Lundi Librairie : Moi qui ai souri le premier - Daniel Arsand


Daniel, enfant unique, distrait sa mélancolie dans les livres. Son père, tailleur pour homme, et sa mère forment un couple très uni, un modèle, un idéal. En quatrième, Daniel se complaît dans son statut de cancre. A la récréation, il fantasme au sujet d’un élève de seconde au physique attrayant, rejeton d’une famille de notables. Il lui plait, l’intimide. Naïf, il fantasme, rêve de romance. Il lui sourit, peut-être le premier. Marc le remarque enfin, et il sait ce qu’il fait. L’adolescent attire Daniel chez lui. Ce dernier ne sait plus s’il a envie. Dans une scène d’une grande violence, Marc l’agresse. Daniel est tétanisé, frappé de stupeur. L’année suivante, à l’âge de quinze ans, il fait la connaissance lors d’une sortie à la piscine, de Julien, un homme d’une trentaine d’années. Ils entament une idylle anonyme. Julien lui donne des rendez-vous furtifs, ne lui dit rien de sa vie mais il lui fait découvrir la tendresse. Ils s’aiment dans une clairière pas très loin de la nationale. Au retour des grandes vacances, Julien a disparu et ne donnera plus jamais de nouvelles. Rejet sans explication vécu comme une trahison, un abandon. Au lycée, Daniel couche en cachette avec Luc, une petite brute réputée pour ses rodomontades au sujet des conquêtes féminines. Se sentant humilié par la situation, Luc livre Daniel à la vindicte de leurs condisciples. Ils le passent à tabac dans les toilettes de l’établissement. 

Fragments autobiographiques, évocation puissante, Daniel Arsand confie trois événements gravés dans sa mémoire, traumas fondateurs, décisifs de son identité. Ce récit d’apprentissage raconte les étapes d’une initiation au sexe et à l’amour par la violence, qu’elle soit physique ou morale, par l’humiliation qui ont fait renoncer l’homme adulte à l’amour. « Moi qui ai souri le premier » témoigne avec sensibilité et crudité de la condition homosexuelle dans une petite ville de province des années 1960. L’auteur restitue avec finesse l’époque, les atmosphères, la hiérarchie des classes sociales.

Trajectoire intime d’un adolescent qui cherche à se cacher pour éviter la stigmatisation, la virulence d’une société homophobe, il raconte la fin précoce de l’innocence, les désillusions immédiates, le romantisme qui lui est refusé. L’exercice cathartique dit l’identité amoureuse forgée dans la mémoire traumatique. Ce récit réparateur éclaire la parole qui guérit, évoque une vie dédiée aux mots, à littérature en tant que libraire, attaché de presse, écrivain, éditeur. Daniel Arsand ausculte ses failles à travers le récit de ces années charnières, celles des traumas fondateurs de l’adolescence, constitutifs de l’individu, de sa carapace forgée pour affronter le monde. Il sonde les anciennes blessures qui font qu’il ne s’estime pas aimable, décrypte les expériences comme autant de ressorts intimes qui l’ont mené à choisir la solitude, à renoncer aux sentiments, à l’idée du couple idéal incarnée par ses parents. L’amour est impossible.

Les fulgurances ponctuent une écriture filetée de lumière. La plume acérée, écorchée vive, souligne la musicalité de la langue. La pudeur des sentiments contraste avec la crudité des descriptions. Daniel Arsand affronte la brutalité des souvenirs reconstitués, sans fard, dans une concision intense. Lucidité impitoyable, il se confronte aux scènes de violence, d’humiliation, de douleur, de peur, des scènes déchirantes. Il met en mots subtils la culpabilité ressentie par la victime, la honte, évoque la notion de consentement et apporte la résilience comme réponse à ses agresseurs. L’écriture qui console, répare, force vitale de la littérature qui lève le voile sur le déni, les ensevelissements volontaires, le désir d’effacement. Texte profond, émouvant, nécessaire. 

Moi qui ai souri le premier - Daniel Arsand - Editions Actes Sud



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.