Expo Ailleurs : Vieira da Silva. L'oeil du labyrinthe / L'oeil des collectionneurs - Musée des Beaux-Arts de Dijon - Jusqu'au 3 avril 2023


Le Musée des Beaux-Arts de Dijon consacre une rétrospective à la franco-portugaise Maria Helena Vieira da Silva (1908-1992), artiste majeure du XXème siècle. L’évènement initié en collaboration avec le Musée Cantini de Marseille et la galerie Jeanne Bucher Jaeger à Paris réunit quatre-vingts œuvres emblématiques issues de collections publiques et privées. Il intervient dans le cadre des commémorations des trente ans de la disparition de l’artiste ainsi que la fin de la Saison France Portugal. Les commissaires Naïs Lefrançois, conservatrice du patrimoine chargée des collections XIXe siècle Musées de Dijon, Agnès Werly responsable des collections XXe et XXIe siècle, chargée de mission art contemporain, ont imaginé une exposition en deux volets. Le premier "L’œil du labyrinthe" retrace les étapes cruciales de sa carrière et l’évolution de sa peinture de la figuration pure vers l’abstraction figurative. Le second "L'oeil des collectionneurs" évoque le lien particulier noué avec ses amis et mécènes, Kathleen et Pierre Granville.

La scénographie chronologique rend compte des relations particulières entre Maria Helena Vieira da Silva et le Musée des Beaux-Arts de Dijon. En 1973, l’artiste offre à cette institution son oeuvre la plus vaste jamais réalisée, douze mètres carrés, « Ubi et Orbi », toile exécutée entre 1963 et 1972. Kathleen et Pierre Granville multiplient les donations confiant ainsi une grande partie de leur collection au musée. Ce fonds compose aujourd’hui la pierre angulaire de la plus importante collection française consacrée à Vieira da Silva. Le MBA Dijon conserve une quarantaine d’œuvres, peintures, dessins, gravures et une boîte aux lettres personnalisée. En 1993, les héritiers de l’artiste initient une dation à l’Etat afin de couvrir les frais de succession, qui revient en majorité aux Musées de Dijon.








L’exposition « Vieira da Silva. L’œil du labyrinthe » éclaire le processus créatif, le cheminement intellectuel d’une artiste via ses recherches sur les supports et techniques. Le vocabulaire plastique proche de l’abstraction puise sa source dans la distorsion de la réalité, la déformation des souvenirs d’enfance, la ville de Lisbonne, la maison du grand-père maternel perçue comme un labyrinthe, la bibliothèque, le théâtre de sa jeunesse, « Les joueurs de carte » de Paul Cézanne. 

Vieira da Silva ne cesse de réinterpréter la mémoire. Elle multiplie les variations sur un même thème, récurrences formelles, images fantômes, persistance rétinienne. Les villes, l’architecture, les immeubles, les paysages grandioses tout autant que les intérieurs intimes, elle imprime aux lignes le mouvement, brouiller les frontières entre l’espace et le temps. Grande amatrice de poésie et de musique, elle « entend avec les yeux », synesthésie, associe les sens. Cette perception altérée, clé de son oeuvre, confère une rythmique particulière à ses toiles, une musicalité unique. Oubliée au lendemain des années 1990, invisibilisée au profit de ses pairs masculins, Maria Helena Vieira da Silva a pourtant bénéficié de son vivant d’une reconnaissance internationale de grande envergure, succès à la fois public, critique et financier. 








Maria Helena Vieira da Silva, née à Lisbonne en 1908, mène une enfance solitaire. Orpheline de père dès 1911, elle emménage avec sa mère dans la maison du grand-père. La famille est aisée, elle reçoit cours de dessin, de peinture, de musique. Elle intègre l’Ecole des Beaux-Arts de Lisbonne à l’âge de onze ans et détruit ses premières œuvres qu’elle estime trop immatures. Sa formation classique influence des débuts figuratifs. Lors d’un voyage d’études en Italie, elle découvre la peinture de la Pré-Renaissance et les perspectives inventives qui vont très vite l’inspirer. 

En 1928, Vieira da Silva, vingt ans, s’installe à Paris avec sa mère. Elle se forme auprès des peintres Charles Dufresnes, Henry de Waroquier, Othon Friesz, Fernand Léger, étudie la gravure avec Stanley Hayter et Johnny Friedlaender. Elle intègre l’atelier du sculpteur Antoine Bourdelle à l’Académie de la Grande Chaumière où elle a pour condisciple Alberto Giacometti. Son style évolue de la figuration pure vers une peinture plus allusive. 









Marquée par le travail de Paul Cézanne (1839-1906), précurseur du cubisme, elle explore les facettes géométriques, carrés, rectangles, les assemblages de touches colorées. Les nappes à carreaux de l’exposition de Pierre Bonnard en 1928 à la galerie Bernheim-Jeune, l’inspirent. Elle s’engage dans la voie de l’abstraction, travaille des ossatures, des damiers, des grilles, bouleverse les perspectives, le sujet par la technique. Les toiles se construisent par petites touches picturale empreinte de musicalité. La composition rigoureuse structure le foisonnement formel, délicate complexité. Vieira da Silva restitue les traces laissées dans sa mémoire par des bâtiments, des rues, empreintes de la réalité distordue, prisme de la subjectivité. L’artiste conserve son indépendance vis à vis des mouvements, des courants, et refuse d’être assimilée aux écoles.

Maria Helena Vieira da Silva fait la connaissance du peintre hongrois, Àrpàd Szenes (1897-1985) qu’elle épouse en 1930. A cette époque, elle se lie d’amitié avec Kathleen et Pierre Granville qui seront ces premiers mécènes et collectionneurs. Jeanne Bucher devient sa galeriste et lui offre sa première exposition collective en 1933 et sa première exposition solo en 1937. En 1933, au Portugal, Salazar établit l’« Estado Novo », régime dictatorial et corporatiste. De 1935 à 1940, Vieira da Silva et son époux Àrpàd Szenes vivent entre Paris et Lisbonne où ils travaillent dans la maison atelier de la Praça das Amoreiras. Lorsque la Seconde Guerre Mondiale éclate, Àrpàd, d’origine juive, est menacé. Faute d’avoir obtenu la nationalité portugaise, il ne peut rester à Lisbonne. Le couple s’exile au Brésil en 1940. Ils résident à Rio de Janeiro jusqu’en 1947, date à laquelle ils retournent à Paris.









La carrière de Vieira da Silva prend une dimension internationale. Sa notoriété grandit. L’artiste expose dans le monde entier, New York, Stockholm, Genève. En parallèle de ses travaux, elle répond à des commandes publiques. Elle réalise notamment en 1954 une série de carton de tapisseries pour l’université de Bâle. Durant cette période prolifique, elle multiplie les collaborations avec des écrivains et des poètes, René Char, Arthur Adamov. Elle est beaucoup plus connue que son époux, configuration assez rare pour être soulignée. Dans les années 1970, le succès est tel, qu’au moins une exposition par an lui est consacrée en France. 

Prélèvement du réel, détournement des réminiscences personnelles, sa démarche se veut exploration d’une perception subjective du monde. Ses patchworks, nuées rayonnantes, vagues d’écailles, évoquent les damiers des pavés lisboètes, les azulejos carreaux de faïence de son enfance. Les titres éclairent les sujets de ses toiles, précise la thématique de ces abstractions figuratives. La densité de la touche sature des espaces complexes composés avec minutie. La précision des perspectives fuyantes, vertigineuses témoigne d’une recherche plastique maîtrisée, de la construction d’un style unique. Travail de longue haleine, Vieira da Silva passe des mois, des années sur une même oeuvre, et remet souvent ses toiles en chantier. Àrpàd meurt en 1985. Maria Helena Vieira da Silva disparaît à quatre-vingt-trois ans. Elle décède en 1992.









Le second volet de l’exposition « L’œil des collectionneurs » rend compte des relations privilégiées entre l’artiste et ses amis mécènes, Kathleen et Pierre Granville. L’ensemble offert au Musée des Beaux-Arts de Dijon éclaire le goût des collectionneurs, leurs inclinaisons personnelles, œuvres intimistes, ancrées dans l’imaginaire. La collection loin d’être exhaustive se compose de petits formats, beaucoup sur papier, dessins, gravures, aquarelles, en lien avec les dimensions réduites de leur appartement. Cartes postales, photographies et cadeaux échangés comme une curieuse boîte aux lettres personnalisée par l’artiste complète ce panorama sensible et amical. 

L’oubli relatif dans lequel est retombée l’oeuvre de Vieira da Silva interroge l’invisibilisation des artistes femmes, la postérité de leur travail. L’exposition « Vieira da Silva L’œil du Labyrinthe / L’œil des collectionneurs » replace sur le devant de la scène cette artiste majeure du XXème siècle.

Vieira da Silva L’œil du Labyrinthe / L’œil des collectionneurs
Jusqu’au 3 avril 2023

Musée des Beaux-Arts de Dijon
Palais des ducs et des États de Bourgogne 
1 rue Rameau - 21033 Dijon Cedex
Tél : 03 80 74 52 09
Horaires : Ouvert tous les jours sauf le mardi - Du 1er octobre au 31 mai, de 9h30 à 18h -
Du 1er juin au 30 septembre, de 10h à 18h30 - Fermé les mardis, ainsi que les 1er janvier, 1er mai et 8 mai, 14 juillet, 1er et 11 novembre, 25 décembre



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.