Paris : Atelier Carpeaux, premières interventions architecturales d'Hector Guimard débutant et histoire rocambolesque d'héritage autour de la succession du sculpteur Jean-Baptiste Carpeaux frappé de folie

 

L’Atelier Carpeaux à Auteuil est le dernier vestige de la grande propriété de la famille Carpeaux qui occupait tout l’angle de la rue Boileau et du boulevard Exelmans. Le style pré Art Nouveau marque une façade hétéroclite, symétrique et d’une grande sobriété. Fruit d’une série de remaniements, l’édifice actuel se distingue par une surélévation de briques rouges, oeuvre d’Hector Guimard (1867-1942) qui appose sa signature sur un rez-de-chaussée en pierre dont il n’est pas l’auteur. Il conçoit le second étage caractérisé par la forme des ouvertures, huit baies à lancettes, ainsi qu’une frise en grès. L’ouvrage de la fille de l’artiste, Louise Clément-Carpeaux, « La vérité sur l'oeuvre et la vie de J.-B. Carpeaux (1827-1875) » publié en 1934 et les archives familiales ont permis de retracer l’histoire rocambolesque de cet atelier, de la propriété disparue et d’une famille dans la tourmente.









Artiste officiel du Second Empire, Jean-Baptiste Carpeaux, épouse le 27 avril 1869, Amélie de Montfort (1847-1908), fille du vicomte Philogène de Montfort, conseiller général de la Marne et général gouverneur du Palais du Luxembourg. La jeune femme d’une grande beauté a posé pour le prolifique sculpteur. Elle a vingt ans de moins que lui. Le couple aura trois enfants Charles (1870-1904), Louise (1872-1961) et Louis (1874-1929). Afin de faire honneur à cette jeune aristocrate, Carpeaux, dont la famille est d’origine très modeste, voit grand. Il acquiert une propriété à Auteuil à l’angle de la rue Boileau et du boulevard Exelmans. La future demeure sera le symbole de son ascension sociale. La maison bourgeoise préexistante, dotée d’une tourelle orthogonale de deux étages avec une terrasse à l’italienne, un dôme de verre, est remaniée en hôtel particulier. 

En fond de parcelle le long du boulevard, Carpeaux fait construire un atelier d’un étage, orienté au nord, probablement d’après des plans établis par l’une de ses frères, assistant chez l’architecte Emile Vaudremer. Depuis cet espace de travail, Jean-Baptiste Carpeaux gère une véritable entreprise familiale. Il développe lui-même l’édition de ses œuvres destinées aux collectionneurs. Il initie des moulages de plâtre, terre cuite estampée ou marbre moins onéreux pour le grand public.  

De 1870 à 1871, à la suite de la guerre contre la Prusse, la chute du Second Empire, la Commune, les commandes se raréfient. Carpeaux manifeste les signes d’un déséquilibre mental et fait preuve d’une grande violence envers Amélie et leurs enfants. Faute de revenus suffisant, il s’endette à cause de la propriété d’Auteuil et d’un train de vie dispendieux. Il développe une jalousie maladive vis à vis de son épouse. Il entretient lui-même la rumeur selon laquelle Louise et Louis ne seraient pas ses enfants.

En 1874, le couple se sépare sans divorcer. Jean-Baptiste Carpeaux écrit un nouveau testament dans lequel il déshérite sa femme, Louise et Louis, dont il remet en question la légitimité, et accorde la tutelle de Charles à ses parents. Carpeaux emménage dans la propriété de son ami le prince roumain George Babu Stirbei dit Georges Stirbey (1832-1925). Il y meurt d’un cancer de la vessie en octobre 1875. La situation financière de la famille Carpeaux est désastreuse. Deux-cent-mille francs de dette courent et les nombreux créanciers menacent de la vente des biens.








Veuve à seulement vingt-six ans, Amélie Carpeaux doit se lancer dans de longues procédures judiciaires pour faire reconnaître ses droits à l’héritage en tant qu’épouse, ainsi que la garde de ses enfants. Le scandale public entretenu par les rumeurs lancées de son vivant par Carpeaux lui-même, nourrit soupçon concernant la paternité des enfants. Amélie Carpeaux est soutenue dans ses démarches par son père Philogène de Montfort. La dernière procédure prendra fin en 1913 après son décès. Au bout de trois années, Amélie Carpeaux parvient à faire valoir ses droits et ceux de ses trois enfants. En 1878, elle récupère leur tutelle et la gestion de la propriété jusqu’à leur majorité. Elle se réinvente en femme d’affaires pour sauver l’héritage de l’artiste et faire rayonner l’oeuvre de son mari. En 1885, elle fait preuve d’un sens certain de la réclame. Amélie Carpeaux commande la construction de la villa Flore à Houlgate par l’architecte Edouard Lewicki, villégiature familiale et lieu d’exposition. La présentation muséale des sculptures séduit les visiteurs.

En février 1888, Amélie Carpeaux confie à Edouard Lewicki la transformation de l’atelier du 39 boulevard Exelmans. Un appartement autonome est aménagé en mezzanine sans modifier le volume originel, logement probablement destiné à Charles Carpeaux. Le jeune homme vient d’avoir dix-huit ans. Désormais, chef de famille, il supervise la production et commercialisation des œuvres du père. Moulures et de corniches sont ajoutées en façade de l’atelier ainsi que deux niches où sont placées des éditions emblématiques des œuvres de Carpeaux « La Flore accroupie » et « Le Pêcheur à la coquille ».

En 1892, l’héritage d’une cousine lointaine, manne financière inattendue, permet de rétablir la situation de la famille. Amélie Carpeaux reprend ses activités mondaines. Elle renoue avec un cercle utile au commerce des oeuvres, et au futur de ses enfants. L’atelier Carpeaux se transforme en vitrine commerciale. Elle confie cette conversion à Hector Guimard, jeune architecte, qui habite, en voisin de la propriété familiale, le boulevard Exelmans. Le chantier se poursuit de juin 1894 à septembre 1895. L’architecte construit un deuxième étage accessible par un escalier extérieur, surélévation de briques dont la grande ouverture vitrée rythmée évoque les prémices d’un style. Le rez-de-chaussée est aménagé en espace de réception et d’exposition des œuvres. Amélie Carpeaux organise des événements afin de faire connaître l’oeuvre de son mari à travers la monstration d’originaux, de sculptures, de plâtres, de dessins, d’esquisses et de peintures et vend en parallèle des réalisations prestigieuses, des reproductions et moulages plus abordables. 

En 1898, la maison principale à tourelle est rasée à l’initiative de la famille. Des esquisses préliminaires signées Guimard suggèrent un projet d’hôtel particulier Art Nouveau. Celui-ci n’aboutit pas. Cette portion de la propriété demeure un terrain vague jusqu’en 1913, lors du rachat des terrains par un promoteur. Amélie Carpeaux s’installe définitivement dans l’atelier du 39 boulevard Exelmans 

Le fils aîné, Charles Carpeaux mène une carrière d’architecte qui le conduit à poursuivre des recherches comme archéologue en Indochine, pionnier sur des sites Khmères et Cham. A trente-trois ans, il décède en 1904 à Saigon. Epreuve terrible pour sa mère. Amélie Carpeaux en grand deuil se retire du monde. Elle meurt en 1908. Son testament favorise Louise, à qui elle lègue deux tiers des biens de la famille, au détriment du dernier frère Louis dont la vie de noceur lui déplaisait. Selon Louise, il aurait été question de préserver l’intégrité de l’héritage Carpeaux. Le testament contesté par Louis fait l’objet d’actions en justice. Les désaccords entre les deux héritiers conduisent à la dispersion d’une grande partie du fonds d’atelier lors de deux ventes publiques en 1913. 

Louise Carpeaux-Clément conserve le bâtiment du 39 boulevard Exelmans. Il est partiellement remanié en 1914 par l’architecte Paul Harant afin que le couple Clément y emménage. Touché par les bombardements alliés en mars 1943, l’édifice fait l’objet d’une restauration au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Louise Clément-Carpeaux y réside jusqu’à son décès en 1961. Veuve depuis 1941, sans enfant, elle lègue ses biens à sa dame de compagnie, Louise Holfeld (1882-1967). En 1967, l’Etat accepte la donation du fonds Clément-Carpeaux. 

Atelier Carpeaux 
39 boulevard Exelmans - Paris 16

Bibliographie
Le guide du patrimoine Paris - sous la direction de Jean-Marie Pérouse de Montclos - Editions Hachette 
Connaissance du Vieux Paris - Jacques Hillairet - Editions Rivages 
Le guide du promeneur 16è arrondissement Marie-Laure Crosnier Leconte - Editions Parigramme



Caroline Hauer, journaliste depuis le début des années 2000, a vécu à Londres, Berlin et Rome. De retour à Paris, son port d’attache, sa ville de prédilection, elle crée en 2011 un site culturel, prémices d’une nouvelle expérience en ligne. Cette première aventure s'achève en 2015. Elle fonde en 2016 le magazine Paris la douce, webzine dédié à la culture. Directrice de la publication, rédactrice en chef et ponctuellement photographe de la revue, elle signe des articles au sujet de l’art, du patrimoine, de la littérature, du théâtre, de la gastronomie.