que la statue androgyne en bois sculpté de style Djennenké datée du IXème-Xème siècle, provenant de l’ancien empire Ghana, le Mali pré-dogon, ou une statue féminine en bois, fer et alliage, perles de verre, représentative de l’art dogon au Mali, réalisée dans la plaine du Séno, avant 1931. 

Les masques et la statuaire d’Afrique de l’Ouest se distinguent avec les ensembles d’œuvres du Bénin et du Nigeria. Le legs Pierre Harter fait la part belle aux arts du Cameroun, illustrés notamment par la finesse d’un présentoir à calebasse en bois et métal du XIXème siècle, oeuvre de l’artiste Mbu Kamteu, représentant de la culture bamiléké. Cet artefact provient de la chefferie Bansoa, dans la région du Nord-Ouest du Cameroun. Une vitrine entière est consacrée aux objets magiques du Congo. Une statue nkishi, en bois, alliage cuivreux, fibres végétales et cuir, de la culture songye, fin du XVIIème siècle, servait de talisman à la communauté contre la malveillance. Les gardiens de reliquaire Kota se distinguent par leur figure de bois et de laiton, géométrisation des traits tandis que les statues Fang Byéri de bois, tendent vers une silhouette masculine, jambes fléchies, torse allongé, traits stylisés. Les poteaux funéraires de l’orient africain conversent avec les arts chrétiens d’Ethiopie. Oeuvre marouflée sur toile début du XVIIIème siècle de la culture Amhara, la peinture provenant de l’église d’Abba Antonios en Ethiopie représente Saint Georges cavalier. 

Le parcours Océanie depuis le Sud de la Malaisie jusqu’à l’île de Pâques, regroupe l’Indonésie, les Philippines, la Mélanésie, la Polynésie, la Micronésie, l’Australie. Les collections se composent d’éléments textiles, étoffes d’écorces, d’une sélection de peintures sur écorces et peintures à l’acrylique art des aborigènes australiens depuis soixante ans. Coiffes, ornements et parures sont présentés dans le cadre des artefacts religieux liés au culte des ancêtres, pendentif en néphrite hei tiki du peuple maori du début du XIXème siècle, provenant d’Aotearoa en Nouvelle-Zélande, sculpture du milieu du XIXème scièlce moai kavakava en bois de Sophora Toromino, os et obsidienne de l’île de Pâques. Les nombreuses armes cérémonielles révèlent leur dimension esthétique comme cette hache-ostensoir kanak en néphrite, bois, coquillage, fibres végétales, poils de chauve-souris roussette, étoffe d’écorce battue confectionnée en 1946 en Nouvelle-Calédonie. 

Un Masque Hemlout du peuple Sulka sur l’île de Nouvelle-Bretagne en Papouasie Nouvelle Guinée, début du XXème siècle côtoie un Sesako, dossier de siège d’honneur papadon du peuple Abung, de la province de Lampung à Sumatra en Indonésie. Parmi les poteaux bisj, poteaux sculptés, traditionnellement dressés devant les maisons cérémonielles, l’un oeuvre de l’artiste Jipimanan du village de Jepem dans la baie de Flamingo, Papouasie occidentale, attire le regard. Les objets du quotidien, pêche, navigation se mêlent aux instruments de musique, tambour à fente atintin, oeuvre du sculpteur Naime Lebe de l’île d’Ambrym à Vanuatu vers 1935. Une série de peintures contemporains rend hommage aux artistes aborigènes et évoque puissamment leur destin. « Ninjilki » (2006) est signée Salli Gabori (1924-2015). Peintre emblématique, originaire de l’île de Bentick, elle appartenait au peuple Kaiadilt déplacé de force par les missionnaires dans les années 1960 sur l’île de Mornington dans le Queensland.










Le parcours les Amériques, centrale, du Nord, du Sud, Caraïbes se divise en deux parties « les Amériques du XVIIème siècle à nos jours », « l’Amérique préhispanique ». Parmi les 100 000 œuvres du fonds américain, les conservateurs ont mis en valeur des chefs-d’œuvres. La statue en andésite datée entre 1325 et 1521, représentant Quetzalcoatl, le Serpent à plumes, dépend du don Alfonse Pinart. Oeuvre aztèque, elle a été découverte dans la vallée de Mexico au Mexique. Un délicat Plat maya en céramique polychrome, provenant de l’ancienne cité de Calakmul, entre 600 et 800 après JC, provient de l’état du Campeche au Mexique. Un Gantelet à décor zoomorphe en argent, daté entre 1000 et 1450, illustre l’art pratiqué sur la Côte Nord du Pérou. Un masque destiné aux cérémonies d’hiver, porté par les chamanes du peuple yupil au début du XXème siècle en Alaska, Etats-Unis, appartient à l’ancienne collection Robert Lebel. Il dialogue avec une parure frontale cérémonielle du XIXème siècle, coiffe en bois et nacre verte du peuple Tsimshian, en Colombie britannique au Canada, de l’ancienne collection Claude Lévi-Strauss. 

Les collections asiatiques réunissent 55 000 pièces de la Turquie au Japon. La plupart sont issues des cabinets de curiosités royaux, échanges commerciaux de longue date, routes de la soie, premières missions scientifiques en Asie, depuis le XIIIème siècle jusqu’à la fin du XIXème siècle. Arts populaires, objets artisanaux, éléments du quotidien, les vitrines exposent costumes, parures, robes aïnous du Japon, panier à ikebana en vannerie de bambou fin du XIXème siècle Japon, les figures du théâtre d’ombres thaïlandais tel que ce dieu Phra Naraï en cuir du XXème siècle. Une tenture de temple picchvai datée de la deuxième moitié du XIXème siècle, provenant du Rajasthan en Inde, représente une scène d’offrande à Krishna. Une statuette support d’esprit évoque les pratiques chamaniques des Evenks, peuple Toungouse de Sibérie dans la région des Monts Stanovoï. Une lampe rituelle du Népal du début du XXème siècle illustre la finesse de l’orfèvrerie.

La section dédiée à l’Afrique du Nord et au Proche-Orient réserve une place de choix aux arts textiles avec de nombreux costumes traditionnels robes, manteaux, gilets, coiffes, variété des vêtements. Un palanquin de dromadaires convoque l’image des femmes bédouines de Syrie. Un ensemble de talismans, d’amulettes d’ex-voto, souligne la survivance de rites magiques, notamment agraires, hérités des croyances de l’Antiquité. La magie encore, au Maroc avec les inquiétantes poupées de représailles. Une vitrine parée de somptueux bijoux en or et en argent célèbre l’art des artisans joailliers. Les collections de céramiques ancrent le propos dans le quotidien, plus loin ce sont les arts citadins, carreaux de faïence, prémices de l’architecture. Un espace se consacre à l’art du théâtre d’ombres en Syrie et en Turquie, un autre aux tapis muraux du Maroc. Une section évoque Islam et judaïsme en Afrique du Nord. 










Le Musée du Quai Branly Jacques Chirac a fait l’objet d’un certain nombre de controverses, parmi lesquelles celle du budget pharaonique 233 millions d’euros porté au final à 267 millions d’euros. Lors de l’inauguration, scénographie et muséographie minimalistes sont contestées. La ligne curatoriale fondée sur l’idée d’appréciation esthétique plutôt que scientifique, est vivement critiquée par les professionnels, historiens d’art, ethnologues, collectionneurs. Le succès public, et les efforts concédés par le musée en direction de ses opposants, feront taire ces polémiques. Aujourd’hui, la fréquentation est estimée à 1,5 millions de visiteurs par an. 

En 2009, le Musée du Quai Branly s’associe au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, à la Cité de l’architecture et du patrimoine, et au Palais de Tokyo pour former la Colline des Musées.

Le 21 juin 2016, à l’occasion de ses dix ans, le musée prend le nom de Musée du Quai Branly Jacques Chirac, en hommage à celui qui présida à sa destinée.

Le 9 novembre 2021, vingt-six œuvres des trésors royaux d'Abomey, pillées en 1892 par les troupes coloniales françaises, conservées jusqu’alors au musée parisien, ont été restituées au Bénin. Dès leur retour, elles ont été présentées au public à l’occasion d’une exposition inaugurée en février 2022 au Palais présidentiel de Cotonou. 

37 quai Branly - Paris 7
Tél : 01 56 61 70 00
Horaires : lundi, mardi, mercredi et dimanche de 11h à 19h, jeudi, vendredi et samedi de 11h à 21h



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.